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« The Walking Dead » : dans les coulisses d’un tournage secret-défense

De notre envoyée spéciale aux Etats-Unis

Début octobre, sous le ciel menaçant de Géorgie (Etats-Unis) : le paysage nous semble étrangement familier. Quelques instants plus tôt, nous avons quitté la route de Senoia, bourgade d’un peu plus de 3.000 habitants, située à une soixantaine de kilomètres au sud d’Atlanta, pour un chemin de terre qui serpente entre les arbres. Il est midi, mais il fait déjà sombre. Au bas d’une côte, la forêt bute brusquement sur une propriété, cerclée de barbelés. Des pancartes menacent les intrus de poursuites judiciaires.

A l’entrée, un agent de sécurité en uniforme filtre le passage vers de grands bâtiments rectangulaires couleur sable. De longues caravanes blanches, des camions en piètre état, une grue et un tracteur sont garés sur le parking, devant ce qui ressemble à un entrepôt. L’ambiance est lugubre. On s’attendrait presque à voir surgir de longs corps en lambeaux, les yeux injectés de sang, au râle bien identifiable…

Mais aucun walker (zombie) à l’horizon. Soudain, l’évidence nous saute aux yeux : nous nous trouvons devant la prison où l’ex-flic Rick Grimes (Andrew Lincoln) et ses compagnons d’infortune de la série-culte d’AMC, « The Walking Dead », ont trouvé refuge pendant les saisons 3 et 4. Les murs des baraques – qui abritent les studios Raleigh – ont été repeints. La tour de garde, pulvérisée par les troupes du Gouverneur dans un des épisodes, s’est volatilisée, ainsi que les grillages autour de la prison. Mais le champ, où Rick et son fils Carl (Chandler Riggs) ont tenté de cultiver un potager, et la mare, en contrebas, sont toujours là.

Une obsession de la fuite qui frise la paranoïa

Impossible, cependant, d’aller plus loin avant d’avoir signé un contrat de confidentialité de deux pages dans lequel on s’engage à ne rien « spoiler », sous peine de verser un million de dollars à la production ! Téléphones portables et tablettes sont collectés. L’obsession de la fuite frise la paranoïa. A raison, nous dit-on. Avant la diffusion du dernier épisode de la saison 2, où Rick abat son meilleur ami Shane dans un duel désormais légendaire, des photos de l’acteur Jon Bernthal, transformé en walker, avaient circulé sur le Net, provoquant la panique de la production.

L’audience a malgré tout explosé. Car rien ne semble faire reculer les fans, toujours plus nombreux. Aux Etats-Unis, la série post-apocalyptique, qui met en scène un groupe de survivants dans un monde plongé dans le chaos après l’irruption d’un virus transformant les morts en zombies sanguinaires, bat tous les records sur le câble. Il y a un an, le premier épisode de la cinquième saison a rassemblé 17,3 millions de téléspectateurs. Du jamais-vu pour AMC, qui a réussi à dépasser les audiences des chaînes classiques avec cette série iconoclaste, adaptée de la BD du même nom, créée par Robert Kirkman et Tony Moore.

Pour le lancement de la sixième saison, le 11 octobre, la chaîne a vu grand. Elle s’est offert le Madison Square Garden à New York, avec défilé des stars sur le tapis rouge, projection de l’épisode en avant-première et discussions en présence de l’ensemble du cast. En France, les fans doivent patienter vingt-quatre heures de plus pour retrouver la série en US + 24 sur OCS Choc (chaque lundi depuis le 12 octobre).

Et ça commence très fort avec un épisode d’anthologie, qui débute là où la cinquième saison s’était terminée : Rick, le visage couvert de sang, abat un homme d’une balle dans la tête sur ordre de Deanna, la leader d’Alexandria. Après une longue errance et beaucoup d’introspection, virant parfois au bavardage ennuyeux, le groupe s’est en effet retranché dans cette petite communauté, protégée par sa haute muraille de fer, près de Washington. Mais le répit étant toujours de courte durée, de nouvelles menaces apparaissent à l’extérieur, tandis que la dissidence guette à l’intérieur.

On en avait presque oublié les walkers. « Une erreur », constate Greg Nicotero, qui a réalisé l’épisode. Longue chevelure blond cendré et barbe de quelques jours, la star du maquillage gore, passée derrière la caméra pour « TWD », affiche sa passion zombiesque sur un tee-shirt noir, pastiche de la couverture d’un album de Queen, dont il est particulièrement fier. Il a travaillé avec Robert Rodriguez, Quentin Tarantino, Frank Darabont… Mais c’est George A. Romero, le père de « la Nuit des morts-vivants » (1968), qui l’a lancé et convaincu d’arrêter ses études de médecine pour le rejoindre sur « le Jour des morts-vivants » (1985).

Nicotero revendique l’héritage du maître, même si ce dernier n’est pas facile à contenter. Interviewé dans un magazine américain en 2013, George Romero confiait qu’il avait refusé de tourner un épisode de la série, trop « soap opera », selon lui. Il était donc temps de remettre les pendules à l’heure, insiste Nicotero :

On a beaucoup dit que “The Walking Dead” n’était pas une série de zombies, mais une série sur le thème de la survie, dans un monde peuplé de zombies. Mais avec la nouvelle saison, il faut se rendre à l’évidence : c’est bien une série de zombies.

Les walkers n’ont donc jamais été aussi nombreux : 20 000 à l’écran pour le premier épisode, incarnés par 300 figurants, pulvérisés au pistolet de sang brunâtre. « Impossible de passer tout le monde au maquillage avant de commencer la journée », raconte le réalisateur. Si Alexandria a résisté aussi longtemps, c’est que les zombies n’avaient pas disparu.

Ils étaient juste embusqués là, aux portes de la ville… Le tournage de la sixième saison a commencé en mai. Il se poursuivra jusqu’à fin novembre. Dans la forêt, près des studios, un homme en jeans et trench-coat noir, boucles châtains et visage rasé de près, hurle dans un talkie-walkie. On a presque failli ne pas le reconnaître. Andrew Lincoln, alias Rick Grimes, autrement dit la star de la série, en tenue de ville, est venu soutenir ses deux comparses, Lauren Cohan (Maggie) et Melissa McBride (Carol), en plein combat avec trois walkers. Sa présence sur le tournage, alors qu’il a déjà assuré le doublage une semaine plus tôt, est typique de l’acteur britannique, dont le dévouement à la série en fait « le premier rôle idéal », selon Monty Simons, le responsable des cascades. Ce dernier doit le dissuader de jouer les scènes d’action les plus dangereuses car « s’il est blessé, c’est toute la production qui peut rentrer à la maison ».

Un coup de feu claque. La scène est en boîte. Engoncée dans une grosse doudoune noire, le visage pâle, Lauren Cohan tente de se réchauffer avec une tasse de café fumant. La nuit est tombée depuis longtemps. L’ampleur du phénomène « TWD » la dépasse : « Quand je me souviens des débuts, je ressens parfois des bulles de nostalgie, dit-elle. Nous n’étions encore que quelques-uns. Mais nous sommes restés proches les uns des autres. Lauren Cohan avance :

L’engouement du public tient à l’attachement des téléspectateurs pour les personnages, soumis à rude épreuve. Les enjeux sont énormes. C’est la vie ou la mort. Cette saison est magnifiquement barbare.

Les boussoles morales oscillent et chacun va devoir justifier les choix qu’il fait pour sauver la famille. » Jamais il n’y a eu autant de scènes d’action. Qu’on se rassure donc : le très sexy tireur de flèches Daryl Dixon (Norman Reedus), la féroce samouraï Michonne (Danai Gurira) et le gentil ex-livreur de pizzas Glenn (Steven Yeun) ne sont pas près de trouver le repos.

Mais pourquoi ce monde terrifiant, quand le nôtre vacille, nous fascine-t-il autant ? Greg Nicotero compare la série à un grand huit :

Vous détestez, mais vous y allez quand même.

C’est pareil avec la fin du monde. Les personnages essaient d’appliquer une certaine logique à une réalité complètement illogique. Nous essayons de rendre leur peur intelligible, de comprendre comment il serait possible de survivre. C’est assez cathartique. C’est comme quand je regarde “Titanic” dans mon canapé et que je m’énerve parce que personne n’a eu l’idée de prendre une porte et d’en faire un radeau. »

La survie d’un groupe en huis clos

Pour la productrice Denise Huth, grande fille blonde qui a prêté son visage au personnage de la femme du Gouverneur, « TWD » est avant tout un western : « C’est l’histoire de la conquête de l’Ouest. Les survivants se souviennent du monde où ils vivaient, qui ne reviendra pas. Derrière des murs, ils doivent gérer le monde extérieur et envisager comment construire un futur durable.

Mais c’est aussi un drame familial, et c’est pour cela que la série fonctionne : les spectateurs s’attachent à ces personnages. Et même si certains d’entre eux ont commis des actes vraiment horribles, ils essaient de s’accrocher à leur humanité, à ce qu’ils pensent être juste. » Depuis « Lost », « Under The Dome » ou encore « Jericho », ce n’est pas la première fois que le public se passionne pour la survie d’un groupe en huis clos. « TWD », lui, table sur une mise en scène réaliste filmée caméra à l’épaule.

Ça laisse des marques, reconnaît Lauren Cohan : « J’ai des flashs, parfois, quand je me retrouve au milieu d’une foule, ou dans un lieu complètement vide tard dans la nuit. Le corps fonctionne comme une éponge. Je vois les choses un peu plus sombrement.

Mais je sais aussi que si l’apocalypse survenait, je me battrais jusqu’au bout ! »

A Senoia, les fans se pressent dans le magasin « Walking Dead », située sur la grande rue. Cette bourgade idyllique, aux coquettes maisons en briques rouges et blanches, a servi de décor à la ville de Woodbury. Une guide assure la visite avec, entre autres curiosités, la Gin Property, construite de l’autre côté du chemin de fer et encerclée d’un haut mur en fer.

Bienvenue à Alexandria, un projet immobilier conçu par le PDG des studios Raleigh, où les heureux propriétaires d’une maison cossue, achetée entre 600.000 et 800.000 dollars, ont signé un contrat, les forçant à accepter les murs qui l’enserrent, les jardins en friche, les tournages la nuit. Et des équipes de sécurité à toutes les entrées.

« The Walking Dead – saison 6 », lundi, à 20h40, sur OCS Choc (2/16). (En multidiffusion et à la demande sur OCS GO).

VIDEO. Joël Dicker : stop ou encore ?

Avec son deuxième roman paru en 2012, «la Vérité sur l’affaire Harry Quebert», le jeune écrivain suisse Joël Dicker avait remporté un succès phénoménal: 1,5 million d’exemplaires vendus en France, prix Goncourt des Lycéens, et même Grand Prix de l’Académie française.

Il revient aujourd’hui avec «le Livre des Baltimore»(Ed. de Fallois), volumineuse saga familiale située, comme son titre précédent, aux Etats-Unis.

Mais s’agit-il d’un bon roman à énigme? Ou au contraire d’un ennuyeux pavé plombé par les clichés et l’accumulation de grosses ficelles narratives? Joël Dicker mérite-t-il qu’on l’applaudisse comme une révélation de la littérature francophone contemporaine?

Grégoire Leménager, de «L’Obs», et Jean-Christophe Buisson, du «Figaro-Magazine», ne sont pas du tout d’accord.

***

Le gonzo-journalisme appliqué à Bob Dylan

Bob Dylan a baladé des régiments de journalistes. Manipuler un interviewer semble un de ses passe-temps préférés. Il en est un toutefois avec qui sa sincérité ne souffre aucune discussion. C’est Ratso. Le sobriquet de Larry Sloman, jeune rédacteur de Rolling Stone qui couvrit la Rolling Thunder Revue, en 1975, un événement unique dans l’histoire du rock. Le groupe? Le suprême du folk-rock. Le gratin. Qu’on en juge : Joni Mitchell, Joan Baez, Jack Eliott, Mick Ronson, Roger Mc Guinn (fondateur des Byrds), etc. Une tournée totalement improvisée (dates de concert annoncées la veille, voire à la dernière minute). Montée par le Zim, destinée à remuer l’opinion, la tournée retentit deux mois. Objectif déclaré, soutenir et libérer le célèbre boxeur poids lourds «Hurricane» Carter. La justice incarcéra le Noir pour un soi-disant triple meurtre. La formidable traduction française des mémoires de Rubin Carter, Le 16e Round, existe. La victime raconte notamment dans quelles conditions il discuta longuement en prison avec Dylan, qui venait de lire Le 16e Round. Son éditeur,Les Fondeurs de Briques, sort simultanément un autre joyau : Sur la Route avec Bob Dylan, le reportage impliqué-style gonzo de Ratso sur la Rolling Thunder Revue. Comment diable Ratso a-t-il réussi à fissurer la muraille Dylan? «Mais c’est très simple!» En face de moi, dans un bar de la rue Sorbier, costar argenté, chemise noire, mocassins teintés façon zèbre, cheveux filasse jusqu’au bas du cou, bouc de pirate repenti, carure de catcheur, on dirait un pirate de L’Auberge de la Jamaïque.

Compréhension immédiate des questions, regard par en-dessous, réponse différée : on ne peut plus New-Yorkais que lui. On peut enseigner sans hésiter l’exemplaire travail d’immersion, modèle de gonzo-journalisme, dans les meilleures écoles du métier.

On dévore les 350 pages du morceau de bravoure, digne d’un roman de Hunter S Thompson, doublé de l’enthousiasme d’un John Fante. La netteté des descriptions permet de croiser au détour d’une page la précision clinique et la spontanéité d’un Henry Miller. Le livre se savoure sans discontinuer. L’affirmation m’effare. Quoi? Dylan? Une affaire «simple»? Frayer avec un personnage à côté duquel le Sphinx des Pyramides fait penser au pape François? Ratso me calme : «Les gens ne rendent pas compte combien Dylan cherche à vivre comme une personne normale. Pendant la tournée, je n’ai jamais ressenti un autre caractère devant moi que celui d’un jeune Juif du Minnesota. Simplement, il rechigne à se retrouver dans la posture de l’interviewé de service. La star se branche aussitôt sur le mode énigmatique. Si toutefois l’entretien s’intercale dans un rapport naturel, suivi, approfondi : il embraie naturellement avec des réponses limpides. Ce fut le cas pendant la tournée que j’ai couverte deux mois durant. Plus que correct, l’interlocuteur! Je me souviens d’un entretien qui se prolonge dans la froidure du soir : Dylan ôte ses gants pour me les passer. Le problème avec les vedettes? C’est le cercle de managers et de courtisans qui les entourent, dont la seule occupation revient à les éloigner de l’humanité». Joan Baez affuble Larry du surnom le jour où il se pointe cradingue-cheveux gras au motel où le groupe est descendu («You remind me a Rat So!»). Ratso, encore aujourd’hui, s’ingénie à se justifier : «Le journal ne m’offrait pas les meilleurs hôtels…»

La première écoute de Dylan jouera la fonction de révélateur. «Quand j’ai entendu pour le première fois Like a Rolling Stone, je me destinais à la carrière de comptable. J’ai pris un coup sur la tête. J’ai réalisé l’envergure du personnage. Je n’ai eu de cesse que de l’approcher.» Après le coup de massue définitif asséné par l’album Highway 61 Revisited, Ratso s’installe à Manhattan («J’ai dragué le Village de fond en comble pour le rencontrer»). Ilcopine avec le tout Greeenwich Village . Le chanteur Phil Ochs squatte son canapé. Pourquoi Dylan n’embarquera-t-il pas le protest-singer, qui se pendra chez sa soeur l’année suivant la tournée (1976)? «Ochs débordait de talent. Hélas, il n’a pas obtenu la reconnaissance méritée. Chez moi, il a tenté à plusieurs reprises de mettre fin à ses jours. Dylan n’a pas couru le risque de mobiliser un gars paranoïaque, malade, à bout (»fucked up«). Il n’en tenait pas grief à Dylan. J’ai emmené Ochs au concert final de 75 (Night of the Hurricane). Il a adoré. Vous savez, Greenwich Village regorgeait de gars sensationnels: Eric Andersen, Jack Eliott, Allen Ginsberg. Les surdoués couraient les rues. Tous adoraient Dylan».

Pourquoi Dylan adoube-t-il le jeune journaliste derrière la Rolling Thunder? «Il voulait une personne qui le respecte, qui ne tombe pas à genoux devant lui. Non mais rendez-vous compte, les comportements frisaient la folie : les fans tournaient devant sa maison pour comprendre le sens de la vie, alors que lui essayait d’élever ses gosses en paix. Le public s’est trompé. Dylan n’a jamais voulu endosser le costume de leader d’opinion. Quand le Vietnam pète à la figure des USA, le chanteur enregistre Nashville Skyline : rien à voir avec la choucroute!» Ratso devient le chroniqueur attitré de l’événement, au-delà de toute espérance. La bande de la tournée l’adopte («je tournais autour, je m’approchais des coulisses, je buvais avec eux, je faisais la fermeture...»). Le fouineur décroche même une des seules interviews existantes de Beattie Zimmerman, la mère de Dylan («comme les autres, elle s’est habituée à me voir tripoter le magnétophone»).

Ratso publie les articles dans le mensuel, s’enferme, essaie d’écrire l’ouvrage à partir de la centaine de bandes magnétiques qu’il ramène. Dépression. L’écrivain consulte. Une cure de Lithium le débloque. Dylan avale en une nuit les 350 pages du bouquin de Ratso. Howard Alk, le co-réalisateur du film sur la tournée (Renaldo and Clara), dévore le pavé dans la foulée, l’appelle, transmet le message : c’est un chef d’oeuvre! Dylan l’oblige à recommencer le montage en cours du film. A la demande de Dylan, Ratso y incarne son propre personnage dans le long (très long: 3h et demi)-métrage. Le film se soldera par un échec cuisant (Ratso, indulgent : «vous connaissez un film de cette longueur qui a marché?»). Au final, le reporter se rend compte que le groupe de la Rolling Thunder Revue l’a accepté, non plus comme rédacteur rapporté, mais intégré comme membre à part entière. Il se souvient : «chaque participant à la tournée a eu droit au bijou lors du banquet final. Je suis le seul non-musicien à qui Sara Dylan, l’épouse de Bob, a offert un collier en argent». Après lecture, Joni Mitchell l’engueule, puis se rétracte («c’est parfait Ratso, ne change rien»). Aujourd’hui, Dylan et lui s’envoient un mail par mois («Il insère toujours un trait d’humour»). Ratso n’a jamais quitté le milieu du rock. Il a composé les paroles sur quatre disques de John Cale (dont l’album entier Artificial Intelligence). Dylan aurait déclaré que On The Road with Bob Dylan. Rolling with the Thunder (le titre de la première parution, en 1978), représentait le Guerre et Paixdu Rock and Roll. Une métaphore irréfutable : Ratso y a gagné son bâton de maréchal.

Bruno Pfeiffer

LIVRES

Rubin Hurricane Carter, Le 16e Round, Les Fondeurs de Briques

Larry Ratso Sloman, Sur la Route avec Bob Dylan, Les Fondeurs de Briques

« 20 ans de révolution gay » ! : Les (in)visibles

TéléObs. En 1995, vous aviez réalisé « Demain Monsieur », le film d’ouverture de la première Nuit Gay sur Canal+. Comment parlait-on d’homosexualité à la télévision ?

Michel Royer. Jusqu’en 1995, le sujet ne passait que par les émissions médicales, c’est tout dire ! Les téléfilms de l’époque, diffusés sur le petit écran avec un carré blanc, ont d’abord cantonné l’homosexuel au rôle de coupable avant de le faire évoluer vers un emploi de comique. Dans les années 1970, avec « la Cage aux folles » et le théâtre de boulevard, les rôles d’homos sont interprétés par des acteurs populaires comme Poiret et Serrault. Pour exister, le sujet passe par la moquerie et génère un certain mépris. Mais l’homme efféminé s’installe comme première figure de l’homosexualité à la télévision.

A la fin des années 1970, certaines personnalités osent pourtant aborder le sujet…

Le petit écran commence à s’intéresser discrètement à l’émergence d’une culture gay en Californie ou en Scandinavie. En France, Roger Peyrefitte, Jean-Louis Bory ou Elula Perrin révèlent leur préférence sexuelle sur le plateau de Philippe Bouvard, « Samedi soir » ou « De l’huile sur le feu ». Avec l’arrivée du sida dans les années 1980, une chape de plomb retombe sur l’homosexualité. On parle de « cancer gay« , on vit dans le drame et l’omerta. Il faut attendre les années 1990 pour que des revendications apparaissent et qu’on passe d’un silence morbide au militantisme avec Act-Up et le Sidaction.

La première Nuit Gay sur Canal+ reste-t-elle un jalon emblématique ?

A partir de là, la télévision va accompagner le mouvement. Mireille Dumas avait commencé la première à évoquer l’homosexualité avec ses invités. Jean-Luc Delarue a pris la suite et, dans les années 2000, il y a eu un nombre incroyable d’émissions sur ce thème. Mais à ce moment-là, le sujet, c’est le coming out : faut-il le dire et comment le dire.

A Canal, on le disait ?

Même dans une boîte « showbiz » comme Canal, les homos ne se déclaraient pas en 1995 parce que c’était peut-être compliqué vis-à-vis de leurs familles et qu’ils avaient peur d’être catalogués « homos de service ». Les initiateurs de la Nuit Gay, Nicolas Plisson, Alain Burosse et Joëlle Matos, avaient créé C+ Gay, une association des employés gays comme il y en aura ensuite dans d’autres entreprises.

En vingt ans, le regard porté par la société sur l’homosexualité a-t-il changé ?

Aujourd’hui, les homosexuels n’ont plus à se justifier. On ne questionne plus l’homosexualité, on questionne les homophobes.

Parmi les nombreuses personnes contactées pour témoigner, certaines ont-elles refusé de participer ?

Bertrand Delanoë n’a pas voulu s’exprimer mais il nous a autorisés à utiliser l’extrait de « Zone interdite » (M6) dans lequel il avait fait son coming out en 1998. Il n’a jamais voulu être militant de la cause homosexuelle car il craignait qu’on l’accuse d’être de parti pris. En devenant maire de Paris, il a contribué à normaliser la situation des homos. Il a pris le risque d’être caricaturé mais ça ne lui a finalement pas collé à la peau.

Laurent Ruquier n’a jamais souhaité devenir une figure emblématique. Je n’ai pas bien compris le refus de Steevy. En participant à « Loft Story », il avait inauguré quelque chose de nouveau. La télé-réalité a par la suite normalisé les figures d’homosexuels comme elle l’a fait pour les Noirs et les Arabes.

Roselyne Bachelot et Christiane Taubira, elles, se sont engagées…

Roselyne Bachelot a très tôt pris conscience des discriminations dont étaient victimes les homosexuels via les événements de Stonewall, aux Etats-Unis, qui sont à l’origine des Gay Prides. En 1999, la gauche a défendu très mollement le Pacs. A droite, c’est Roselyne Bachelot qui est devenue la figure inespérée pour mener à terme le projet. Au lieu d’essayer de convaincre les sceptiques, mieux vaut brandir un étendard.

C’est ce qu’a fait à son tour Christiane Taubira. Elle a injecté de la philosophie politique dans ses propos, elle est allée chercher les grandes valeurs et les a mises en jeu à la manière d’un Robert Badinter. Ces deux femmes défendent des convictions profondes. Mais tout au long des débats sur le mariage homosexuel, la gauche a tergiversé. Hollande a donné l’impression de ne pas assumer totalement la nouvelle loi lorsqu’il a évoqué la clause de conscience des maires. Les médias, eux, sont tombés dans le panneau tendu par la Manif pour Tous. Ils ont trop donné la parole aux opposants au mariage gay qui se sont empressés d’agiter la menace de la PMA et de la GPA.

Lors du débat sur le Pacs, Philippe de Villiers et Christine Boutin prédisaient l’effondrement de notre civilisation. En 2014, on a laissé Frigide Barjot et Eric Zemmour annoncer l’Apocalypse sans leur demander en quoi cela leur retirait quelque chose que des homosexuels se marient. Les homophobes ont un grand pouvoir de nuisance. Il n’y a qu’à entendre les propos délirants tenus par monseigneur Barbarin.

En quoi la Nuit Gay a-t-elle fait évoluer la société ?

En défendant la culture gay, Canal a eu un rôle d’avant-garde comme pour l’investigation, l’humour, le sport ou le porno. J’ai dédié le film à Alain de Greef, qui était plus rock’n roll et pin-up que gay friendly. Canal a su saisir l’air du temps, celui d’Almodóvar et de « Priscilla, folle du désert ». En 1995, la Nuit Gay a battu le record d’audience de Canal détenu par la Nuit Hallyday. Il en est resté la phrase culte de Gilles Verlant : « Merde ! Les pédés ont enculé Johnny ! »

Propos recueillis par Anne Sogno (@AnneSogno)

PMA, la ligne Taubira

« Je pense que la revendication d’accéder à la PMA pour un couple de femme est une revendication légitime […]. Il faut que le milieu politique – et je m’y inclus- ait le courage de livrer cette bataille.  » Devant la caméra de Michel Royer, Christiane Taubira engage clairement le gouvernement à rouvrir le débat sur la PMA qu’il avait abandonné au grand dam des associations LGBT. Jusqu’au vote de la loi par l’Assemblée ouvrant le mariage et l’adoption pour les couples de même sexe, la garde des Sceaux évitait soigneusement de sortir du périmètre dessiné par Matignon, affirmant que « tous les pays qui ont ouvert le mariage et l’adoption aux couples de même sexe et qui ont ouvert la PMA l’ont fait dans deux textes différents ». Au soir du vote, le 12 février 2013, sur le plateau du JT de France 2, Christiane Taubira, sans doute libérée par le devoir accompli, avait déclaré à David Pujadas que la PMA voulue par les couples de lesbiennes était une « demande légitime » et que « le gouvernement aura le souci de traiter le sujet de la façon la plus complète, la plus juste et la plus efficace possible« .



Mardi 20 octobre sur Canal+, à partir de 21 heures. 20 ans la Nuit Gay !

De la grande misère au rap pour enfants: on a lu les Mémoires de Maître Gims

Certains l’adulent, d’autres s’en moquent parce qu’il se serait éloigné du rap hardcore et que, en versant dans les bons sentiments, il est devenu l’idole des enfants blonds et de leurs parents bobos. A 29 ans, Maître Gims, le rappeur aux lunettes noires, sort son autobiographie, «Vise le soleil», pour raconter posément sa vie, expliquer ce qui fait le ferment de son travail, et, au passage, répondre à ses détracteurs autrement qu’en quelques mots sur les réseaux sociaux :

Dans le rap, il y a un débat récurrent entre un tube et un classique : le tube est ce qui plaît au grand public, le classique aux puristes. […]

Je ne suis pas de ceux qui pensent que le rap devrait éternellement sentir le bitume, rester à jamais cloîtré dans un quartier, à se plaindre.»

De fait, qu’il s’exprime au sein de Sexion d’Assaut ou en solo, Maître Gims n’aime rien tant que le métissage musical :

Tout en restant fondamentalement des rappeurs, nous étions fiers de croiser les influences, de la house au reggae, en passant par la musique du monde, la pop urbaine ou la salsa.»

Il rappe, on le sait, mais il chante aussi. Résultat : des millions d’albums vendus, des Zénith à guichets fermés, l’argent qui semble couler de source et un garde du corps pour lui assurer un semblant de tranquillité face à des admirateurs nombreux et fervents. L’histoire de Maître Gims est celle d’une success story, un rêve qui s’est si vite réalisé qu’il se croit encore fragile. «Réunir plusieurs générations me paraît une belle réussite», pense-t-il. Cela durera-t-il ?

Le Zaïre, la France et les squats

Retourner d’où il vient est forcément sa hantise. Redevenir Gandhi Djuna, ce gamin abandonné par la société, promis à l’échec, pour qui la solution la plus rapide et la plus sûre eût été le deal. Il s’y est toujours refusé, même dans les pires moments, même dans les périodes les plus tendues. C’est l’histoire d’un gamin que le rap a sauvé in extremis. La misère, il a connu. Longtemps, il n’a même connu qu’elle, avec son cortège de hontes et de frustrations.

Son autobiographie fait écho à l’actualité : quand la situation est devenue trop dangereuse au Zaïre, son père, Djanana Djuna (musicien de la troupe de rumba congolaise de Papa Wemba), n’a pas longtemps réfléchi : il a emmené sa femme et leurs quatre enfants.

Mon père n’a pas demandé l’asile politique. Ils sont partis comme ça, avec un peu d’argent, mais pas assez pour faire vivre six personnes dans un pays comme la France. […] A un moment, émigrer était devenu une question de vie ou de mort.»

Là-bas, on disait qu’en France on trouvait de l’argent par terre. Ça ne s’est pas vérifié, ce n’était qu’une image. Et, très tôt, Gandhi Djuna est placé à l’orphelinat :

L’arrivée à Forges-les-Bains est restée gravée dans ma mémoire : je pleure, je pleure comme un fou, ravagé de terreur à l’idée que l’on m’abandonne.»

Le reste de sa jeunesse se passe de squat en squat, insalubres et surpeuplés. D’expulsion en expulsion. En famille d’accueil aussi. Dans ces conditions, l’échec scolaire est comme programmé. Gandhi n’en garde que des traumatismes, une période éclairée par des journées créatives au centre de loisirs : le jour où, pour le spectacle de fin d’année, il s’est mis dans la peau de Pavarotti et a chanté devant une foule conquise; le jour où il a interprété M. Jourdain dans «le Bourgeois Gentilhomme».

Je me disais que, finalement, je n’étais peut-être pas bon à rien.»

La musique va le sauver, assez tôt au fond, puisque dès le CM1 il s’inscrit à l’atelier rap qu’animent Yannick et Philippe. On y écrit, on compose, on structure ses morceaux et on écoute les artistes du moment : le Ministère A.M.E.R, Secteur Ä, NTM ou IAM. Le futur Maître Gims y rencontre JR O Chrome, avec lequel il formera Sexion d’Assaut. Mais l’aventure de l’atelier rap s’achève comme toutes les autres : descente de police, expulsion, emménagement dans un autre quartier, perte d’amis et du peu de repères qu’il avait.

Des cages d’escalier au showbiz

Pour mesurer le degré de difficulté que connaît le jeune homme, il faut lire le passage qui décrit son entrée en sixième au collège Jacques-Decour et les années qui s’ensuivent. Pour échapper au chaos qui règne dans sa famille, il passe ses nuits à errer, sans dormir, trouvant refuge dans des cages d’escalier. Le matin, devant les portes du collège, il est vidé :

Au bout d’un moment, j’en suis arrivé à un tel niveau d’incompréhension que, perdu pour perdu, j’ai commencé à sécher.

Il faut dire que débarquer en classe, blême d’épuisement, après une nuit dans la rue, en prétextant avoir laissé mon sac chez un copain et évidemment sans avoir fait le moindre devoir, ne rimait pas à grand chose.»

Le fil rouge de sa jeunesse de misère reste le rap, et les rencontres que cette passion met sur son chemin. Sexion d’Assaut, collectif qui connaîtra bientôt un énorme succès, se construit année après année. Sa foi aussi. Il n’a pas 20 ans quand il prononce la chahada, la profession de foi musulmane. Elle reste un de ses principaux repères alors qu’il est confronté à un autre fléau : la gloire.

Les pages sur l’ascension de Sexion d’Assaut, puis sur sa fulgurante carrière solo, sont assez descriptives, un rien fastidieuses. Les réflexions que Maître Gims en tire à la fin de son autobiographie ne le sont pas du tout. Ses remarques sur l’influence parfois nuisible de la presse (notamment quand le groupe a été accusé d’homophobie) sont passionnantes. Le portrait qu’il dresse de ses fans et de la vie qu’ils mènent, très amusant. La description du show-business, édifiante.

S’il gère sa marque de vêtements et son label, il s’octroie tout de même une pause en 2014, pour de nouveau dialoguer avec Dieu et voir grandir ses enfants, ces «gosses de riche» auxquels il veut inculquer la valeur de l’argent, lui qui à leur âge a souvent eu faim.

Finalement, en reprochant à Maître Gims d’être un rappeur lisse, bourré de bons sentiments, on lui reproche d’être resté Gandhi Djuna, ce migrant venu de Kinshasa dans une France qui ne voulait pas de lui. Et qui, à force de travail, est devenu l’un de ses plus spectaculaires représentants à travers le monde.

Sophie Delassein

Vise le soleil, par Maître Gims, Fayard, 240 p., 18 euros.

Rabah Slimani, la foi du pilier

Quand la tempête approche et que tout s’apprête à foutre le camp, il ne reste plus qu’à s’abriter derrière un mur solide et à prier pour qu’il tienne. Ce samedi soir, le XV de France finira sans doute par être emporté par les ouragans noirs, mais le pilier droit de sa mêlée aura résisté jusqu’au bout. Il s’appelle Rabah Slimani, il aura 26 ans dimanche, il pèse 112 kilos, il mesure 1,78m, et il garde le cap. Voici les cinq piliers de Slim’.  

Rabah et le vice du métier. Le jeune pilier est une victime. Rabah Slimani se rappelle très bien de sa douloureuse première comme pilier droit au Stade Français : «Le tandem Jacques Delmas – Didier Faugeron était à la tête de l’équipe, il y avait des blessés, et on était en plein tournoi des Six Nations. Mathieu Bastareaud a même dépanné en n°8. Je me suis retrouvé face au Racing, à Colombes, j’avais Andrea Lo Cicero en face.» Lo Cicero, Il Barone chez les Ritals, l’impitoyable baron des mêlées, l’équivalent du barbu Martin Castrogiovanni. Slimani poursuit : «Il y a une série de mêlées, c’était très très compliqué, tout le monde criait en tribunes : ‘‘La mêlée ! La mêlée ! La mêlée !’’ Avec les gars, on s’est dit : ‘‘On serre les dents et on tient’’. Les jours suivants ont été durs.»

Rabah n’a pas été surpris quand son petit frère Chérif, choisi comme joker à son poste par le Stade Français pendant la Coupe du monde, a souffert le martyr à Brive, lors de la deuxième journée de Top 14. «Il s’est bloqué le dos après le match. Je l’ai vu joué, c’était dur, mais bon, c’est normal. Premières mêlées en Top 14. On est tous passés par là. On a bien débriefé après.» Chérif, 22 ans, est toujours convalescent. «Je suis plus lourd et plus grand que Rabah, raconte le petit frère. Lui, c’est un cauchemar pour le pilier gauche adverse, qui va essayer de rentrer sous lui, en dessous du torse, pour le faire sauter. Mais il est très bas, très fort athlétiquement, très fort en poussée. Tu as du mal à le bouger. Et puis surtout, il aime ça, la mêlée, il adore défier l’adversaire.»

Rabah et le rugby terroir. Slimani commence à avoir l’expérience d’un vieux briscard : «La mêlée, c’est beaucoup de ressenti. Il faut sentir les pressions, quand appuyer comme ci ou comme ça. Aucun pilier ne pousse pareil. J’ai appris sur le tas. J’ai connu des grands joueurs au club, les Roncero, les Marconnet, les Attoub. Avec eux, on apprend le vice.» Quelles sont ses marottes pour faire péter l’autre comme du pop-corn ? «Ça, je le garde pour moi! Tu sais, parfois tu as l’impression de prendre le dessus et en fait… pas du tout ! On peut être bien sur une mêlée, et partir à la mer sur la suivante. Le combat se renouvelle, perpétuellement. L’excès de confiance, le pilier adverse qui se réveille, et on peut vite déchanter.»

Slimani a découvert le rugby à 8 ans, via son école, avant de s’y mettre quelques saisons plus tard à l’AAS Sarcelles. Le petit gars de la cité des Rosiers a vite délaissé le foot de l’enfance, qui se jouait sur tout type de terrain : «L’herbe derrière la maison, le synthétique du quartier, ou le goudron devant les garages.» Il va voir les copains de l’AASS dès qu’il peut, a créé un groupe WhatsApp pour partager les conneries avec eux, mais refuse d’endosser l’habit du rugbyman des quartiers, trop cliché à son goût. «Il y a des talents à foison en banlieues, il faut peut-être juste les pousser un peu plus que les autres. Je le vois à chaque fois qu’on fait un petit match : les jeunes sont tout contents de faire des passes, de jouer, mais ils ne suivent pas assidûment le rugby.» Lui se levait le dimanche à 8 heures du matin pour ne pas manquer l’émission Rencontres à XV, rythmée par l’accent chantant du Montalbanais Jean Abeilhou : «Que j’ai joué la veille ou pas, que je sois fatigué, j’étais devant ma télé. J’ai découvert une autre partie du rugby, celle du fin fond de la France. Moi je ne connaissais que le rugby de région parisienne. C’est franchement dommage qu’elle ait été arrêtée.»

Rabah et le petit frère. Formé au Stade Français, Chérif Slimani s’est gravement blessé au dos. Direction l’infirmerie, puis le Foot Locker du coin où il vend les dernières Stan Smith et autres paires de pompe. «C’est Rabah qui m’a remis dans le rugby», glisse-t-il. L’international revient souvent au quartier, où sa mère et sa sœur Anissa habitent toujours. La maman était femme de ménage, le papa œuvrait dans la restauration des trains SNCF. «Mais attention, pas le club sandwich, la vraie cuisine, sur les lignes entre Paris et l’Allemagne.» Il est parti au printemps, et les funérailles ont été l’occasion d’un retour au bled, à Aït Bouaddou, près de Tizi Ouzou, dans la Grande Kabylie algérienne. Jeunots, Chérif et Rabah venaient chaque été, dans la maison construite par le paternel. Le rugby a eu raison des vacances outre-Méditerranée. 

Rabah et les copains du Stade Français. A Marcoussis, on l’a vu emmener une tasse de café au pilier gauche Vincent Debaty, faire un geste affectueux au peu commode Pascal Papé, ou prendre les nouvelles de Mathieu Bastareaud. Rabah Slimani n’est pas un leader autoproclamé, mais il aimante les collègues. On va vers lui sans se forcer, parce que c’est tout sauf un rabat-joie. Il l’a senti à la prison de Fresnes, quand, avec des partenaires du Stade Français, il venait jouer au toucher avec des taulards. «On a bien rigolé, dit-il. J’ai croisé des mecs de Fresnes dehors. Un au stade Jean-Bouin, un autre avec sa femme sur les Champs Elysées, un dernier avec des potes à Boulogne. Ce sont eux qui m’ont reconnu. Chacun fait sa vie, mais ils sont quand même super cools.» Il ne juge pas.

Plus jeune, il a vu ses potes Bastareaud ou Djibril Camara lâcher totalement prise, boire comme des trous ou enchaîner les conquêtes. Lui grandit d’un coup : «Je ne suis pas un gros fêtard, je me suis vite mis en ménage, ça joue beaucoup aussi. Puis j’ai eu mes enfants, mon aîné (4 ans aujourd’hui), et mes jumelles (bientôt deux printemps). Les copains ont vu que ça marchait bien, alors ils se sont tous mis à faire des enfants. Hugo (Bonneval) a un petit, Djibril aussi. Ils se demandaient si ma vie allait devenir une prison, et en fait, même si on se calme au niveau des sorties, ça aide beaucoup mentalement. La preuve avec Djibril, mon colocataire d’antan. On faisait les soirées ensemble. Aujourd’hui, il est casé, il a son enfant, et ça se passe beaucoup mieux sur le terrain, ça lui réussit vraiment. Avoir une femme à la maison, c’est une grosse responsabilité, finie la vie de célibataire, finies les soirées. Et un enfant, là, mentalement, ça nous oblige à aller un peu plus loin.»

Il garde toujours un œil attentif sur Basta l’ultrasensible, dont il connaît la moindre fragilité : «Il a beaucoup changé, mûri, il a coupé le cordon en partant à Toulon, mais pas trop, sa maman est souvent avec lui. Mais ça lui a fait du bien de couper avec la vie parisienne.» Avec les biberonnés au Stade Français qui sont restés au club, les Plisson, Danty, Camara et même le pauvre Bonneval, blessé depuis un an, il a décroché le bouclier de Brennus en juin : «Les années de galère vécues ensemble, ça s’est ressenti la saison dernière. On en a tous chié, à un moment donné, on ne jouait plus beaucoup. Le tandem Auradou – Laussucq a su nous relancer, en 2012-2013. Et après, tout s’est enchaîné avec Quesada.»

Rabah et son entrecôte. Il se dit comme Bastareaud, à grossir rien qu’en regardant un paquet de M&M’s. Enfant, il était le plus mastoc du lot, et de loin. «Son seul défaut, c’était vraiment la bouffe, sourit Chérif. Si tu avais le malheur de toucher à son assiette, son caractère devenait explosif.» En 2015, Slimani hallucine devant les gabarits modernes. «Quand je vois les mecs de maintenant, ils s’entraînent beaucoup plus, se développent beaucoup plus. On se le disait récemment à Marcoussis, avec Sofiane Guitoune : on n’était pas aussi gaillards quand nous étions au Pôle Espoirs.» Pour se remettre des émotions, rien de mieux qu’un petit tour au Sous Bock, rue Saint-Honoré, dans le 1er arrondissement parisien : «Je l’ai découvert grâce à Mathieu (Bastareaud). Le patron est un Agenais, enfin, maintenant, il est pro Mathieu et pro Stade Français, il vient à tous nos matches. Mon menu ? Tartine de saumon, puis entrecôte ! La base.» Quand il descend voir Basta à Carqueiranne (Var), ils vont déguster des tapas près de la plage. La vie de pilier a aussi ses bons côtés. 

Mathieu Grégoire Envoyé spécial à Cardiff (Pays de Galles)

Suisse : poussée de la droite aux élections législatives

La poussée de la droite aux élections législatives suisses se confirmait dimanche, la question de l’immigration ayant constitué la première préoccupation des électeurs. Le mouvement touche la plupart des 26 cantons, confirmant ce qu’annonçaient les sondages. Dans ce scrutin proportionnel pour les 200 élus de la chambre basse, les deux formations de la droite gagnent des voix et dans certains cas des sièges : l’UDC populiste anti-européen et anti-immigration et le PLR, des libéraux qui défendent les relations avec l’Union Européenne et une solidarité contrôlée devant la crise des migrants.

Déjà premier parti du pays, l’Union démocratique du centre (UDC) pourrait battre son score record de 2007 (28,9%), prévoient  des commentateurs. Il devance largement le parti socialiste (second parti) et la droite libérale.  

Virage à droite

Les questions de l’asile et de l’immigration constituent la «première priorité» à traiter pour 48% des sondés par l’institut gfs.bern, loin devant les relations avec l’Union européenne, priorité pour seulement 9% des sondés. Alors que la Suisse a pour le moment été épargnée par la vague de migrants qui arrivent en Europe, cette question mobilise les électeurs.

«Nous voulons une immigration contrôlée […] Pas question de surcharger les finances publiques et le budget social en ouvrant toutes grandes les frontières, quand tant de jeunes ici restent sur le carreau», avait résumé Roger Golay, élu sortant candidat à Genève où il préside le MCG, le Mouvement des citoyens genevois, une petite formation de la droite populiste qui entretient des relations avec le Front national, le parti de l’extrême droite française.

Les petits partis du centre, les verts-libéraux et les verts, payent ce virage à droite, les écologistes perdant au moins une dizaine de sièges.

Pour sa campagne, l’UDC, qui s’est choisi comme slogan «rester libres», n’a pas hésité à recourir aux photos montages, des photos de femmes en burka avec pour légende «Islam bientôt chez nous ?». L’affiche la plus radicale revient aussi aux jeunes UDC du Canton de Vaud avec une caricature de jihadiste portant un brassard UE, sur fond le drapeau de l’Union européenne, qui s’apprête à décapiter une jeune blonde baillonée vêtue d’un drapeau suisse. «Gardez la tête sur les épaules», clame l’affiche «votez pour la liste UDC». 

AFP

GRAND FORMAT. Emeric Feher, un Instagramer avant l’heure ?

Emmanuelle Hirschauer

Par Emmanuelle Hirschauer

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Publié le 15-10-2015 à 20h27

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Format carré, noir et blanc, regard humaniste et talentueux : nul doute que les caractéristiques des images d’Emeric Feher lui auraient valu beaucoup de succès sur Instagram s’il avait eu un compte sur l’application de partage de photos.

Seulement voilà, l’artiste, né en 1904, est décédé en 1966, bien avant l’heure d’internet et des smartphones.

Pourtant, si Emeric Feher, qui a immortalisé tous azimuts la France des années 1930 aux années 1960, témoigne d’un passé révolu, il s’inscrit surtout dans la modernité, tant dans la forme de ses photos que dans les sujets traités.

Emeric Feher, le premier des Instagramers ? Alors que le Centre des monuments nationaux lui consacre, jusqu’au 17 janvier, une exposition au château d’Angers, « l’Obs » vous propose de découvrir 20 de ses œuvres, accompagnées de hashtags, comme si elles avaient été réellement postées sur Instagram.

Andy Warhol, au-delà de l’icône pop

Tout le monde connaît l’artiste pop Andy Warhol : ses perruques, ses fêtes débridées, ses lithographies de Marilyn reproduites jusqu’à la nausée. Alors une é-nième exposition sur son travail, était-ce bien raisonnable ? La réponse est oui. Avec « Warhol unlimited », le Musée d’art moderne (MAM) de la ville de Paris balaie nos craintes. La Warholmania est plutôt un bon virus, contrairement à la Picassomania, souche plus ancienne qui terrasse le Grand-Palais dans une exposition fourre-tout dont aucun artiste présenté ne sort indemne (hormis Picasso).

Aux clichés sur la star du pop art, cette exposition répond un « oui mais pas seulement ». Elle présente des œuvres inédites d’un artiste touche-à-tout à l’œuvre multi-dimensionnelle – espace, volume, temps. Elle fait aussi écho à « Warhol underground », exposition tout aussi réussie au Centre Pompidou-Metz, qui se poursuit jusqu’au 23 novembre prochain.

Dessin et peinture

Depuis l’enfance, Andy Warhol (1928-1987) dessine, peint, collecte des images, découpe des photos de stars, photographie et développe ses tirages. Après des études d’illustration et de graphisme (1945-1949), il travaille à New York pour la presse et la publicité pendant une dizaine d’années. Il rencontre un grand succès mais il veut devenir artiste.

Robert Rauschenberg, autre grande figure pop, dit de lui :

Il avait un coup de crayon extraordinaire. Or cette facilité aurait pu lui être fatale. Il dut s’en défier et éviter d’y céder, comme en témoignent toute ses œuvres. »

Rauschenberg aurait pu ajouter qu’il avait aussi un sens formidable de la couleur et de la composition. »Shadows » (Ombres), un ensemble de 102 tableaux présentés au MAM et pour la première fois en France, en est la démonstration.

Réalisés en 1978 pour un couple de collectionneurs, ces tableaux de formats identiques (193 x 132) sont des sérigraphies d’une image non identifiable (flamme ? sexe ? pliure de journal ?) repeintes une à une par Warhol et ses assistants en 17 couleurs différentes.

« Shadows » d’Andy Warhol 1978-1979 (photo : Bill Jacobson Studio, New York © Courtesy Dia Art Foundation, New York © The Andy Warhol Foundation for the Visual Arts, Inc. / ADAGP, Paris 2015)

L’effet de saturation de l’espace rappelle les Nymphéas de Claude Monnet (au Musée de l’Orangerie à Paris). Mais le nombre effarant de tableaux interdit au visiteur de les embrasser d’un seul regard. Il faut donc marcher au côté d’eux pour voir « Shadows » en entier.

Voilà donc une œuvre en deux dimensions qui, par son format, oblige à se déplacer comme on le fait pour une sculpture. Enfin pour en faire le tour complet, il faut y passer du temps, dimension réservée au cinéma. C’est en somme une « séance » dont le seul mouvement est celui du spectateur !

Sérigraphie et photo

Revenons au début des années 60. Warhol fait tout pour être remarqué par des galeristes. Dans les vitrines d’un grand magasin de luxe qu’il agence, il installe des peintures de Superman et d’autres « super-héros » qu’il a réalisées, à mille lieux de ses dessins soignés et romantiques de son métier d’illustrateur.

A cette époque, Andy Warhol découvre aussi les peintures très proches des siennes d’un jeune artiste, Roy Lichtenstein. Dans « Andy Warhol, la biographie » (Folio), Mériam Korichi le cite :

Je décidai que, puisque Roy faisait si bien les bandes dessinées, je ferai mieux de cesser les miennes aussitôt et de m’engager dans une autre direction où je serai le premier, par exemple la quantité et la répétition. »

Grâce à Jasper Johns, autre jeune peintre américain, il découvre la figuration sans sentiment, à l’opposé de l’expressionnisme abstrait, courant artistique dominant des années 50 dont Jackson Pollock est la figure de proue.

Warhol se tourne alors vers le pochoir puis la sérigraphie pour reproduire des images de biens de consommation courants. « Je voudrais être une machine » déclare-t-il. Marquée du sceau de son style, sa production reste pourtant unique.

« Jackie » (Gold) par Andy Warhol, 1964 © The Sonnabend Collection, on loan from Antonio Homem © The Andy Warhol Foundation for the Visual Arts, Inc. / ADAGP, Paris 2015)

En 1960, il reproduit une bouteille de coca-cola, en 1961-62, des dollars, des photos de presse de Marilyn qui vient de mourir et de Jackie Kennedy, lors des obsèques de son mari.

Warhol recourt encore à la peinture pour ses 32 « portraits » de boîtes de soupe Campbell (tous présentés au centre Pompidou-Metz). En 1963, pour sa série « Dead and disasters » (mort et désastres), il utilise des photos d’accidents de la route particulièrement violents, de suicides et de la chaise électrique de la prison de Sing Sing prise en 1953, quelques jours avant l’exécution des militants communistes Ethel et Julius Rosenberg.

L’une des sérigraphies « Electric chair » accrochée sur le papier peint Vache par Andy Warhol, au MAM à Paris. (© The Andy Warhol Foundation for the Visual Arts, Inc. / ADAGP, Paris, 2015)

Mais Warhol n’est pas un artiste engagé, il ne parle jamais de politique ou de justice. En 2007, le critique d’art Michel Gauthier écrit dans le catalogue de la « collection Art contemporain » du Centre Pompidou :

Pareille peinture traduit avant tout le commerce fasciné de l’artiste avec le rien, dont la frivolité, la surface, la répétition, la mort ne sont que les différents avatars. »

En 1971, pour la rétrospective que lui consacre le Whitney Museum à New York, Warhol tapisse les murs du musée et son entrée d’un papier peint à motif tête de vache. Tous ses tableaux, y compris les « Electrics chairs » sont accrochés dessus, comme aujourd’hui au MAM. Vaches pop ou chaises électriques, tout se vaut dans le monde d’Andy Warhol. Mais est-ce si différent dans la vraie vie ?

Sculptures et installations

En 1964, Warhol expose des centaines de fac-similés de boîtes de lessive Brillo (visibles au MAM et à Metz), de céréales, ketchup … Mais ses premières œuvres en trois dimension, tout comme l’installation qu’elles forment, n’ont aucun succès.

Deux ans plus tard, dans la prestigieuse galerie Leo Castelli, avec ses « silvers clouds » (nuages argents), sortes de coussins argentés gonflés à l’hélium, il revient au volume. Le chorégraphe Merce Cunningham (1919-2009) qui intègre le hasard, la répétition, la notion de temps dans ses ballets et rejette la narration et l’expression de sentiments est séduit par ses nuages.

En 1968, pour « Rainforest », les silvers clouds dansent au milieu des danseurs, au hasard des mouvements créés par un ventilateur.

« Rainforest » chorégraphie de de Merce Cunningham, scénographie d’Andy Warhol, interprétée par six danseurs (sur la photo Merce Cunningham et Meg Harper) lors d’une représentation à Paris en 1970 (James Klosty © The Andy Warhol Foundation for the Visual Arts, Inc. / ADAGP, Paris 2015)

Cunningham est l’un des premiers chorégraphes à filmer ses ballets, non pour en conserver une trace mais comme une œuvre en tant que telle. Le Centre Pompidou-Metz projette le film « Rainforest » sur un grand écran entouré de silvers clouds, restitution formidable de l’esprit de l’installation. En revanche au MAM, quelques silvers clouds un peu pauvrets stagnent dans une salle vide.

Films, style camp et superstars

Dès 1963, Warhol se tourne vers le cinéma. Dans son loft-atelier, la Factory, il tourne plus de 400 « test screens », des plans fixes de trois minutes de personnalités (Dali, Marcel Duchamp..) ou d’inconnus qu’il projette au ralenti (16 images par seconde).

Ces films tout comme « Empire » (l’Empire state building filmé en plan fixe durant 8 heures) ou « Sleep » (son amant le poète John Giorno endormi pendant plus de 5 heures) ne sont pas inédits en France. Mais 50 ans après leur réalisation, ils rappellent le rôle essentiel de Warhol dans le cinéma expérimental et l’art vidéo.

Il rappelle aussi le choc que fut pour Warhol la représentation en 1963 de « Vexations » d’Erik Satie, répétition d’un même motif musical au piano pendant… 18 heures d’affilée.

Warhol s’intéresse aussi aux pratiques sexuelles dites déviantes dans l’Amérique puritaine des années 60 : homosexualité, sado-masochisme, exhibitionnisme, transformisme, parties fines… Et pour les filmer avec des acteurs improvisés de la Factory, il ne s’embarrasse pas d’intrigues amoureuses. Ses films sont classés X.

Image de « Blow job » (Fellation), film de 1964 (© 2015 The Andy Warhol Museum Pittsburgh, PA, a Museum of Carnegie Institute. All rights reserved)

Avec ses « superstars », filles et garçons décadents au look étudié qu’il intronise lui-même et filme constamment, il sort du ghetto gay le style camp (du français camper, prendre la pose), attitude ironique et théâtrale des dandys efféminés et des filles de bonne famille qui veulent rompre avec leur milieu.

Dix ans plus tard, ce seront les années disco où les « party-girls » s’habilleront comme des drag-queens (brushing à boucles et sandales à plate-forme) et les garçons virils comme des « superstars » (Michel Sardou et ses bouclettes).

Musique et performance

En 1964, Gerard Malanga, poète, performeur et fidèle assistant de Warhol, lui fait découvrir le Velvet underground, un groupe de rock sombre au son saturé dont Lou Reed est le guitariste et le chanteur. Warhol les invite à répéter à la Factory. Nico, ancienne mannequin allemande et chanteuse à la beauté glaçante, rejoint la bande.

Gerard Malanga (2e à gauche), the Velvet Underground, Nico et Andy Warhol, Los Angeles, 1966 (Steve Schapiro © The Andy Warhol Foundation for the Visual Arts, Inc. / ADAGP, Paris 2015)

Warhol produit leur premier disque, édite la pochette (la fameuse banane) et conçoit un spectacle où se mêlent la musique (forte et lancinante), des jeux de lumière sur les musiciens, une danse au fouet de Malanga et des projections d’images. Spectacle total, performance pop, Exploding Plastic Inevitable (EPI), reconstitué dans les deux expositions, n’a pas pris une ride.

Claire Fleury

♦ « Warhol Unlimited », au musée d’art moderne (MAM) de la Ville de Paris, jusqu’au 7 février 2016.

« Warhol Underground » au Centre Pompidou-Metz, jusqu’au 23 novembre 2015.

Andy Warhol, Self portrait (Autoportrait), 1986 (© 2015 The Andy Warhol Museum Pittsburgh, PA, a Museum of Carnegie Institute. All rights reserved)

Grand Paris : Manuel Valls garnit sa liste

Avec la même régularité que le changement d’heure, le comité interministériel du Grand Paris revient deux fois l’an depuis que Manuel Valls est Premier ministre. A pareille époque de surcroît. Mais cette troisième édition télescope aussi une campagne régionale. Cela rend cette revue de ce qui a été fait par la gauche dans la région capitale un brin suspecte.

Interrogé là-dessus lors de la conférence de presse qui a suivi le comité, Manuel Valls réplique avec un argument imparable. Il a «fait partie de ceux qui se sont félicité de l’engagement de Nicolas Sarkozy dans le Grand Paris» et ont «salué l’intuition de Christian Blanc», le secrétaire d’Etat sarkozien qui dessina le schéma du futur Grand Paris Express. «Nous avons continué avec les financements», dit-il.

Seul détour politique. Pour le reste, les comités interministériels sur le Grand Paris ressemblent de plus en plus à une to-do list sur laquelle le Premier ministre a tracé deux colonnes : «point d’étape sur les mesures annoncées dans les précédents CIM» et «mesures nouvelles». La deuxième résume évidemment les enjeux.

«Nouveau zonage» de la redevance

D’abord, le développement économique. «Les opportunités perdues se déplacent vers Londres ou encore Berlin», a prévenu Manuel Valls. Il a souligné que les chantiers du Grand Paris Express «vont permettre la création de près de 18 000 emplois» et que «les entreprises du Grand Paris estiment à 108 milliards d’euros les marchés supplémentaires engendrés par ce projet».

Plus largement, pour soutenir les emplois à l’est et en grande couronne, le Premier ministre mettra au débat dans la loi de finances «un nouveau zonage» de la redevance sur les créations de bureaux qui sera divisée par trois en Seine-Saint-Denis et dans le Val-de-Marne et par deux en grande couronne.

Côté transports, les grands mots sont de sortie. «Le chantier du siècle a commencé», pose-t-il. Avec l’équivalent du réseau actuel à construire en quinze ans, la formule n’est pas excessive. «Tous les processus de déclaration d’utilité publique auront été lancés avant la fin de l’année 2016» et, martèle le Prenier ministre, «tous les chantiers du Grand Paris Express sont aujourd’hui financés».

Reste l’épineuse question de la liaison Charles-de-Gaulle-Express, destinée au seul aéroport et hors financements publics. «La société de projet sera créée début 2016», promet le chef du gouvernement. Il voit dans cette avancée un pas vers une desserte de l’aéroport «à la mesure de son envergure».

Un passe culture unique

Moins luxueux mais plus préoccupant pour les Franciliens : l’état des RER. Alors que la ligne A n’a pas cessé de tomber en carafe ces derniers jours, Manuel Valls insiste sur les «7,5 milliards d’euros» de la rénovation d’ici 2020. En fin connaisseur de la ligne D, qui dessert Evry dont il fut maire, il annonce que son invraisemblable exploitation sera «simplifiée».

Le Grand Paris doit aussi servir à développer l’aménagement et, surtout, la création de logements. Pour cela, le Premier ministre possède l’arme fatale : l’OIN, opération d’intérêt national, dans laquelle l’Etat reprend la main, même si les préfets assurent qu’on ne fait rien sans les élus. L’Etat agira «en faveur de quinze territoires dits d’intérêt national», a annoncé Manuel Valls. Les élus ne sont pas toujours ravis de le voir ainsi se mêler de leurs affaires mais le chef du gouvernement veut souligner qu’après les temps «des polémiques», il faut s’«engager ensemble». Les procédures nécessaires doivent être signées dans les six mois.

Dans la liste du Grand Paris, il y a aussi des mesures attrayantes. La programmation de la future cité Médicis de Clichy-sous-Bois «commencera dès 2016». Et un passe culture unique «qui devrait donner accès à tous les lieux culturels publics du Grand Paris» sera instauré. «Nous devons travailler avec le Stif pour qu’il fonctionne avec le passe Navigo unique». Bonne idée.

Sibylle Vincendon

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