Faire vivre l’égalité citoyenne, une urgence démocratique

L’actualité fourmille d’exemples de contestations collectives, et de volonté des citoyens de tous âges et de toutes conditions sociales de prendre part au débat public. Il est urgent de prendre acte de cette richesse démocratique. Agathe Cagé, politiste, présidente du think tank Cartes sur table, en fait ici l’analyse.

L’annonce par François Hollande, mi-février, de la tenue d’un référendum sur le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes a ouvert nombre de sujets difficiles, du périmètre de la consultation à la nature juridique à attacher à son résultat. Mais elle a eu le mérite de mettre sur la table la question centrale auxquels gouvernants et citoyens doivent s’attaquer aujourd’hui : comment faire pleinement vivre la démocratie française en 2016 ?

C’est à l’aune de cette même question – et sans tarder – qu’il faudra faire l’effort d’analyser la mobilisation significative, ces dernières semaines, de lycéens et d’étudiants dans le mouvement social autour de la loi travail, et ce qu’elle nous dit de la nécessité de réinventer la place de la jeunesse dans le débat public.

Il ne s’agit en effet pas d’une question de principe. L’approfondissement démocratique n’est pas une fin en soi. Il n’a de sens que par ce qu’il permet d’atteindre : la confiance entre gouvernants et gouvernés ; la reconnaissance de la légitimité des décisions prises ; le renforcement du sentiment d’appartenance à la société. Sentiment d’appartenance qui est le défi majeur auquel est confrontée aujourd’hui la communauté nationale, dans sa diversité, des sexagénaires des zones pavillonnaires périurbaines aux vingtenaires des banlieues dites sensibles, des quinquagénaires en recherche d’emploi aux agriculteurs trentenaires jouant chaque année leur survie.

Il ne s’agit pas non plus d’une question de résultats électoraux. Confondre dans une même analyse montée de l’abstention et montée du vote pour les extrêmes ou les partis antisystèmes, c’est ignorer que ce vote est, par le mouvement de participation électorale qu’il concrétise, déjà une adhésion au fonctionnement démocratique. Ceux qui souhaitent une dynamisation de la participation politique en France doivent accepter que le verdict des urnes ne soit pas nécessairement similaire à leurs propres préférences politiques.

Il ne s’agit pas, enfin, d’une question institutionnelle, même si partisans et contempteurs de la Cinquième ou d’une fantasmée Sixième République s’en donneront encore à cœur joie dans dix ans. Depuis 2003, la Constitution prévoit un mécanisme de référendum décisionnel local. Depuis 2008, l’option d’un mécanisme de référendum d’initiative partagé existe. Depuis 2009, la possibilité d’un référendum d’initiative populaire est ouverte par les textes européens. Pourquoi si peu de personnes s’en saisissent-elles ? Parce que ces mécanismes n’existent pas dans les consciences et les habitudes citoyennes. Et l’enjeu n’est pas de savoir, contrairement à ce que pensent ceux qui réclament une évolution des textes, si le soutien doit venir d’un dixième ou d’un cinquième des électeurs français, ou de 500.000 plutôt que d’un million de citoyens européens. Non, l’enjeu est de créer les conditions d’une appropriation citoyenne des nouveaux dispositifs de participation politique.

La société française a besoin d’un nouveau ciment et celui-ci sera démocratique : donner à chaque citoyen la même voix au chapitre – non pas dans les textes mais dans les faits – sur les décisions qui impactent son quotidien.

Faire vivre pleinement la démocratie française en 2016 est avant tout une question d’égalité. Notre modèle économique et social n’est plus à même – l’a-t-il jamais été ? – de promettre une convergence des revenus, des conditions de vie, des horizons d’attente. Mais notre modèle démocratique pourrait faire vivre le principe « une personne égale une voix » non plus seulement dans les urnes, mais également en dehors. La participation politique ne s’est jamais réduite à la seule participation électorale. Il nous revient aujourd’hui, après avoir fait l’égalité des électeurs, de faire celle des citoyens.

Les situations d’urgence politique, les grands projets d’aménagement du territoire, les décisions porteuses de risques technologiques à court, moyen et long terme, ne peuvent plus relever, une fois le temps des élections passé, de la seule responsabilité des élus indépendamment de tout mécanisme de consultation et de participation citoyennes. Des mécanismes qui ne doivent plus seulement exister sur le papier mais vivre en pratique.

Des premières pierres ont depuis des années déjà été posées, notamment sous la forme des budgets participatifs qui, nés dans les quartiers de Porto Alegre, ont essaimé en France de Paris à Metz, de Montreuil à Grenoble. Il s’agit à présent de s’atteler à bâtir un édifice démocratique cohérent et global, offrant à la participation citoyenne des espaces d’expression mais aussi d’action, tant dans le champ des finances que dans celui de l’urbanisme, s’agissant tout autant des décisions aux conséquences irréversibles sur le temps long que des virages à prendre dans l’urgence.

Ce défi démocratique devra être relevé par les élus en place et par ceux qui aspirent à exercer demain leurs responsabilités. Il devra également l’être par chacun d’entre nous en tant que citoyen. Car si, à la suite de la victoire du «non» à un référendum sur un projet d’aménagement du territoire, les gouvernants doivent s’engager à réellement abandonner le projet et à ne pas tenter de le faire revivre sous une forme déguisée, les citoyens-opposants au projet doivent également s’engager, à la suite de la victoire du «oui», à mettre fin à toute tentative d’entrave à sa mise en œuvre. Or, ainsi que l’illustrent des expériences récentes en Allemagne, les lendemains de référendum peuvent s’avérer douloureux.

Participer au débat public en en acceptant les règles n’a rien d’une évidence. Interpeller est plus aisé qu’argumenter. Contester est plus facile que proposer. Apprendre à écouter toutes les prises de parole – et avant tout les plus hésitantes et les moins sophistiquées – sera le premier défi à relever. Il faut également apprendre à renoncer à l’argument d’autorité de la supériorité de l’âge et de la prééminence de l’expérience passée. Nous ne manquerons pas sinon de voir les débats immédiatement confisqués par les minorités économiquement favorisées, les professionnels de la politique en herbe, et les boomers bohèmes. Ce qui n’a jamais été source d’innovation et d’inventivité. Mais toujours facteur d’inégalité démocratique.

Si la Grèce est le berceau de la démocratie, la France peut en devenir sa championne. Seule une nouvelle respiration démocratique ressoudera la communauté citoyenne. Et sera à même de donner un sens nouveau et concret à l’étendard français de l’égalité. L’occasion nous en est offerte aujourd’hui.

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