Tout ce que l’on a toujours pensé tout bas sur la rentrée littéraire

Avec Roland-Garros et le Festival de Cannes, la rentrée littéraire est l’une de ces célébrations médiatiques à laquelle il est illusoire d’essayer d’échapper.

Autant l’exaltation qui entoure Roland-Garros paraît légitime – dans la hiérarchie des passions, le sport devance la culture – autant l’intérêt soudain pour des films en compétition laisse dubitatif. Pour les vedettes, peut-être, dont le glamour ferait rêver ? Ou parce qu’il s’agit, comme il est souvent précisé, de vrais films de cinéma ? Mais pour la rentrée littéraire, est-ce que le simple turnover de livres à disposition toute l’année suffit à faire événement quand bien même il s’agirait de vrais livres de littérature ?

Le concept de « rentrée » interroge. Rentrée de quoi au juste ? Sommes-nous à vie de petits enfants pour qui la rentrée est super importante ? Où suggère-t-on que les gens de lettres, écrivains, critiques et éditeurs rentrent tous dans un même mouvement de leur retraite estivale – splendides maisons de Patmos ou ingrates longères hexagonales – pour redonner vie au Paris littéraire ? Se rasseyant au Flore comme un instituteur rouvre son école ? On imagine des fantômes de Jean Paulhan retroussant leurs manches en haut du petit escalier poussiéreux de la rue Sébastien-Bottin, tandis que des écrivains garent des voitures de sport avant d’entrer chez Lipp, cigarette au bec, pour retrouver des jeunes femmes passionnées. Des jurés à la stature colossale font tourner leur armagnac aux couleurs des boiseries de ces restaurants anciens où ils se réunissent. Tractations qui font rêver le grand public et trembler les auteurs qui savent qu’ils peuvent être mis hors Goncourt d’un simple aphorisme.

Une photo publiée par EXEMPLAIRE (@exemplaireparis) le 15 Août 2015 à 9h58 PDT

Cette rentrée, qui automne après automne, se veut la reconduction d’un éternel Saint-Germain-des-Prés, évoque ces produits de terroir en vente dans les ères d’autoroute ponctuant des paysages qui ont cessé d’exister. Ainsi la rentrée littéraire serait les rillettes de canard ou la bouteille de poiret d’un Mont-Saint-Michel des éditeurs. Tels ces panneaux qui nous signalent au milieu d’une plaine sans âme que nous entrons en « Terre des seigneurs cathares », il y a les déclarations fracassantes des dos de kiosques de la dernière semaine du mois d’août, affichant en une les auteurs qui enflamment la rentrée. Arpentant les trottoirs, on comprend qu’il y a eu en notre absence une fermentation culturelle qui tout à coup explose – souvent trop tôt.

Comme tous les grands événements qui structurent l’année – départ en vacances d’hiver, ponts, grands départs –, la rentrée littéraire est génératrice d’engorgements. Si l’auteur d’automne ne risque pas l’hébergement en gymnase pour cause de tempête de neige, où une attente cataclysmique à un péage autoroutier, il ne fait pas moins les frais d’une grande bousculade.

Les héros de la fête sont accueillis par les soupirs de découragements de ceux-là mêmes qui sont censés l’organiser, certains critiques évoquant ces mères qui, organisant des mariages grandioses, feignent de souffrir le martyr en attendant la fin du maelström.

Une photo publiée par Penguin Books (@penguinukbooks) le 28 Août 2015 à 3h14 PDT

Je me souviens ainsi de ma surprise, lorsque publiant mon premier roman et guettant le coup de tonnerre de la publication, je découvrais la révolte unanime des journalistes devant la surproduction littéraire de cette année-là. C’était à les lire la pollution infâme d’une édition dérégulée, à peu près pire que si des industriels chinois étaient venus déverser à gros glouglou leurs déchets sur les tables de nos derniers libraires. Sans être nominativement désignés – j’échappais au « avons-nous réellement besoin d’un roman intitulé Mémoires d’un pitbull* »? –, nous ne pouvions en tant qu’auteurs que nous sentir coupables. Parmi mes compagnons d’infortune, je regardais avec beaucoup de compassion un petit livre souvent placé près du mien, sans doute parce qu’il y avait un chien sur la couverture. Si l’un doit disparaître en premier, pensais-je, ce sera celui-là. Ce murmure d’appel d’une jeune femme désarmée qui publiait son premier livre, ce Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part d’une certaine Anna Gavalda, me serrait le cœur.

* Mémoires d’un pitbull, éditions Denoël

Par Jean-Philippe Delhomme

Clarke et Costelle, un couple haut en couleur

Daniel Costelle a eu deux vies. L’une, hexagonale, celle d’un cinéaste français reconnu pour ses films d’archives. L’autre, internationale, celle du coauteur d' »Apocalypse », fresque de guerre vue par plus de 300 millions de téléspectateurs dans le monde. Entre ces deux vies, un miracle. Ce miracle – sa rencontre avec Isabelle Clarke –, c’est dans la demi-obscurité de la salle de montage que le réalisateur, tout en rondeur, nous le racontera.

Le rendez-vous a été pris des mois à l’avance. Et pour l’honorer, il faut suivre un dédale de couloirs dans les hauteurs du grand bâtiment de France Télévisions. A l’arrivée, une porte grise opaque. Presque une anomalie dans cet édifice de verre où toutes les autres sont trans- parentes. Sur cette porte close, une affichette scotchée : « Apocalypse ». Derrière, un monde feutré, exigu, encombré, et tous les secrets de cette série documentaire cosignée avec Isabelle Clarke.

Leur manière à eux d’écrire l’Histoire

C’est ici que le couple, à la ville et à l’écran, s’est enfermé pour écrire leurs différentes sagas historiques sur Hitler, de Gaulle ou les deux guerres mondiales. Une photo d’un groupe de soviets en noir et blanc vibre sur l’écran d’un des ordinateurs. Touche pause. Cette image, c’est tout ce qu’on verra de « Staline ». Car si France 2 a annoncé un documentaire sur « le petit père des peuples » à l’automne, eux ne veulent rien en dire.

Face aux ordinateurs, Daniel Costelle et Isabelle Clarke pianotent pour faire avancer les images. Leur manière à eux d’écrire l’Histoire. Ils ont inventé un ton. Leur « Apocalypse » pour France 2, vaste photographie de la Seconde Guerre mondiale, diffusé en 2009, a bouleversé la forme et la narration. Une révolution. Archives colorisées, musique omniprésente, montage virtuose, sens de la dramaturgie… Jamais on n’avait raconté l’Histoire comme cela. Fabrice Puchault, directeur de l’unité documentaires à France Télévisions rappelle :

‘Apocalypse’ est le plus gros succès historique de la télévision française à l’exportation. »

Le film a conquis 171 pays dans le monde. Mais le tandem, qui a fondé en 2003 CC&C (Clarke, Costelle & Cie) pour produire ses réalisations, n’a pas convaincu tout le monde. C’est uni que le couple, marié depuis 1990, affronte la polémique.

Débats et querelles

Ils se sont mis à dos des historiens, ont déclenché débats et querelles. On leur reproche de trop jouer la corde sensible, de multiplier les effets. Et, surtout, d’avoir osé coloriser les images d’archives. Isabelle Clarke considère le noir et blanc d’origine comme une « amputation » due à des « limitations techniques ». Le couple préfère donc démocratiser les archives historiques, au grand dam des « intégristes qui voudraient que l’on ne touche pas aux originaux et qu’on les réserve aux chercheurs ».

« Coloriser n’est rien d’autre que maquiller », accuse alors le philosophe historien Georges Didi-Huberman dans les colonnes de « Libération ». Il leur reproche aussi de « véhiculer un discours franchement réactionnaire ». Julie Maeck, chargée de recherche à l’université de Bruxelles, critique, elle, le manque de référencement des archives utilisées.

Daniel ne comprend pas cet acharnement. Isabelle tempère :

Il faut leur répondre comme Pialat. ‘Si vous ne m’aimez pas, je ne vous aime pas non plus’. Ils ne savent pas ce qui se passe dans la salle de montage et notre respect pour les archives. Chaque image est analysée… »

Depuis, tous les documentaires historiques utilisent la colorisation. Ils ont été pionniers. Certains, hostiles au départ, se sont ravisés. Benjamin Stora, universitaire et documentariste estime :

Si les historiens ne rentrent pas dans le processus de colorisation, il se fera sans eux. »

Désormais, le label « Clarke et Costelle » estampille des films historiques pour toutes les chaînes, en France et à l’étranger, et sur tous les sujets : les harkis, l’Occupation, la guerre d’Algérie, le débarquement… Copiés, jalousés, encensés aussi, ils font systématiquement l’événement. Aujourd’hui, ils ambitionnent d’écrire le XXe siècle en images.

Truffaut, Chabrol, Lelouch, Clouzot…

Mais quelle est l’histoire de ce couple tellement passionné par celle des autres ? Calée dans son fauteuil, Isabelle est discrète. Daniel est plus volubile. Il évoque ses « deux vies ». La première était vouée au cinéma. Il séchait ses cours de philo pour aller à la Cinémathèque :

J’ai vu cinq films par jour pendant un an. »

A force de s’asseoir tous les matins au premier rang, il croise les mêmes têtes. Un jour, il les salue. « Bonjour, je m’appelle François Truffaut », lui répond son voisin. Chabrol est quelques fauteuils plus loin. Daniel, le plus jeune, devient la mascotte de la bande qui se retrouve au Mac-Mahon ou au Studio Parnasse. Les « Cahiers du Cinéma » sont leur bible.

Formé à l’école de la RTF (Radio Télévision française), Costelle tourne ses premiers courts-métrages en 1960 avec une caméra prêtée par Claude Lelouch, son copain de promo, qui est aussi son chef opérateur. En échange, Costelle sera assistant pour « le Propre de l’homme », le premier film du réalisateur d' »Un homme et une femme ». Costelle devient ensuite assistant de Clouzot, puis réalise « Coup de feu à dix-huit heures » écrit par Philippe Labro et monté par Maurice Pialat, lui aussi élève de la RTF. Mais la crainte de « ne pas saisir la justesse » hante Costelle.

Filmer au plus juste

En 1966, Jean-Louis Guillaud, de l’ORTF, lui confie la réalisation de « Verdun ». Cette justesse qui lui échappe, Costelle va la trouver dans les films d’archives :

Mon ambition, c’était de faire ce que faisait Hawks : filmer les personnages sur le lieu de leur gloire, dans les conditions qu’ils ont connues. ‘Verdun’, nous l’avons tourné en février, en plein hiver. »

Le film reçoit le grand prix de la critique. Costelle enchaîne avec « les Grandes Batailles », série télé coréalisée avec Henri de Turenne qui occupera le petit écran pendant plus de dix ans.

En 1989, son directeur photo, Jean-Claude Larrieu, le quitte pour réaliser un long-métrage. Son rôle dans le choix du cadre et de la lumière est primordial.

Désemparé, le réalisateur cherche à le remplacer, à retrouver « le style Larrieu ». Il va trouver bien mieux. A la piscine du Racing Club, Isabelle Clarke, jeune photographe, croise Monique Berlioux, directrice générale du CIO qui a tourné avec Costelle « Histoire des jeux Olympiques » en 1980. Les deux femmes sympathisent. Monique Berlioux lui parle de ce réalisateur à la recherche d’un chef opérateur.

Poussée par son amie, Isabelle se rend à l’entretien, « impressionnée ». Daniel voit arriver dans son bureau cette jeune photographe de 28 ans, « belle comme le jour ». Il est de vingt-quatre ans son aîné. Elle lui montre ses clips de mode et des films de pub ou de mariage. Il ne lui trouve qu’un seul défaut : « Elle ne sait pas filmer laid ! » Son choix est fait. Elle a quelque chose en plus : « Du génie. »

Témoins et fonds d’archives

Après, « l’histoire s’est emballée, dit-il sobrement. Il s’est passé quelque chose. » Ils ont une fille en 1991. Isabelle, qui n’a pas pu tourner durant sa grossesse, s’initie au montage. Pour Daniel, elle est « l’idéal absolu : la caméra-stylo, qui sait filmer, monter, écrire, concevoir, réaliser ».

Ils se fixent deux axes fondamentaux : trouver des témoins sur place et se baser sur des fonds d’archives. Leur méthode connaît plusieurs phases : d’abord ce qu’ils appellent « le passage du bac » : tout lire et tout voir sur le sujet. Puis l’écriture du scénario. Vient ensuite la recherche des documents, enfin « le dérushage ».


Ils font tout ensemble. « Une relation fusionnelle », avouent-ils. Pour « Apocalypse, la Seconde Guerre mondiale », ils visionnent 500 heures d’archives pendant trois ans, entourés d’équipes qui fouillent greniers et caves pour trouver la pépite sur de vieilles bobines oubliées. Le couple est en recherche permanente. A chaque fois, le même objectif : toucher le plus grand nombre, surtout les jeunes générations.

« L’Histoire fait du bien aux gens »

C’est en voyant leur fille, Clémentine, s’ennuyer devant les reportages en noir et blanc qu’ils ont l’idée de coloriser les images. Ils font alors appel à un technicien : François Montpellier. Quatre jours de travail pour une minute à l’écran ! Le son est une autre de leurs obsessions. Chaque bruit d’obus est reconstitué fidèlement. Ils parlent de leur travail en commun comme de leur couple :

On se construit par l’étonnement et par une émulation réciproque qui nous nourrit. »

Daniel écrit les textes. « Moi, je nourris la bête », ajoute Isabelle. « Il n’y a pas un mètre d’images, de musique qu’elle ne contrôle pas », renchérit son mari. « Tant que je n’ai pas trouvé, j’ai beaucoup de mal à quitter la table de montage. Je pourrais rester toute la nuit. Mais Daniel m’en extirpe », dit-elle. « Elle est comme hypnotisée », explique Daniel.

Pour « les Oubliés de la Libération », diffusé sur TF1 en 1994, ils se disputent comme des chiffonniers. Pour « Apocalypse, la Première Guerre mondiale », Isabelle part au Canada chercher des images, Daniel ne supporte pas. « Je l’appelais tous les jours. » Ils ne peuvent plus travailler l’un sans l’autre. « C’est mon oxygène », confie Isabelle. « Chaque fois qu’on arrive à quelque chose tous les deux, on a un profond sentiment de bonheur », relance Daniel.

Les inséparables sont fiers d’avoir fait école. Explication d’Isabelle :

Il n’y a ni recette ni complaisance. L’Histoire fait du bien aux gens. Elle a un effet thérapeutique ! »

Plusieurs milliers de personnes rassemblées à Paris en soutien aux réfugiés

«Pas en notre nom» : plusieurs milliers de personnes se sont réunies ce samedi après-midi à Paris pour un rassemblement de soutien aux réfugiés, à la suite d’un appel citoyen lancé sur les réseaux sociaux. «Ouvrez les frontières !», «Droit d’asile pour toute personne persécutée» ou encore «L’accueil pour moi c’est oui», pouvait-on lire sur des pancartes arborées par les manifestants, de tous âges et parfois venus en famille.

D’autres brandissaient la photo du petit Aylan, un Syrien de trois ans retrouvé mort sur une plage de Turquie, une image qui a fait la une de nombreux quotidiens à travers le monde, suscitant une grande émotion. «J’en ai marre que les gens aient peur», a témoigné une participante, Véronique Wattiaux, 60 ans. «La société c’est un brassage permanent. Je veux représenter ceux qui sont pour l’accueil.»

Ce rassemblement, intitulé «Pas en notre nom – #RéfugiésMigrantsDignité», «est né d’une discussion sur Facebook, de gens qui se demandaient comment faire pour exprimer quelque chose spontanément (…) dire non aux politiques migratoires répressives qui conduisent à la mort de milliers de personnes et oui à l’accueil», a expliqué l’un des organisateurs, l’auteur et réalisateur Raphaël Glucksmann, fils du philosophe André Glucksmann.

L’appel sur Facebook de ce collectif citoyen a été relayé par plusieurs associations, comme SOS Racisme ou la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra). Des représentants de partis de gauche, socialistes, communistes et écologistes, avaient annoncé leur intention de se joindre à la manifestation.

Tensions devant la mairie du 18e arrondissement

Au même moment, des militants bataillaient avec la police devant la mairie du 18e arrondissement, rapportait un journaliste sur place, pour pouvoir fournir des couvertures et des vivres à des migrants qui se sont installés là après avoir été évacués du square Jessaint vendredi.

 

Une 60aine de migrants de la Chapelle installés depuis hier devant la mairie du 18e. Flics partout, toit nulle part. pic.twitter.com/2mrt8LUobZ

— Olivier Cyran (@OlivierCyran) 5 Septembre 2015

 

Contrairement à d’autres, qui ont accepté d’être conduits dans des centres d’hébergement, ces migrants ont choisi de rester dans le 18e arrondissement.

En Hongrie, une situation intenable

La Hongrie a lâché prise. Comme la Grèce et la Macédoine, elle est désormais impuissante à endiguer le flot de réfugiés : elle les laisse filer vers la frontière autrichienne. Les autorités hongroises ont acheminé des milliers de migrants à bord de quelque 90 bus à la frontière dans la nuit de vendredi à samedi. Et ceux qui sont encore dans le pays sont encouragés à suivre le mouvement. «Samedi matin, la police nous a dit qu’on pouvait partir si on voulait», raconte Idrissa Kane, un Sénégalais de 22 ans, qui se trouvait au centre de réfugiés de Debrecen, à l’est du pays, depuis 10 jours. Il a aussitôt pris le train pour la gare de l’Est où il a acheté un billet de train pour la frontière autrichienne. Des centaines de demandeurs d’asile ont quitté d’autres camps et ont, eux aussi, rejoint la gare de l’Est dans la journée de samedi ; si le trafic international reste interrompu, de nombreux trains ont été mis en circulation jusqu’à Hegyeshalom, bourg frontière entre l’Autriche et la Hongrie. De là, on franchit la frontière à pied. «Train bon pour Autriche ? Légal ?», interrogeait un migrant irakien devant des affichettes écrites à la main en anglais et en arabe, mises en place par des bénévoles hongrois, et indiquant les horaires des prochains départs. Dans la gare, pas un seul agent en vue : seule une poignée de policiers affables aiguillaient les centaines de voyageurs vers les quais.

La situation devenait intenable pour les autorités hongroises, débordées: plus de 50 000 migrants sont arrivés pour le seul mois d’août en Hongrie. Vendredi, la crise a atteint son paroxysme lorsque 300 personnes se sont rebellées dans un camp de transit au sud du pays et que 1 500 réfugiés sont partis à pied vers l’Autriche. Le soir même, le gouvernement annonçait qu’il affrétait des bus. «On ne peut pas forcer les gens à s’enregistrer chez nous s’ils ne le veulent pas», reconnaissait Janos Lazar, directeur de cabinet de Viktor Orban, le Premier ministre, ajoutant : «Personne ne nous a aidés, ni l’Union européenne, ni l’Autriche, ni l’Allemagne.»

«Tests»

En vertu des lois européennes les nouveaux arrivants, qui déposent une demande d’asile dès leur entrée en Hongrie, doivent rester dans des centres de réfugiés jusqu’au traitement de leur dossier, ce qui peut prendre plusieurs mois. Mais la grande majorité de ces candidats n’a aucune envie de s’éterniser, et surtout pas dans les spartiates camps hongrois. «Je dormais par terre, et les 3 sandwiches que l’on avait par jour étaient tellement mauvais que je ne mangeais que le pain», raconte Mohammad, originaire de Syrie.

Le gouvernement hongrois a tout fait pour empêcher les demandeurs d’asile de quitter le pays, allant jusqu’à fermer la gare de l’Est dimanche dernier. Mais le lendemain, soudainement, la gare était rouverte, les policiers disparaissaient et les trains pour Vienne et Munich étaient pris d’assaut. Le lendemain, tout aussi inexplicablement, l’accès de la gare était de nouveau bloqué aux migrants. Pourquoi une telle confusion ? Une dizaine de jours plus tôt, la chancelière Angela Merkel avait annoncé qu’elle ne renverrait pas les réfugiés syriens vers le pays par lequel ils étaient rentrés dans l’UE. Alors que ces derniers affluaient en Hongrie, des médias allemands suggéraient que des trains spéciaux pourraient être mis en place entre la Hongrie et l’Allemagne. Confus, perplexe quant aux intentions du pouvoir allemand, et sans doute lost in translation, Viktor Orban a décidé d’ouvrir la gare. «Nous avons fait un test», indique une source proche du gouvernement. En 1989, c’est avec le même pragmatisme que les communistes hongrois avaient «testé» l’ours soviétique, en proposant de désélectrifier le rideau de fer pour protéger les pauvres lapins qui s’y faisaient régulièrement griller.

«On veut l’Allemagne»

Le soir même de l’ouverture de la gare, la chancelière allemande signifiait aux Hongrois qu’ils devaient continuer à enregistrer et garder les réfugiés chez eux. Les autorités hongroises comprenaient qu’elles avaient fait fausse route et bloquaient les quais. Mais le gouvernement de Viktor Orban est largement responsable de la confusion et du chaos qui ont suivi. Il n’a jamais cherché à communiquer aux migrants. «Ils nous ont eus en nous vendant des billets de train ; ils savaient qu’on ne pourrait pas les utiliser», s’indigne Hassan, un Afghan de 25 ans. Comble de l’arnaque, le pouvoir a fait rouvrir la gare jeudi et des centaines de migrants se sont précipités à bord du premier train en partance pour l’Autriche. Mais le train était un leurre car il s’est arrêté près d’un centre de réfugiés. Se sentant trahis, les migrants ont refusé de sortir des wagons où ils sont restés près de 24 heures en criant: «Pas de camp ! On veut l’Allemagne !»«Ce gouvernement hongrois, je ne lui fais plus confiance du tout», assurait Saram Abadi, un informaticien syrien.

La Hongrie se vide vers le Nord mais au sud, l’afflux se poursuit. Samedi, la police hongroise bloquait l’accès d’un village frontalier de la Serbie à 200 Syriens et Irakiens. Au même moment, le parti d’extrême droite Jobbik manifestait devant le ministère de l’Intérieur en demandant le verrouillage complet de la frontière sud. Viktor Orban envisage d’y faire déployer l’armée. Sera-ce suffisant ? Rien n’est moins sûr. Signe du chaos dictatorial qui règne en Hongrie, le ministre de l’intérieur a choisi cette semaine… pour partir en vacances.

Le groupe Téléphone se reforme ? Non mais Allo quoi !

C’était la bonne nouvelle d’hier : Téléphone, le groupe mythique du rock français, se reformait le temps d’un concert. L’événement national aura lieu au Point Ephémère, le 11 septembre prochain, pour une poignée de 300 veinards. Certains l’avaient compris un peu en amont, lorsque Richard Kolinka, le batteur, avait porté sur sa page Facebook ce message énigmatique le 27 août :

Il y a un concert de rock, le 11 septembre au Point Ephémère, à ne pas râter. »

Excellente nouvelle en effet, puisque cela fait bientôt 30 ans qu’on l’annonce régulièrement… et que ça n’arrive pas. Récemment encore, le guitariste Louis Bertignac racontait, à la faveur d’un entretien radiophonique, qu’il avait réussi non sans mal à réunir les trois membres dans ce but. Mais à peine Jean-Louis Aubert aurait ouvert la bouche que Corine Marienneau, l’ancienne bassiste du groupe, lui serait tombé dessus :

Tu n’as jamais été le patron et tu ne le seras jamais. »

Rideau. En 2012, le producteur Gilbert Coullier avait réservé trois Stade de France, mais le projet est tombé à l’eau et Johnny Hallyday avait joué les vedettes de remplacement.

Téléphone le retour ?

Hier, sur RTL, Francis Zégut on nous annonçait donc une nouvelle historique, osons le mot. Sauf que, au risque d’éteindre le feu, de tuer l’enthousiasme béat, de passer pour des mauvais coucheurs ou d’infatigables grincheux, il nous faut le dire : c’est faux. Il n’y a pas plus de reformation du groupe Téléphone, le 11 septembre prochain, que d’apparition du Père Noël dans la nuit du 24.

Parce que le groupe Téléphone, qu’on le veuille ou non, c’est : Jean-Louis Aubert, Louis Bertignac, Richard Kolinka et Corine Marienneau. Qu’on le veuille ou non ! Historiquement, moralement, juridiquement aussi. C’est pourquoi les 300 privilégiés assisteront au concert non pas de Téléphone, mais des Insus-portables. C’est un peu drôle, pas loin du ridicule.

Les Insus tels que présentés sur le site du Point Ephémère (Capture d’écran)

Mais Corine, qui fut tour à tour la compagne de Bertignac puis d’Aubert, est depuis des lustres personna non grata au sein du groupe. Son livre confessions, « Le fil du temps », dans lequel elle énonçait quelques vérités peut-être, du moins sa vision de ses années Téléphone, avait sérieusement déplu à ces messieurs. Les femmes dans le rock, c’est les femmes dans le rap : elles sont rares, voir indésirables.

Coup marketing

Pour information, Aubert, Bertignac et Kolinka se sont déjà retrouvés sur scène ensemble, c’était au Bus Palladium au mois de décembre 2013. Axel Bauer avait sans vergogne remplacé Corine Marienneau. Le Point Ephémère ne sera qu’une resucée du Bus Palladium.

Peut-être faut-il préciser, enfin, que le 20 novembre prochain, la maison de disques Warner projette toute une série de rééditions : l’intégrale des albums, un disque hommage et autres babioles à paraître le 20 novembre. Le concert « historique » du 11 septembre constitue un formidable lancement, un joli coup marketing.

Sophie Delassein

Le père d’Aylan : «Mes enfants m’ont glissé des mains»

La famille d’Aylan Shenu, l’enfant retrouvé mort, mercredi, sur la plage à Bodrum (Turquie), avait désespérément tenté de trouver asile au Canada. Sa demande avait été rejetée en juin, selon le quotidien canadien Ottawa Citizen. Selon les médias turcs, trois membres de cette famille de Kurdes syriens, fuyant Kobané, ont péri dans le naufrage d’un bateau surchargé qui tentait de rejoindre l’île de Kos : Aylan, 3 ans, son frère Ghaleb, 5 ans, et leur mère Rihanna, 27 ans.

Au total, treize personnes sont décédées dans le naufrage de deux bateaux. Le père, Abdullah, a survécu, et selon le quotidien canadien, son seul souhait désormais est de ramener leurs corps à Kobané, la ville syrienne ravagée par les combats, de les y enterrer, avant de s’y enterrer lui-même.

A Vancouver, c’est Teema, la sœur d’Abdullah, une coiffeuse établie au Canada depuis vingt ans, qui avait tenté de les faire accepter comme réfugiés. Sans succès. Le journal affirme que les autorités turques sont responsables de ce rejet, car elles auraient refusé de délivrer les autorisations de sortie nécessaires. «J’ai essayé de les parrainer, des amis et des voisins m’ont aidée en offrant des garanties bancaires, mais on n’a pas pu les faire sortir, et c’est pourquoi ils sont montés dans ce bateau», affirme Teema.

Abandon des passeurs

Selon Jenan Moussa, une journaliste de la chaîne de télé Al Aan TV basée à Dubaï, le père était barbier à Damas, puis avait fui en Turquie, mais faute de moyens pour vivre, il «rêvait d’un avenir au Canada», écrit-elle sur son compte Twitter, en affirmant tenir ses informations de différentes sources contactées à Kobané.

La famille a donc tenté sa chance. Ils se sont retrouvés sur un bateau de 5 mètres transportant douze personnes. Quand la mer est devenue mauvaise, «les passeurs turcs ont quitté le bateau, laissant les passagers à leur sort». Le navire a chaviré au bout d’une heure. «La famille s’est alors accrochée au bateau. Abdullah a essayé de retenir ses deux enfants et sa femme, mais un par un, ils ont été emmenés par les vagues», poursuit la journaliste. Le père, seul survivant de la famille, a passé trois heures dans l’eau avant d’être récupéré par les gardes-côtes grecs.

«Nous avions des gilets de sauvetage mais le bateau a subitement chaviré parce que des gens se sont levés. Je tenais la main de ma femme. Mais mes enfants m’ont glissé des mains», a raconté Abdallah Shenu à l’agence de presse Dogan, citée par l’AFP.

Photographier pour «refléter le drame de ces gens»

«Il faisait noir et tout le monde criait. C’est pour ça que ma femme et mes enfants n’ont pas pu entendre ma voix. J’ai essayé de nager jusqu’à la côte grâce aux lumières mais je n’ai pas pu retrouver ma femme et mes enfants une fois à terre. Je suis allé à l’hôpital et c’est là que j’ai appris la mauvaise nouvelle.»

La famille avait emprunté de l’argent pour payer des passeurs, mais les premières tentatives ont échoué. «La première fois, les gardes-côte nous ont arrêtés. Nous avons été libérés plus tard». La deuxième fois, «les passeurs nous ont fait faux bond et ne sont jamais venus nous chercher avec leur bateau», a expliqué Abdallah. Pour la troisième fois, ils ont, avec d’autres «récupéré un bateau et essayé de traverser seuls». Avec le résultat que l’on connaît.

Nilüfer Demir, la photographe de l’agence de presse privée Dogan qui a pris le terrible cliché d’Aylan inanimé sur la plage a témoigné sur la chaîne d’information CNN-Türk : «Quand je l’ai vu, je suis restée figée, glacée. Il n’y avait malheureusement plus rien à faire pour cet enfant. J’ai fait mon métier». Avant d’ajouter : «En les photographiant [avec le corps de son frère ndlr], j’ai simplement voulu refléter le drame de ces gens».

Agriculteurs: le gouvernement ne comble que la FNSEA

A Paris, jeudi. (Photo Edouard Caupeil)

Sur les prix, l’une des principales préoccupations des éleveurs, le Premier ministre a promis la fermeté du gouvernement, affirmant que le ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, maintiendra «la pression pour que les engagements de hausses de prix annoncés par les industriels et les distributeurs soient tenus». «Tout le monde doit respecter les règles du jeu, avec une juste rémunération pour chacun», a-t-il ajouté. Enfin, sur le volet des normes environnementales, le gouvernement a décrété une «pause» dans la prise de mesures nationales jusqu’à février 2016. «Le but est d’associer très en amont les professions agricoles à la définition des mesures qui les concernent directement», a déclaré Manuel Valls, souhaitant mettre fin aux «surtranspositions» de normes françaises et européennes.

Oliver Sacks, le « neurologue romantique », est mort

Le neurologue et écrivain britannique Oliver Sacks est mort ce dimanche 30 août à New York, où il résidait. Il avait 82 ans. En février, il avait révélé qu’il souffrait d’un cancer. Le succès de ses livres a fait de lui l’un des médecins les plus célèbres du monde. Dans «l’Homme qui prenait sa femme pour un chapeau», «l’Eveil» ou «Un anthropologue sur Mars», il a réveillé le genre du «récit clinique» cher à Freud et aux médecins du XIXème siècle, et avait mis son expérience à la portée du grand public.

Dans une langue élégante et décontractée, avec un art consommé de la mise en scène et de la narration, il racontait ses patients: un peintre qui a perdu la perception des couleurs, un homme atteint d’agnosie visuelle qui ne peut identifier que des formes géométriques simples et ne peut donc pas reconnaître un visage, un chirurgien parcouru de tics qui disparaissent quand il opère.

Ces tableaux et ces portraits partent d’un dysfonctionnement du cerveau, d’un dérèglement de la machine perceptive ou cognitive. Sacks était visiblement touché par l’étrange humanité de ses patients. Avec tendresse et humour, il montrait comment ceux-ci se débrouillaient pour vivre avec leur syndrome. Et il nous apprenait beaucoup sur nous-mêmes. Marcher, sentir, voir, entendre : Sacks explique en quoi ça consiste, grâce à ceux qui n’y parviennent pas. Il appelait cela de la «neurologie romantique».

Dans d’autres livres, comme «l’Ile en noir et blanc» ou «Des yeux pour entendre», il se faisait l’ethnologue du peuple des déréglés, étudiant la culture et les pratiques collectives produites par la surdité ou les troubles visuels. Oliver Sacks s’est aussi plusieurs fois auto-étudié. Dans «Sur une jambe», il racontait les séquelles d’un accident après lequel il avait été persuadé que sa jambe blessée n’existait plus. Dans «l’Oeil de l’esprit», il parlait de ce mélanome oculaire qui lui a fait perdre la vision de l’œil droit.

Il a vendu des millions de livres à travers le monde. Il disait recevoir environ dix mille lettres par an. Il répondait systématiquement aux enfants, aux vieillards et aux prisonniers. Il restera comme l’un des hommes les plus sympathiques de nos bibliothèques. Chez lui, la science et l’art se regardaient mutuellement. Il était un de ces humanistes complets qui refusent de séparer les sciences dures et les sciences humaines. On lui tire notre chapeau.

David Caviglioli

Millénium 4: mission accomplie

Tout inconditionnel de la trilogie est sur ses gardes. Intraitable, prêt à torpiller le successeur du regretté Stieg Larsson au moindre contre-sens, dès la plus petite trahison. Et puis rien de cela n’arrive. Bien au contraire. Dès les premières pages, on sait que la mission a priori impossible consistant à donner une suite à «Millénium» et confiée à David Lagercrantz, auteur suédois réputé, est une réussite. Alors on avance dans le livre avec l’impatience caractéristique qui prélude aux retrouvailles attendues. Avec le plaisir aussi de ne pas savoir qui sera de la fête – Erika Berger bien sûr, l’inspecteur Bublanski et Sonja Modig, pour ne citer qu’eux. Passé quelques pages, le nouveau «Millénium» a déjà le pouvoir hypnotique des trois autres.

«Ce qui ne me tue pas» s’ouvre par un petit matin d’hiver à Stockholm. Mikael Blomkvist, toujours journaliste, toujours à la tête de sa revue d’investigation «Millénium», a trois ou quatre ans de plus que dans «la Reine dans le palais des courants d’air» (tome 3). Il est en petite forme. Il est devant sa machine à café, une Jura Impressa X7 et regarde passer un cappucino extra fort. Il a lu jusque tard dans la nuit un polar d’Elizabeth George, après un week-end passé avec un autre polar d’Elizabeth George et quelques numéros du «New Yorker», à l’abri de la pluie glacée qui s’abat continument sur la ville. L’intrigue s’égrène au fil de courts chapitres habilement ordonnés selon le calendrier – Début novembre, le 20 novembre, le soir du 20 novembre, le 21 novembre – sous un violent climat norvégien, des vents de 100 kilomètres par heure, une température à moins dix.

Mais pour l’heure, Blomkvist se passerait bien d’aller à la réunion prévue ce matin-là. Contre son avis, on vient de vendre 30% des parts de «Millénium». Un représentant du nouvel actionnariat s’est invité devant la rédaction. Le type, Blomkvist le voit déjà, son manque d’inspiration, son discours de normopathe, son envie mal dissimulée de bazarder l’héritage et les enquêteurs de son espèce, indifférents aux réseaux sociaux et à la «conversion au numérique». Faire plus jeune et plaire aux annonceurs, disent-ils. Oui, mais avec un produit de plus en plus insipide ; pas de quoi quitter son lit avec extase. En même temps, il doitbien l’admettre: son journal est menacé, les ventes chutent, les revenus publicitaires aussi. Lui-même, «Super Blomkvist» comme l’appellent encore les habitués du bistrot d’en bas de chez lui, n’a pas été foutu de faire un scoop depuis la retentissante affaire Zalachenko (Millénium 3).

C’est alors que la chance, cette composante essentielle du talent, s’offre a lui sous les traits d’un gringalet au cheveu plat qui lui donne rendez-vous au bistrot d’en bas justement. L’inconnu a les yeux explosés de ceux qui passent leur vie en tête à tête avec un écran plat. Linus, c’est son nom, a été quelques temps l’assistant de Franz Balder, autorité mondiale à la pointe du concept de la «singularité technologique», selon laquelle l’intelligence des ordinateurs dépassera bientôt celle de l’homme (concept à ce jour hypothétique, mais tout de même). Le risque en serait ni plus ni moins que la perte du contrôle de l’homme sur son destin. Or ce Balder se cloitre chez lui avec cameras de surveillance dans sa luxueuse résidence stockholmoise, complètement parano, après un passage écourté dans une start-up de la Silicon Valley travaillant sans relâche sur ces questions d’intelligence artificielle (IA). Le jeune homme craint pour la vie du savant. A l’évidence Franz Balder en sait trop, beaucoup trop.

Par ailleurs, mais sans doute est-ce lié, une inquiétante gothique à la mine sombre et aux manières discutables a fait intrusion chez Linus il y a trois jours, poussé le jeune homme sur son palier le temps d’expertiser son ordinateur et de balancer un laconique «On vous a eu», avant de disparaitre dans la nature. Lisbeth Salander n’est pas loin, dirait-on, l’affaire est sérieuse. Depuis combien de temps ne l’a-t-il pas revue? Blomkvist sait qu’elle craque régulièrement son ordinateur. C’est sa façon à elle de prendre des nouvelles. Aussi leurs retrouvailles auront-elles en préambule ce mot déposé par Blomkvist dans sa propre console à l’attention de la hackeuse virtuose: «Que faut-il penser de l’intelligence artificielle de Franz Balder ?» Ainsi démarre «Millénium 4».

Très finement, David Lagercrantz transpose l’univers de Stieg Larsson dans l’après-Snowden. Pour son scénario, le successeur a longuement consulté quelques grandes têtes chercheuses du moment, comme Andreas Strömbergsson, professeur de mathématiques à l’université d’Uppsala ou David Jakoby chercheur en sécurité au Kaspersky Lab.

Intitulé «la Fille dans la toile du web» dans les pays anglo-saxons, «Ce qui ne me tue pas» s’articule autour de la guerre silencieuse entre Google et la N.S.A., la National Security Agency, et d’autres groupuscules plus obscurs encore. Tous sont polarisés par le développement de l’ordinateur quantique, lequel marquerait l’avènement de l’AGI, l’artificial general intelligence et la perspective d’ordinateurs qui s’autoperfectionnent à un rythme fou, et dont l’intelligence pourrait devenir des millions de fois supérieure à celle de l’homme, sans qu’il soit même possible d’en imaginer les conséquences.

Dans «Millénium 4», cette compétition est elle-même surveillée par la Hacker Republic, composée de génies qui, loin de tout piratage puéril, estiment urgent de surveiller ceux qui nous surveillent:

Ils savaient tous mieux que quiconqueà quel point la N.S.A. avait gravement outrepassé ses pouvoirs ces dernières années. Aujourd’hui l’organisation ne se contentait pas de mettre sur écoute les terroristes, ou tout individu représentant un risque potentiel pour la sureté, ou encore les potentats, chefs d’Etat et autres. Il surveillait quasiment tout (…) et pénétrait de plus en plus dans la vie privée de chacun. Evidemment personne au sein de Hacker Republic ne pouvait se vanter d’être un exemple dans ce domaine. Un hacker était par définition un individu qui dépassait les bornes pour le meilleur et pour le pire (…). Aucun d’entre eux n’aimait l’idée que les piratages informatiques les plus graves et lesplus dénués de scrupules étaient commis, non par des rebelles solitaires ou des hors la loi, mais par des géants au sein de l’Etat.»

En plus de reprendre le flambeau de l’heroic piratage, David Lagercrantz active habilement un autre ressort central de la série: la fascination pour le syndrome d’Asperger de Lisbeth Salander, une forme supérieure de l’autisme perçu par le lecteur comme un surdon à la fois très enviable et totalement empoisonné. Entre en scène dans «Millénium 4» un autiste-savant de 8 ans, en l’occurrence le fils de Hanz Balder, étrange et adorable enfant absorbé par les courbes elliptiques et la factorisation des nombres premiers. (On découvre à a cette occasion que Lagercrantz a beaucoup lu Oliver Sacks et «l’Homme qui prenait sa femme pour un chapeau».) L’enfant a des tueurs d’élite a ses trousse, car son exceptionnelle mémoire photographique a enregistré ce qui n’aurait pas du l’être. Le face-à-face au cours d’une cavale nocturne mémorable entre Lisbeth et son double enfantin offre un prétexte à évoquer les jeunes années d’une héroïne devenue mutique par peur phobique de la trahison, et de faire entrer dans l’histoire sa soeur jumelle. Simplement évoquée dans la trilogie, Camilla va amplement (et macabrement) rattraper le temps perdu.

L’inquiétude collective au sujet des nouvelles technologies, de l’avènement d’un monde orwellien où les frontières entre le normal et le criminel s’estompent est telle que ce livre devrait frapper les esprits. Comme Stieg Larsson, David Lagercrantz opère avec son duo baroque à nouveau réuni une traversée radicale des apparences, dans «un monde malade, comme dit l’inspecteur Bublanski, un monde où l’individu paranoïaque est le plus sain d’esprit». Ce qui, au fond, est le fil conducteur de «Millénium».

Anne Crignon

Millénium 4. Ce qui ne me tue pas,

par David Lagercrantz,

traduit du suédois par Hege Roel-Rousson,

Actes Sud, 500 p., 23 euros (en librairies le 27 août).

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