Tout ce que l’on a toujours pensé tout bas sur la rentrée littéraire

Avec Roland-Garros et le Festival de Cannes, la rentrée littéraire est l’une de ces célébrations médiatiques à laquelle il est illusoire d’essayer d’échapper.

Autant l’exaltation qui entoure Roland-Garros paraît légitime – dans la hiérarchie des passions, le sport devance la culture – autant l’intérêt soudain pour des films en compétition laisse dubitatif. Pour les vedettes, peut-être, dont le glamour ferait rêver ? Ou parce qu’il s’agit, comme il est souvent précisé, de vrais films de cinéma ? Mais pour la rentrée littéraire, est-ce que le simple turnover de livres à disposition toute l’année suffit à faire événement quand bien même il s’agirait de vrais livres de littérature ?

Le concept de « rentrée » interroge. Rentrée de quoi au juste ? Sommes-nous à vie de petits enfants pour qui la rentrée est super importante ? Où suggère-t-on que les gens de lettres, écrivains, critiques et éditeurs rentrent tous dans un même mouvement de leur retraite estivale – splendides maisons de Patmos ou ingrates longères hexagonales – pour redonner vie au Paris littéraire ? Se rasseyant au Flore comme un instituteur rouvre son école ? On imagine des fantômes de Jean Paulhan retroussant leurs manches en haut du petit escalier poussiéreux de la rue Sébastien-Bottin, tandis que des écrivains garent des voitures de sport avant d’entrer chez Lipp, cigarette au bec, pour retrouver des jeunes femmes passionnées. Des jurés à la stature colossale font tourner leur armagnac aux couleurs des boiseries de ces restaurants anciens où ils se réunissent. Tractations qui font rêver le grand public et trembler les auteurs qui savent qu’ils peuvent être mis hors Goncourt d’un simple aphorisme.

Une photo publiée par EXEMPLAIRE (@exemplaireparis) le 15 Août 2015 à 9h58 PDT

Cette rentrée, qui automne après automne, se veut la reconduction d’un éternel Saint-Germain-des-Prés, évoque ces produits de terroir en vente dans les ères d’autoroute ponctuant des paysages qui ont cessé d’exister. Ainsi la rentrée littéraire serait les rillettes de canard ou la bouteille de poiret d’un Mont-Saint-Michel des éditeurs. Tels ces panneaux qui nous signalent au milieu d’une plaine sans âme que nous entrons en « Terre des seigneurs cathares », il y a les déclarations fracassantes des dos de kiosques de la dernière semaine du mois d’août, affichant en une les auteurs qui enflamment la rentrée. Arpentant les trottoirs, on comprend qu’il y a eu en notre absence une fermentation culturelle qui tout à coup explose – souvent trop tôt.

Comme tous les grands événements qui structurent l’année – départ en vacances d’hiver, ponts, grands départs –, la rentrée littéraire est génératrice d’engorgements. Si l’auteur d’automne ne risque pas l’hébergement en gymnase pour cause de tempête de neige, où une attente cataclysmique à un péage autoroutier, il ne fait pas moins les frais d’une grande bousculade.

Les héros de la fête sont accueillis par les soupirs de découragements de ceux-là mêmes qui sont censés l’organiser, certains critiques évoquant ces mères qui, organisant des mariages grandioses, feignent de souffrir le martyr en attendant la fin du maelström.

Une photo publiée par Penguin Books (@penguinukbooks) le 28 Août 2015 à 3h14 PDT

Je me souviens ainsi de ma surprise, lorsque publiant mon premier roman et guettant le coup de tonnerre de la publication, je découvrais la révolte unanime des journalistes devant la surproduction littéraire de cette année-là. C’était à les lire la pollution infâme d’une édition dérégulée, à peu près pire que si des industriels chinois étaient venus déverser à gros glouglou leurs déchets sur les tables de nos derniers libraires. Sans être nominativement désignés – j’échappais au « avons-nous réellement besoin d’un roman intitulé Mémoires d’un pitbull* »? –, nous ne pouvions en tant qu’auteurs que nous sentir coupables. Parmi mes compagnons d’infortune, je regardais avec beaucoup de compassion un petit livre souvent placé près du mien, sans doute parce qu’il y avait un chien sur la couverture. Si l’un doit disparaître en premier, pensais-je, ce sera celui-là. Ce murmure d’appel d’une jeune femme désarmée qui publiait son premier livre, ce Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part d’une certaine Anna Gavalda, me serrait le cœur.

* Mémoires d’un pitbull, éditions Denoël

Par Jean-Philippe Delhomme

About the author

A propos

FRANCE MEETINGS EST UN PETIT BLOG SANS PRÉTENTION SUR LE BEAU PAYS QU'EST LA FRANCE. C'EST DE L'ACTU, DE LA CULTURE, DE LA POLITIQUE, DE L'ECONOMIE... TOUT SUR LA FRANCE.