Exit Daech : faut-il reconstruire Palmyre ?

Trois jours à peine après la reprise de la ville et du site archéologique syriens par les forces gouvernementales, la question de la reconstruction de Palmyre fait déjà polémique. « Le site peut être restauré dans un délai de l’ordre de cinq ans », a expliqué à « l’Obs » Maamoun Abdelkarim, directeur des Musées et Antiquités de Syrie joint par téléphone à Damas, la capitale du pays. Dès l’annonce de la victoire de l’armée de Bachar El-Assad, dimanche 27 mars, il avait déclaré à l’AFP : « Le site reviendra comme avant ». « Nous nous attendions au pire » avait-il ajouté « mais le paysage général est en bon état » selon ses correspondants sur place et les images qu’il avait pu visionner.

Mais le lendemain, lundi 28 mars, l’archéologue Annie Sartre-Fauriat, membre du groupe d’experts de l’Unesco pour le patrimoine syrien, s’était dite « perplexe sur la capacité de reconstruire Palmyre ». Le site étant classé au patrimoine mondial de l’humanité, sa reconstruction ne pourrait se faire sans l’aval et le suivi de l’organisation internationale et surtout ses moyens financiers. Mais est-ce la priorité aujourd’hui ? Et comment procéder ? Décryptage.

La paix d’abord

Depuis la destruction spectaculaire des temples de Bêl et de Baalshamin en août 2015, Palmyre est devenue le symbole de la barbarie patrimoniale de Daech en Syrie, après les destructions déjà perpétrées sur le site archéologique et dans le musée de Mossoul, en Irak.

Pourquoi Daech a détruit le temple de Baalshamin à Palmyre

Pour autant, la reprise de Palmyre ne signifie pas la fin de la guerre. L’organisation djihadiste subit des revers sur tous les fronts mais n’est pas vaincue. Quant à Jabhat al-Nosra, le groupe djihadiste affilié à Al-Qaida et hostile à Daech, il est loin d’être neutralisé. La paix en Syrie dépend aussi des combats entre les forces modérées anti-Bachar et le pouvoir en place.

Mais quel que soit l’occupant de Palmyre, le site archéologique reste en danger selon Cheikhmous Ali, archéologue syrien réfugié en France. Membre de l’Association pour la protection de l’archéologie syrienne (Apsa), il a déclaré lundi à l’AFP :

« La protection du site ne compte pas parmi les priorités de l’armée, pas plus que pour les autres belligérants. »

Lors de l’installation de campements militaires entre 2012 et 2014, « de vastes zones archéologiques pas encore fouillées avaient été détruites » poursuit-il.  » Nous, les archéologues, avons perdu de manière irrémédiable des informations très importantes, d’une valeur égale, sinon supérieur, à celle du temple de Bêl », a-t-il regretté. En somme tant que la Syrie est un champ de bataille, la question de la reconstruction de Palmyre relève du vœu pieu.

Pour le pouvoir syrien, qui sort renforcé par cette victoire, elle relève avant tout du symbole. « Cette récupération [de Palmyre sur Daech, NDRL] est une opération politique, médiatique vis-à-vis de l’opinion publique du régime de Bachar al-Assad », a mis en garde Annie Sartre-Fauriat de l’Unesco. « Le reflux de Daech aujourd’hui ne doivent pas faire oublier que le régime est le principal responsable du conflit et de ses 270.000 morts depuis cinq ans », a rappelé au même moment le porte-parole du Quai d’Orsay, Romain Nadal.

Syrie : à Palmyre, la victoire (médiatique) de Bachar al-Assad contre Daech

Une opération coûteuse

Selon Maamoun Abdelkarim 80% du site, dont l’Agora, les bains, le théâtre romain et les murailles de la cité, sont intacts ou légèrement endommagés. Les deux temples, les tours funéraires et le Lion d’Athena, une statue de 15 tonnes, font partie des 20% détruits. Ils ont été entièrement dynamités mais les pièces éparses pourraient être remontées.

« Avant la guerre, il restait seulement les quatre murs du temple de Bêl » précise Régis Vallet, archéologue au CNRS à l’origine avec deux collègues de la pétition pour la Défense du patrimoine irakien. « Les blocs ont explosé mais des techniciens pourraient tout à fait recoller les morceaux, remonter ce qui a été détruit par Daech ».

Quant aux éléments plus délicats, comme les sculptures des niches des tours funéraires et les pièces du musée de la ville, fortement endommagé et saccagé, tout dépend de la précision des archives.

Une vitrine dévastée et des statues abimées dans le musée de Palmyre, lundi 28 mars 2016 (AP/SIPA)

« Avec la photogramétrie, les monuments sont enregistrés en 3D. Il suffit de transmettre le document à un tailleur de pierre ». Encore faut-il que ces documents existent et, si tel est le cas, que la restauration s’effectue avec le soin et le temps nécessaires. « Mais Maamour Abdelkarim, dont je tiens à souligner l’honnêteté et avec qui je partage la joie de la libération du site, semble envisager des restaurations plus importantes » poursuit Régis Vallet. Or selon lui :

« Dans l’état actuel de la Syrie, c’est complètement exclu. En outre, cela coûterait des dizaines de millions d’euros ».

Vers un « Palmyreland » ?

Certains craignent de voir construire une sorte de parc d’attraction sur les ruines, un « Palmyreland  » à la gloire de Bachar, où des bâtiments entiers seraient reconstruits ou « réinventés » à la manière de Viollet-le Duc au XIXe siècle avec les constructions médiévales. Mais à cette époque, l’Unesco n’existait pas et l’opinion internationale n’avait aucun poids. « Je n’ai pas d’inquiétude. Ce n’est pas envisageable », veut croire Régis Vallet.

L’état du site avant le saccage de Daech n’a rien à voir non plus avec les quartiers historiques, comme à Dresde ou Varsovie, détruits pendant la Seconde Guerre mondiale puis reconstruits ultérieurement à l’identique.

« Hormis quelques remarquables constructions, Palmyre était un champ de ruines » rappelle Dominique Fernandez, membre de l’Académie française et auteur de « Adieu, Palmyre » avec le photographe Ferrante Ferranti (*) :

« On ne va pas reconstruire des ruines. »

Claire Fleury

(*) « Adieu, Palmyre », éditions Philippe Rey, mars 2016.

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