Clarke et Costelle, un couple haut en couleur

Daniel Costelle a eu deux vies. L’une, hexagonale, celle d’un cinéaste français reconnu pour ses films d’archives. L’autre, internationale, celle du coauteur d' »Apocalypse », fresque de guerre vue par plus de 300 millions de téléspectateurs dans le monde. Entre ces deux vies, un miracle. Ce miracle – sa rencontre avec Isabelle Clarke –, c’est dans la demi-obscurité de la salle de montage que le réalisateur, tout en rondeur, nous le racontera.

Le rendez-vous a été pris des mois à l’avance. Et pour l’honorer, il faut suivre un dédale de couloirs dans les hauteurs du grand bâtiment de France Télévisions. A l’arrivée, une porte grise opaque. Presque une anomalie dans cet édifice de verre où toutes les autres sont trans- parentes. Sur cette porte close, une affichette scotchée : « Apocalypse ». Derrière, un monde feutré, exigu, encombré, et tous les secrets de cette série documentaire cosignée avec Isabelle Clarke.

Leur manière à eux d’écrire l’Histoire

C’est ici que le couple, à la ville et à l’écran, s’est enfermé pour écrire leurs différentes sagas historiques sur Hitler, de Gaulle ou les deux guerres mondiales. Une photo d’un groupe de soviets en noir et blanc vibre sur l’écran d’un des ordinateurs. Touche pause. Cette image, c’est tout ce qu’on verra de « Staline ». Car si France 2 a annoncé un documentaire sur « le petit père des peuples » à l’automne, eux ne veulent rien en dire.

Face aux ordinateurs, Daniel Costelle et Isabelle Clarke pianotent pour faire avancer les images. Leur manière à eux d’écrire l’Histoire. Ils ont inventé un ton. Leur « Apocalypse » pour France 2, vaste photographie de la Seconde Guerre mondiale, diffusé en 2009, a bouleversé la forme et la narration. Une révolution. Archives colorisées, musique omniprésente, montage virtuose, sens de la dramaturgie… Jamais on n’avait raconté l’Histoire comme cela. Fabrice Puchault, directeur de l’unité documentaires à France Télévisions rappelle :

‘Apocalypse’ est le plus gros succès historique de la télévision française à l’exportation. »

Le film a conquis 171 pays dans le monde. Mais le tandem, qui a fondé en 2003 CC&C (Clarke, Costelle & Cie) pour produire ses réalisations, n’a pas convaincu tout le monde. C’est uni que le couple, marié depuis 1990, affronte la polémique.

Débats et querelles

Ils se sont mis à dos des historiens, ont déclenché débats et querelles. On leur reproche de trop jouer la corde sensible, de multiplier les effets. Et, surtout, d’avoir osé coloriser les images d’archives. Isabelle Clarke considère le noir et blanc d’origine comme une « amputation » due à des « limitations techniques ». Le couple préfère donc démocratiser les archives historiques, au grand dam des « intégristes qui voudraient que l’on ne touche pas aux originaux et qu’on les réserve aux chercheurs ».

« Coloriser n’est rien d’autre que maquiller », accuse alors le philosophe historien Georges Didi-Huberman dans les colonnes de « Libération ». Il leur reproche aussi de « véhiculer un discours franchement réactionnaire ». Julie Maeck, chargée de recherche à l’université de Bruxelles, critique, elle, le manque de référencement des archives utilisées.

Daniel ne comprend pas cet acharnement. Isabelle tempère :

Il faut leur répondre comme Pialat. ‘Si vous ne m’aimez pas, je ne vous aime pas non plus’. Ils ne savent pas ce qui se passe dans la salle de montage et notre respect pour les archives. Chaque image est analysée… »

Depuis, tous les documentaires historiques utilisent la colorisation. Ils ont été pionniers. Certains, hostiles au départ, se sont ravisés. Benjamin Stora, universitaire et documentariste estime :

Si les historiens ne rentrent pas dans le processus de colorisation, il se fera sans eux. »

Désormais, le label « Clarke et Costelle » estampille des films historiques pour toutes les chaînes, en France et à l’étranger, et sur tous les sujets : les harkis, l’Occupation, la guerre d’Algérie, le débarquement… Copiés, jalousés, encensés aussi, ils font systématiquement l’événement. Aujourd’hui, ils ambitionnent d’écrire le XXe siècle en images.

Truffaut, Chabrol, Lelouch, Clouzot…

Mais quelle est l’histoire de ce couple tellement passionné par celle des autres ? Calée dans son fauteuil, Isabelle est discrète. Daniel est plus volubile. Il évoque ses « deux vies ». La première était vouée au cinéma. Il séchait ses cours de philo pour aller à la Cinémathèque :

J’ai vu cinq films par jour pendant un an. »

A force de s’asseoir tous les matins au premier rang, il croise les mêmes têtes. Un jour, il les salue. « Bonjour, je m’appelle François Truffaut », lui répond son voisin. Chabrol est quelques fauteuils plus loin. Daniel, le plus jeune, devient la mascotte de la bande qui se retrouve au Mac-Mahon ou au Studio Parnasse. Les « Cahiers du Cinéma » sont leur bible.

Formé à l’école de la RTF (Radio Télévision française), Costelle tourne ses premiers courts-métrages en 1960 avec une caméra prêtée par Claude Lelouch, son copain de promo, qui est aussi son chef opérateur. En échange, Costelle sera assistant pour « le Propre de l’homme », le premier film du réalisateur d' »Un homme et une femme ». Costelle devient ensuite assistant de Clouzot, puis réalise « Coup de feu à dix-huit heures » écrit par Philippe Labro et monté par Maurice Pialat, lui aussi élève de la RTF. Mais la crainte de « ne pas saisir la justesse » hante Costelle.

Filmer au plus juste

En 1966, Jean-Louis Guillaud, de l’ORTF, lui confie la réalisation de « Verdun ». Cette justesse qui lui échappe, Costelle va la trouver dans les films d’archives :

Mon ambition, c’était de faire ce que faisait Hawks : filmer les personnages sur le lieu de leur gloire, dans les conditions qu’ils ont connues. ‘Verdun’, nous l’avons tourné en février, en plein hiver. »

Le film reçoit le grand prix de la critique. Costelle enchaîne avec « les Grandes Batailles », série télé coréalisée avec Henri de Turenne qui occupera le petit écran pendant plus de dix ans.

En 1989, son directeur photo, Jean-Claude Larrieu, le quitte pour réaliser un long-métrage. Son rôle dans le choix du cadre et de la lumière est primordial.

Désemparé, le réalisateur cherche à le remplacer, à retrouver « le style Larrieu ». Il va trouver bien mieux. A la piscine du Racing Club, Isabelle Clarke, jeune photographe, croise Monique Berlioux, directrice générale du CIO qui a tourné avec Costelle « Histoire des jeux Olympiques » en 1980. Les deux femmes sympathisent. Monique Berlioux lui parle de ce réalisateur à la recherche d’un chef opérateur.

Poussée par son amie, Isabelle se rend à l’entretien, « impressionnée ». Daniel voit arriver dans son bureau cette jeune photographe de 28 ans, « belle comme le jour ». Il est de vingt-quatre ans son aîné. Elle lui montre ses clips de mode et des films de pub ou de mariage. Il ne lui trouve qu’un seul défaut : « Elle ne sait pas filmer laid ! » Son choix est fait. Elle a quelque chose en plus : « Du génie. »

Témoins et fonds d’archives

Après, « l’histoire s’est emballée, dit-il sobrement. Il s’est passé quelque chose. » Ils ont une fille en 1991. Isabelle, qui n’a pas pu tourner durant sa grossesse, s’initie au montage. Pour Daniel, elle est « l’idéal absolu : la caméra-stylo, qui sait filmer, monter, écrire, concevoir, réaliser ».

Ils se fixent deux axes fondamentaux : trouver des témoins sur place et se baser sur des fonds d’archives. Leur méthode connaît plusieurs phases : d’abord ce qu’ils appellent « le passage du bac » : tout lire et tout voir sur le sujet. Puis l’écriture du scénario. Vient ensuite la recherche des documents, enfin « le dérushage ».


Ils font tout ensemble. « Une relation fusionnelle », avouent-ils. Pour « Apocalypse, la Seconde Guerre mondiale », ils visionnent 500 heures d’archives pendant trois ans, entourés d’équipes qui fouillent greniers et caves pour trouver la pépite sur de vieilles bobines oubliées. Le couple est en recherche permanente. A chaque fois, le même objectif : toucher le plus grand nombre, surtout les jeunes générations.

« L’Histoire fait du bien aux gens »

C’est en voyant leur fille, Clémentine, s’ennuyer devant les reportages en noir et blanc qu’ils ont l’idée de coloriser les images. Ils font alors appel à un technicien : François Montpellier. Quatre jours de travail pour une minute à l’écran ! Le son est une autre de leurs obsessions. Chaque bruit d’obus est reconstitué fidèlement. Ils parlent de leur travail en commun comme de leur couple :

On se construit par l’étonnement et par une émulation réciproque qui nous nourrit. »

Daniel écrit les textes. « Moi, je nourris la bête », ajoute Isabelle. « Il n’y a pas un mètre d’images, de musique qu’elle ne contrôle pas », renchérit son mari. « Tant que je n’ai pas trouvé, j’ai beaucoup de mal à quitter la table de montage. Je pourrais rester toute la nuit. Mais Daniel m’en extirpe », dit-elle. « Elle est comme hypnotisée », explique Daniel.

Pour « les Oubliés de la Libération », diffusé sur TF1 en 1994, ils se disputent comme des chiffonniers. Pour « Apocalypse, la Première Guerre mondiale », Isabelle part au Canada chercher des images, Daniel ne supporte pas. « Je l’appelais tous les jours. » Ils ne peuvent plus travailler l’un sans l’autre. « C’est mon oxygène », confie Isabelle. « Chaque fois qu’on arrive à quelque chose tous les deux, on a un profond sentiment de bonheur », relance Daniel.

Les inséparables sont fiers d’avoir fait école. Explication d’Isabelle :

Il n’y a ni recette ni complaisance. L’Histoire fait du bien aux gens. Elle a un effet thérapeutique ! »

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