« La Damnation de Faust », maltraitée à l’Opéra de Lyon

On le sait : « La Damnation de Faust », ouvrage par ailleurs fort décousu, n’était qu’une évocation musicale, magnifique, géniale, du « Faust » de Goethe ; une « légende dramatique » voulue par Hector Berlioz pour être exécutée en concert. Elle n’était nullement destinée à être interprétée au théâtre jusqu’à ce que Raoul Gunsbourg, passant outre, la porte à la scène à l’Opéra de Monte Carlo, en 1893, ce qui lui valut une volée de bois vert de la part de Claude Debussy dans la revue « Gil Blas », puis dans « Monsieur Croche ».

Procédés étriqués, vieilleries modernistes

Qu’aurait écrit le compositeur du « Prélude à l’après-midi d’un faune » s’il avait eu le malheur de découvrir la mise en scène qu’a effectuée David Marton de « La Damnation de Faust » ? Et que dire en effet de cette réalisation scénique que présente l’Opéra de Lyon ? Que dire, sinon qu’elle est sans génie, sans talent particulier, et que la lecture faussement savante que livre Marton est bien plus confuse et foutraque qu’elle est convaincante ?

A cette musique extraordinaire dans tous les sens du terme, il répond non pas avec le souffle, voire le délire d’un homme inspiré, mais avec des procédés étriqués, des vieilleries modernistes, des idées alambiquées, de celles qui veulent faire passer le metteur en scène pour un intellectuel, un novateur, sinon un iconoclaste, alors qu’il paraît n’être qu’un impuissant. Impuissant à répondre à une musique qui visiblement le dépasse, et ne trouvant que d’insignifiantes parades qui sont autant de fuites devant des problèmes de mise en scène auxquels il n’a ni la stature, ni la poigne de se mesurer.

La Course à l’abîme

Une seule séquence dans cette réalisation est à la hauteur de la partition, au moment de la Course à l’abîme. Avec Laurent Naouri en Méphistophélès, au volant d’une vieille guimbarde qu’on a découverte abandonnée au pied d’un viaduc inachevé, et Charles Workman en Faust trimbalé sur la plateforme arrière, la scène, filmée en vidéo, est épique, saisissante, effroyable même. C’est une incontestable réussite, le seul instant qui puisse impressionner au sein de ce fatras. Las ! A ce moment même, l’Orchestre de l’Opéra de Lyon qui pense sans doute jouer de l’Ambroise Thomas plutôt que du Berlioz, l’Orchestre est alors dépourvu de l’énergie, de la puissance, de l’emballement nécessaires à rendre sa mesure à cet archétype du romantisme le plus noir.

Déjà vu

On s’étonnera aussi de la scénographie imaginée par Christian Friedländer, belle d’ailleurs, et pour cause : elle semble être une copie de celle conçue par Richard Peduzzi pour « Combat de nègre et de chiens », la pièce de Bernard-Marie Koltès mise en scène par Patrice Chéreau en 1983, quand ce dernier prenait la direction du Théâtre des Amandiers de Nanterre.

On y voit un viaduc, qui paraît être une bretelle d’autoroute inachevée, surmontant un paysage désertique où sont abandonnés un cheval et la vieille voiture qu’on citait plus haut. Une citation si criante ne peut pas ne pas être voulue, trois décennies plus tard… A moins d’ignorance crasse de la part de ses auteurs, ce qui est très possible, ou à moins de prendre les spectateurs pour des imbéciles, ce qui peut aussi s’envisager. Mais pour signifier quoi ?

Clones de Méphistophélès

Si l’Orchestre de l’Opéra de Lyon n’est vraiment pas renversant sous la baguette de Kazushi Ono, il n’en est pas de même des chœurs. Ils sont magnifiques, saisissants de clarté, de cohésion, formant un ensemble qui a lui seul justifie la place de première grandeur que Berlioz lui confère dans son ouvrage. Hélas, la mise en scène fige les choristes dans une raideur qui sent son avant-garde des années 1970.

Bientôt habillés à la façon de personnages du peintre Magritte, chapeau melon et pardessus noirs, plantés comme des points d’exclamation sur une feuille blanche, ils apparaissent alors sur scène comme autant de clones de Méphistophélès. Quand on ne leur fait pas ânonner des textes sur ce ton faussement scolaire si en vogue dans ces pauvres mises en scène qui se veulent didactiques autant que vengeresses en croyant crucifier le théâtre classique.

C’est ce néo-académisme que Marton croit sans doute faire passer pour de l’audace, pour une lecture engagée de « La Damnation », quand il n’est rien qu’un faisceau de laborieuses tentatives de meubler et le temps et l’espace.

Souriant jusqu’à l’ignoble

Au milieu de cet ensemble incohérent qui malgré tout dessert cruellement la musique de Berlioz, règne un Méphisto inquiétant, cynique, odieux. L’archétype du conseiller en communication d’aujourd’hui. Ou du fonctionnaire de régime totalitaire, froid, insidieux, lisse et souriant jusqu’à l’ignoble qu’on verra à la fin du spectacle se glisser nuitamment hors de l’Opéra pour accomplir d’autres méfaits dans la ville de Lyon. Dans ce rôle, aussi bon comédien que chanteur, Laurent Naouri excelle.

Et à ce jeu théâtral, il se mesure à un partenaire à son diapason. Charles Workman et Laurent Naouri sont remarquables dans leur travail d’acteurs quand, enfermés dans l’habitacle de la vieille voiture, ils partent à la conquête des plaisirs du monde. A croire que Marton serait un bon directeur de jeu théâtral.

Une certaine gaucherie qu’explique sans doute sa haute taille ne messied pas à Charles Workman dans le rôle de Faust. Sa voix, belle et douce, a cependant du mal à vaincre, dans les aigus, les terribles embûches du rôle. Et son personnage du coup n’est pas tout à fait convaincant. Quant au rôle de la malheureuse Marguerite, il ne permet pas sans doute à Kate Aldrich de donner toute sa mesure de cantatrice, même s’il la dévoile bonne comédienne. Elle chante cependant avec une voix d’une grande pureté, riche en inflexions parmi les plus tendres comme les plus douloureuses. Dans la Romance de Marguerite comme dans la « chanson gothique » du Roi de Thulé, elle est aussi belle qu’émouvante.

L’article assassin de Debussy

Reste que l’ensemble du spectacle ne rend pas grand chose et que les solistes comme les choristes ont un grand mérite à s’en sortir à leur avantage. On demeure effaré face à ces metteurs en scène qui n’ont rien d’essentiel et de clair à dire de l’œuvre dont ils se sont saisis, comme un chien se saisit d’un os. Et qu’ils le disent avec autant de prétention que d’aplomb, tout en parant la confusion de leur propos d’un fatras de propositions bâtardes ou inabouties.

Si cette mise en scène est inopérante, il n’en est pas de même en revanche (on se console comme on peut) du programme présenté sous forme d’un petit livre par l’Opéra national de Lyon. On y trouve des textes remarquablement choisis, parmi lesquels une savoureuse évocation de la création, et de l’échec, de la « Damnation de Faust » en 1846, en présence du duc et de la duchesse de Nemours, évocation rédigée avec esprit par Adolphe Boschot en 1910 ; une belle analyse de la partition de Berlioz par le compositeur Philippe Fénelon; un poème de Pessoa. Et cet article assassin de Debussy sur Gunsbourg où des phrases entières s’appliquent très comiquement aux prétentions actuelles de David Marton.

Raphaël de Gubernatis

« La Damnation de Faust », légende dramatique en quatre parties d’Hector Berlioz. Direction musicale de Kazushi Ono ou de Philippe Forget. Mise en scène de David Marton. Avec Charles Workman, Laurent Naouri et Kate Aldrich, l’Orchestre, les Chœurs et la Maîtrise de l’Opéra de Lyon. Opéra national de Lyon. Dernières représentations le mardi 20 et le jeudi 22 octobre 2015. 04-69-85-54-54.

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