PHOTO. Brejnev et Honecker, le baiser torride de la Guerre froide

Cet été, « l’Obs » revient sur les photos qui ont marqué l’histoire. A la une des journaux, dans les pages de nos livres d’école, voire arborées fièrement sur nos t-shirts, elles ont fait le tour du monde. Mais connaissez-vous l’histoire secrète de ces clichés mythiques ?

Que montre la photo ?

5 octobre 1979, Berlin. C’est le trentième anniversaire de la République démocratique allemande. Une occasion importante en pleine guerre froide, saisie par le régime communiste en place pour faire défiler chars, missiles et autre arsenal militaire. En cette journée de parade, l’invité d’honneur est Leonid Brejnev, éminente figure de la Russie communiste. Ce soir-là, tous les journalistes sont parqués dans la résidence des invités d’honneur au nord de Berlin. « Nous devons alors nous farcir ces longs discours ennuyants, suivis d’échanges de médailles et de baisers fraternels à la russe », témoigne Régis Bossu, le photographe. « J’ai une très mauvaise place derrière les têtes de mes collègues mais, comme la plupart des autres photographes, je ne peux utiliser un grand angle ». Lorsque les lèvres des deux hommes fondent pour ne faire qu’un, Régis Bossu zoome sur les visages et déclenche l’un de ses appareils, en noir et blanc, puis réitère avec son autre appareil, en couleurs.

Il vient alors de créer une image qui va faire le tour du monde. Son agence de photographies, Sygma, diffuse sa photographie, qui fait en France directement la couverture de l’hebdomadaire d’actualité «  »Paris-Match » ». Dans son journal, le photographe Régis Bossu écrit :

Ce très chaud baiser ne pouvait que faire fondre une guerre froide, n’est-ce pas ?

Mais quelque part en Europe, Dimitri Vrubel, un artiste russe encore inconnu, met la main sur cette double page de « Paris-Match ». Frappé par la scène, il se jure de la reproduire un jour sur un grand mur. Dix années plus tard, son rêve se réalise. Le 9 novembre 1989, le mur de Berlin tombe. Dans une initiative spontanée, une longue portion de mur conservé est choisie par une centaine d’artistes afin d’immortaliser leurs œuvres. Sur plus d’un kilomètre, c’est la création de la ESG : East Side Gallery. Immédiatement, le Baiser de Dimitri Vrubel, peint sur 15 mètres carrés, devient la fresque phare de cette attraction, rapidement devenue incontournable aux visiteurs du nouveau Berlin en pleine métamorphose. Tous les touristes se font photographier devant « Le Baiser – The kiss – Der Kuss – El Beso ». C’est par hasard que le photographe à l’origine de cette image découvre son œuvre reprise par le peintre Dimitri Vrubel sur la East Side Gallery.

Devant l’œuvre, il se sent « quelque peu flatté, mais sans plus ». C’est réellement en 2009 que le photographe sort de l’ombre, alors qu’un événement est organisé pour le 20e anniversaire de la chute du mur. Enfin, c’est la rencontre entre le photographe à l’origine de cette image et le peintre qui lui a donné une seconde vie. L’auteur de la photographie possède un nom et un visage, les interviews pleuvent. Les dessous de l’image sont fouillés. Dans le journal « Die Wel »t, une phrase du Général Jaruzelski, homme politique communiste polonais, complète l’image : « J’ai échangé de nombreuses embrassades avec Honecker, il avait une manière dégoûtante d’embrasser ». Cette photo est également mise à côté des autres baisers célèbres, tel celui de l’Hôtel de Ville de Robert Doisneau.

Partie plus méconnue de cette image : son influence sur la publicité. En 2011, la campagne « UNHATE » de United Colors of Benneton fait fureur. Angela Merkel et Nicolas Sarkozy s’embrassant sur la bouche, comme le Pape Benoît XVI et l’Imam de l’université Al-Azhar au Caire, sont des images qui créent la polémique. Ces publicités sont directement inspirées de la photographie prise par Régis Bossu en 1979. Après cette campagne, Régis Bossu raconte en riant qu’il a rencontré un Américain, persuadé que sa photographie était un trucage tiré de ces publicités.

Qui est le photographe ?

Régis Bossu est un photographe français, né à Verdun, qui a couvert la majorité de sa vie l’actualité en Allemagne pour l’agence Sygma. Il a également couvert l’international pour l’agence Sygma, comme les funérailles de l’Ayatollah Khamenei. Il partage maintenant son temps entre la Meuse d’où il est originaire et l’Allemagne.

Louis Witter

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