L’emmerdeur Terry Gilliam publie ses mémoires

« La politique est le show-business des moches »

La lecture de son livre est un délice : s’y côtoient des illustrations, des graffitis, des collages, des photos et une autoanalyse sans concession. Il prétend être devenu cinéaste «pour acquérir les profondes blessures émotionnelles et spirituelles dont [s]on enfance outrageusement heureuse [l]’a si cruellement privé».

Gamin, il donnait un coup de main aux cirques de passage, faisait des parties de cartes avec les nains, apprenait des tours de magie, jouait du cor d’harmonie en rêvant d’Elvis Presley, communiquait en morse, et se persuada assez vite, en regardant Nixon, que «la politique est le show-business des moches». Son éducation sexuelle fut élémentaire: il fit la cour à sa première fiancée en se déguisant en prise électrique mâle, puis il se mit à lire Dostoïevski, et tout se gâta. Il devint romantique.

Le « barbare » des Monty Python

Monté à New York, Terry Gilliam réalisa des romans-photos avec un acteur débutant, Woody Allen, fit travailler Robert Crumb dans une revue, exécuta des dessins pour Goscinny dans «Pilote», et fut révulsé par la «bêtise absolue et hypocrite de la guerre du Vietnam». Son divorce avec les Etats- Unis a débuté là : Terry Gilliam, depuis plus de trente ans, est devenu anglais, rebuté par les âneries des présidents américains successifs.

Adopté par la bande des Monty Python, il a mis en oeuvre leur philosophie, «faire rire le commun des mortels avec des trucs complètement idiots». Dans le groupe, il fut le «barbare» et eux, les «êtres supérieurs». D’où le tournage bizarre de son premier film, «Sacré Graal» (1975): «On avait repéré un mouton mort au bord de la route alors que nous en cherchions un pour le balancer du haut des remparts. Mais tout le monde s’était mis à vomir…» Ambiance.

On connaît la suite : « la Vie de Brian » (1979), épopée biblique kitsch signée par un autre Monty Python, Terry Jones, parti d’une idée simple: «Jésus-Christ : la soif de gloire». A sa sortie, le film rassembla catholiques, protestants et juifs contre cette oeuvre «sacrilège».

Dans la tête de Terry Gilliam

« Brazil » (1985) fut un mélange des contes de Grimm et des errances de Kafka, qui provoqua l’ire des producteurs (ils exigèrent des coupes. Réponse de Gilliam : «Allez vous faire foutre !»).

«Les Aventures du baron de Münchhausen» (1988) débutèrent avec la volonté d’engager Marlon Brando. Celui-ci vint au rendez-vous, toucha ses orteils et repartit. Pendant le tournage, les costumes s’égarèrent quelque part en Afrique du Sud, alors que l’équipe était à Cinecittà… Dès lors, Terry Gilliam prit conscience de son statut artistique : «clairement un emmerdeur».

« L’Armée des douze singes » (1995) fut un cauchemar; «Las Vegas Parano» (1998), une entreprise folle («comme attirer un coyote dans une cabine téléphonique») ; «Don Quichotte», une catastrophe grandiose; et «l’Imaginarium du Dr Parnassus» (2009), une débâcle due à la mort de l’acteur principal. Scoumoune ? Non. Comme le dit Gilliam : «J’ai une incroyable aptitude à ne jamais faire les choses dans les règles de l’art.»

Ces « Mémoires » nous permettent d’être dans la tête de Terry Gilliam. Mais, comme il le souligne page 233 : «Merde ! C’est bien le dernier endroit où j’ai envie d’être.»

François Forestier

Gilliamesque. Mémoires pré-posthumes,

par Terry Gilliam,

traduit de l’anglais par Julie Sibony,

Sonatine, 352 p., 25 euros.

Paru dans « L’Obs » du 5 novembre 2015.

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