Attentat déjoué à Toulon : l’enquête fait apparaître de nouvelles connexions

Après l’annonce, début juillet, d’un projet d’attentat déjoué contre le sémaphore de Béart (Pyrénées-Orientales), les militaires étaient une nouvelle fois visés par un jihadiste. Mardi, Canal+ a révélé l’interpellation, le 29 octobre, d’un Toulonnais de 25 ans, Hakim M., qui ambitionnait une attaque contre la base navale de la marine nationale du Var. En garde à vue, l’homme est passé rapidement aux aveux. Mis en examen le 2 novembre pour «association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste», il était connu depuis l’été 2014 par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) pour ses velléités de départs en Syrie et son activité ostentatoire sur Facebook. Les enquêteurs ont notamment découvert des posts glorifiant l’action de l’Etat islamique (EI), ainsi que des échanges éloquents avec un autre Toulonnais, Mustapha M., parti, lui, en Syrie en décembre 2014.

Alertés par le contenu de leurs conversations, les services intérieurs ont intercepté deux colis, commandés par Hakim M. sur un site internet chinois, dont l’un contenait deux cagoules noires et un «couteau de combat». Le jihadiste présumé avait choisi d’acheter du matériel en ligne après avoir échoué à se procurer une kalachnikov en Corse. Ces colis avaient pour destination le foyer Adoma, dans lequel résidait Hakim M., qui avait coupé les ponts avec sa famille et ses amis depuis plusieurs mois. «Même si son passage à l’acte n’était pas encore totalement clair, son profil est un peu plus sérieux et déterminé que les trois jeunes impliqués dans le projet d’attaque près de Perpignan [Les trois suspects, Ismaël K. (17 ans), Djebril A. (23 ans) et Antoine F. (19 ans) consultaient tout de même des documents de propagande de l’EI et des manuels de confection d’engins explosifs, ndlr]. Toutefois, on observe désormais des similitudes dans de nombreux dossiers. Des consignes sont données par des connaissances en Syrie et certains, sur le territoire français, sont désignés ou se portent volontaires pour les appliquer», confie un policier antiterroriste haut placé.

C’est en effet en dialoguant avec Mustapha M. qu’Hakim M. se serait fortement radicalisé. Agé de 21 ans, Mustapha M.a lui-même un lourd passif. Il a été interpellé en septembre 2012 pour des menaces formulées à l’encontre de Charlie Hebdo après la publication de caricatures de Mahomet. A l’époque, les policiers tentent de mettre au jour ses différentes connexions, notamment celles dont il dispose dans la cellule jihadiste dite Cannes-Torcy. Son démantèlement avait conduit à 21 mises en examen. Deux de ses membres supposés s’étaient manifestés par le jet d’une grenade dans une épicerie casher de Sarcelles (Val-d’Oise) le 19 septembre 2012.

Si Mustapha M. n’est pas directement impliqué dans cette équipée, plusieurs discussions sur les réseaux sociaux entre lui et Jérémy Bailly, l’un des leaders de la cellule Cannes-Torcy, et Yann Nsaku, un autre protagoniste, ont fortement intéressé les policiers à l’époque. Le 20 septembre 2012, il nie pourtant farouchement ses desseins lors de sa garde à vue : «Aujourd’hui, j’ai renoncé à mon projet [de frapper Charlie, ndlr]. Vous me demandez précisément pourquoi ? C’est effectivement parce que je suis seul et que je n’aurais pas les moyens de réaliser ce genre d’action en agissant seul. […] Je crois que je serais capable de revenir à ce projet si j’étais entouré de gens pour m’aider.» Toutefois, des perquisitions effectuées à son domicile avaient permis de mettre la main sur plusieurs couteaux. Libéré sous contrôle judiciaire en avril 2013, il cesse de pointer au commissariat en décembre 2014, période à laquelle il gagne la Syrie. Il se serait alors basé un temps à Raqqa, la capitale syrienne du califat de l’Etat islamique (EI), et se targue «d’avoir combattu» selon une source des services de renseignements.

Pour sa part, Hakim M. a tenté de rejoindre les zones de combat en octobre et décembre 2014. La première fois, sa famille l’en a empêché en confisquant ses documents de voyage. Hakim M. les a alors déclarés volés, avant, semble-t-il, de réussir à reprendre les originaux à ses parents. En décembre, il tente de quitter la France par la route, et rejoint la frontière italienne où ses documents déclarés volés font tiquer les autorités lors d’un contrôle. Quelques semaines plus tard, en février 2015, une interdiction administrative de sortie de territoire, permise par la loi antiterroriste votée en novembre 2014, est prononcée à son encontre. Contraint de rester à Toulon, il aurait, sur conseils de Mustapha M., choisi de s’en prendre à des marins de la base navale, les militaires étant des cibles récurrentes de la propagande de l’Etat islamique.

Willy Le Devin

Le testament philosophique d’André Glucksmann

André Glucksmann : Voltaire, reviens

André Glucksmann est un homme aux aguets. Depuis sa jeunesse maoïste, qu’il regrettera – quand d’autres s’enorgueillissent encore de leurs égarements-, il n’a jamais cessé d’être sur la brèche. Fils de communistes juifs autrichiens, membres du Komintern, réfugiés en France pendant la guerre – son père meurt en 1940, sa mère rejoint la Résistance -, il entre dans la vie en combattant.

Ses titres de gloire sont nombreux : chef de file des nouveaux philosophes, un temps assistant de Raymond Aron, il acclimate Soljenitsyne en France contre le scepticisme d’une gauche encore éblouie par le mirage soviétique, dénonce le totalitarisme dans des livres percutants, prend langue avec les dissidents tchèques, russes, polonais, se lie d’amitié avec Václav Havel, réconcilie Sartre et Aron pour défendre les boat people vietnamiens, est salué par Michel Foucault et Roland Barthes.

L’un des tout premiers, il pointe l’agression serbe à Vukovar en 1991, prend parti pour le pouvoir algérien contre les islamistes au moment de la guerre civile de 1992, s’alarme de la brutalité de Moscou en Tchétchénie, s’enthousiasme pour les révolutions de velours en Géorgie et en Ukraine et fustige sans relâche le maître du Kremlin et ses complices allemands.

Communisme et nazisme, « abjections jumelles »

S’il s’est éloigné de la gauche officielle, se rapprochant de positions atlantistes, il reste le défenseur inconditionnel des minorités, des errants, des Roms, dans une sorte de gauchisme libertaire qui ne l’a point quitté. Il s’est trompé parfois, accordant sa confiance à des politiciens qui l’ont utilisé, mais il n’a jamais quêté aucun honneur, passe-droit, faveur, titre, vivant tout entier pour ses livres et ses convictions dans un ascétisme de l’engagement qui force le respect.

Dans l’ouvrage qu’il publie aujourd’hui, synthèse de son oeuvre, il érige le «Candide» de Voltaire en discours de la méthode d’une Europe fatiguée, incapable d’identifier les périls qui la menacent. Le conte philosophique est un «récit qui pense», sorte de petite bombe dont les effets de déflagration se font sentir sans relâche depuis trois siècles. Glucksmann trouve en Voltaire un frère en ironie : comme lui, il sait que les hommes ne s’entendent jamais sur un bien mais contre un mal précis qui risque de les dévorer. Les citoyens, s’ils se divisent sur la définition du meilleur, s’unissent au moins contre le pire.

Communisme et nazisme, « abjections jumelles », intégrismes, nationalismes, tribalismes se donnent la main pour asservir, massacrer au nom d’absolus terrestres. Il faut donc dévisager l’épouvante pour détecter, derrière les belles proclamations, «les mangeurs d’hommes les plus féroces». Face à la barbarie qui renaît sans cesse, deux camps semblent se donner la main, les optimistes, à l’image de Pangloss, pour qui tout mal recèle un bien caché, et les nihilistes, qui ont pris acte de la folie humaine et s’en lavent les mains, cessant de croire à quelque chose puisqu’ils ne peuvent croire en tout.

« Solidarité des ébranlés »

La grande révolution voltairienne au XXe siècle a été incarnée peut-être par la Charte 77 lancée à Prague en 1977 par Václav Havel et inspirée du philosophe tchèque Jan Patocka au nom de «la solidarité des ébranlés». Des artistes, des intellectuels, des ouvriers se sont associés contre le mensonge officiel, les illusions lyriques, l’espérance trompeuse. Si beaucoup de choses les séparaient, seul les réunissait leur combat contre le socialisme réel.

Au final, l’auteur tire du « Candide » de Voltaire une conclusion toute en modestie : nous devons cultiver et défendre notre jardin, l’Europe, la seule civilisation sans transcendance qui laisse fleurir la diversité des modes de vie. Guetteur halluciné de l’abjection, André Glucksmann termine par un sourire amusé sur la comédie humaine. La vigilance n’exclut pas la bienveillance.

Pascal Bruckner

Paru dans « L’Obs » du 13 novembre 2014.

Autour de la mort d’André Glucksmann

> Le philosophe André Glucksmann est mort

> André Glucksmann par Michel Foucault

> André Glucksmann, ce que je lui dois, par Michel Crépu

> Le testament philosophique d’André Glucksmann, par Pascal Bruckner

> ENTRETIEN. Quand Glucksmann analysait le nihilisme contemporain

> ENQUÊTE. Que reste-t-il des « nouveaux philosophes »?

> 40 ans après, l’incroyable histoire de « l’Archipel du Goulag »

> DOSSIER. En 2015, qui sont les intellectuels de gauche?

Les 1ères pages de « Voltaire contre-attaque », d’André Glucksmann

« Spectre » : Il est bon, le Bond

He is back ! En deux heures et demie, il a le temps de casser deux hélicos, un avion, quelques Range Rover, une Maserati, un wagon-restaurant, de voir exploser le bâtiment des services secrets, grand comme le palais de Ceausescu, d’agacer ses supérieurs, de se faire injecter du smart blood (du sang avec des nanopuces), de se faire forer deux trous dans le crâne, de subir les sarcasmes de Franz Oberhauser alias Blofeld, de bazarder un colosse par la porte du train, de séduire trois créatures, dont la sublime Lucia (Monica Bellucci). Il a le diable dans la peau, Bond, James Bond. Comme le dit le méchant :

Vous êtes un cerf-volant dansant dans la tempête. »

Résultat : un 007 d’excellente cuvée, un poil moins spectaculaire que « Skyfall », mais nettement plus réjouissant que les versions avec les sourires paresseux de Roger Moore ou les mines tragiques de Timothy Dalton. Au moins, quand Daniel Craig balance un bourre-pif, on y croit.

Pour ce 24 opus (on ne compte pas les versions non estampillées par EON Productions), notre agent secret part sur la piste d’une organisation mystérieuse, Spectre, dont le but est le piratage des données de neuf pays, pour la domination mondiale. Daech, à côté, c’est une blague. Boko Haram, une crotte de mouche.

La Foire du Trône de l’espionnage

Spectre, c’est du lourd. D’autant plus que le big boss a des liens familiaux avec Bond (je ne vous en dis pas plus) et que tous les personnages des films précédents étaient pris dans les mêmes tentacules (juste pour qu’on comprenne bien, le générique est truffé de pieuvres). Mais rassurez-vous : James sauve la Couronne et, accessoirement, la planète.

Filmé avec malice par Sam Mendes (« American Beauty »), ce « 007 Spectre » démarre lors du jour des Morts à Mexico – c’est spectaculaire –, continue à Tanger, dans un bar louche, se poursuit à Rome et se termine dans le désert marocain. Entre-temps, James a quand même réussi à jeter sa bagnole (qui vaut trois millions de livres sterling) dans la Tamise.

Bref, tout est là : la luxueuse chanson du générique, le thème musical, l’exotisme, l’érotisme soft, la violence, la castagne, les belles montres, la paranoïa, l’univers de conte de fées. « 007 Spectre » est le film fun ultime, la Foire du Trône de l’espionnage, et, pour James Bond, c’est une sorte de Parc-aux-Cerfs où les filles attendent son bon plaisir. 007 est donc un cerf ? Volant, parfois.

François Forestier

♥♥♥ « 007 Spectre » , par Sam Mendes. Film d’action américain, avec Daniel Craig, Christoph Waltz, Léa Seydoux, Monica Bellucci (2h30).

XXI – Lidya – Allez Monsieur, il ne vous reste plus qu’une station

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Ce seul moment où nous nous regardons, c’est celui là, cette situation là. 

Nous ne parlerons pas à la terrasse d’un café, nous n’échangerons jamais autrement que dans le lieu de la photographie . Sans doute est ce l’endroit le plus naturel pour être avec quelqu’un.

Car le naturel , c’est ce moment là, dans quel autre élément , vous me donnez plus de temps et d’attention là que dans n’importe quelle autre situation, vous êtes avec moi plus longtemps que je pourrais vous accaparer.

– Allez Monsieur, il ne vous reste plus qu’une station pour me photographier.

© Bruno Levy

 

Glucksmann était « capable de dévaster un studio de télévision par la colère »

Encore les dates, ces bonnes vieilles dates, nos béquilles: Censier 1974, à la vitrine du libraire d’en face, entre deux numéros de «Tel Quel», la tête triste, médicale, de Soljenitsyne et celle, beatnik, d’André Glucksmann. «L’Archipel du Goulag», «La cuisinière et le mangeur d’hommes». Deux livres pour entrer dans mon époque. Ou plus exactement : deux livres pour vivre mon époque.

Mai avait passé, nous n’aurions pas vingt ans avec Sartre, mais avec les zeks de «l’Archipel». J’avais vu, de ma petite fenêtre donnant sur le cimetière Montparnasse, les funérailles de l’auteur des «Mots», dernier acte du XIXème siècle révolutionnaire. Avec Soljenitsyne a commencé la suite, celle-là même où nous sommes encore.

Et André Glucksmann aura incarné dans cette histoire non encore racontée en son fond véritable, métaphysique, la figure de l’intercesseur. Le philosophe de Clausewitz, le commentateur du «Petit livre rouge» pour qui Mao offrait – aussi étrange que cela paraisse aujourd’hui une porte de sortie hors de la gangue stalinienne, le beatnik de la GP tombe sur «L’Archipel».

Soudain, ce n’est plus le «militant» qui mène la danse en mettant un chloroforme à ses doutes intimes, car il y a quelqu’un d’autre dans la pièce, qui regarde en face, comme la vérité devant le mensonge. Le zek de «l’Archipel» a quelque chose à dire, son livre sous le bras. Glucksmann, ici, est l’homme qui demande qu’on écoute ce que le miséreux du cercle polaire a de si important à raconter.

Pour l’étudiant que j’étais alors, cette lecture de «Soljé via Glucks», fut une sorte d’acte inaugural, intellectuel, littéraire. Tout a commencé là pour moi. Pas un mot écrit, depuis, qui ne soit redevable à cette prodigieuse leçon de vérité sur soi-même. Depuis, j’ai souvent relu et m’y plonge encore régulièrement, des pages au hasard de «l’Archipel». Et toujours, je crois entendre en surimpression cette voix de converti qu’avait Glucksmann, capable de dévaster un studio de télévision par la colère, l’impatience de faire lire ce qui avait changé sa vie.

On a beaucoup moqué l’invention des «nouveaux philosophes», on a ri de ces colères médiatiques. Les faits, pourtant, sont têtus : si Glucksmann, et avec lui un Clavel, un Bernard-Henri Lévy, un Christian Jambet, n’avaient pas si vigoureusement secoué le cocotier, nous en serions encore aux gloses d’une vieille gauche radicalo-stalinienne. Ces gloses n’ont d’ailleurs pas disparu tout à fait, l’onde de choc n’a pas fini sa trajectoire. Il y a encore du travail. Il va simplement falloir faire sans Glucks.

Son dernier livre, un hommage à Voltaire, prenait de plein fouet la nouvelle doxa du prétendu politiquement incorrect, celle-là même dont se drapent les nouveaux imposteurs de la prétendue scène intellectuelle. Il reprenait le sabre de combat, en hommage à son grand-père réfugié sur les routes de l’Europe nazie.

Glucksmann ne se laissait pas intimider par ces bonnes raisons que l’on ne cesse de trouver, le plus normalement du monde, à la mise à mort de la charité. Un assassinat de civilisation. La charité est un acte essentiel d’essence biblique, par lequel on témoigne de la prééminence du plus pauvre, quelle que soit la situation. C’est ce que Glucksmann appelait la morale d’«extrême urgence», appliquant aux guerres contemporaines ces fruits de lecture où le nom d’Emmanuel Levinas prend place au premier rang.

On rit beaucoup, aujourd’hui, chez Mr Ruquier, de ces fadaises éthiques, «droitdel’hommistes». Ceux qui rient aujourd’hui de ces colères démodées ont sur eux le rictus de l’éternelle lâcheté. Qu’André Glucksmann ne voie pas cela nous sert ici d’amère consolation.

Michel Crépu

Rédacteur en chef de la «NRF»

Le site internet de la «NRF»

VIDÉO. La polémique d’André Glucksmann avec Francis Cohen de « l’Humanité »

(« Apostrophes », 24 juin 1974)

VIDÉO. André Glucksmann à propos de la contestation

(« Apostrophes », 24 juin 1974)

Autour de la mort d’André Glucksmann

> Le philosophe André Glucksmann est mort

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PHOTOS. André Glucksmann, un pourfendeur du totalitarisme

PHOTOS. André Glucksmann : retour sur la vie du

Le philosophe avec son fils Raphaël Glucksmann. C’est ce dernier, sur Facebook, qui a annoncé son décès. « Mon premier et meilleur ami n’est plus. J’ai eu la chance incroyable de connaître, rire, débattre, voyager, jouer, tout faire et ne rien faire du tout avec un homme aussi bon et aussi génial. Voilà, mon père est mort hier soir. »

(LEVY BRUNO/SIPA)

Cohn-Bendit: «On ne se brouille pas avec André Glucksmann, on discute»

Réactions à la mort d’André Glucksmann, survenue dans la nuit de lundi à mardi.

 

Daniel Cohn-Bendit : «On s’est rencontrés en Mai 68 et on ne s’est plus quitté»

«Avec André, on s’est rencontrés en 1968 et on ne s’est plus quitté. Nous avons toujours eu une relation d’amitié très profonde. Aujourd’hui, il faudrait en parler au passé, mais j’ai du mal. Nos liens ont été constants, sans jamais de rupture. Quand j’étais interdit de séjour en France, il venait me voir en Allemagne. Un jour, le président Valéry Giscard d’Estaing a invité à l’Elysée les «nouveaux philosophes» dont il était. Dans une lettre ouverte publiée dans le Monde, André à dit « non, je ne viendrais pas déjeuner avec vous tant que vous n’aurez pas levé l’interdiction de séjour de Dany ». BHL, lui, y est allé pour plaider ma cause. Giscard est intervenu pour lever l’interdiction.

«Avec André, on n’a pas toujours été d’accord. Mais on s’est toujours retrouvé sur l’antitotalitarisme, on a défendu ensemble les boat people. Sur la Bosnie aussi, on était exactement sur les mêmes positions.

«Ce qui est fascinant chez André, même s’il est péremptoire, c’est que la radicalité de sa pensée lui permet de surmonter, voir de modifier ses positions. Quand il a rompu avec le maoïsme, et s’est inscrit dans le courant des « nouveaux philosophes », moi qui étais libertaire, je lui ai dit bienvenue au club. En 2007, il soutient Sarkozy. Mais quand ce dernier dit des bêtises sur Mai 1968, André écrit un livre pour dénoncer ces bêtises. Quand Sarkozy dit des insanités sur les Roms, André publie un texte pour les défendre. Quand Sarkozy vend des frégates à Poutine, il le condamne publiquement. 

«Il y a dans notre société médiatique quelque chose de profondément regrettable. En septembre 2014, André a publié un livre intitulé Voltaire contre-attaque, un livre prémonitoire six mois avant les attentats de Charlie. Ça n’a intéressé personne : il était déjà très malade, et il ne pouvait plus débattre sur les plateaux télé…

«André est un être gentil et doux. On ne se brouille pas avec lui. On discute. Sa mort, je m’y attendais, il était très faible, il en avait marre, c’était dur. Mais quand je l’ai apprise hier soir, cela m’a fait un choc. J’ai dit à ma femme : « Voilà on ne pourra plus discuter. Il manque un maillon dans la chaîne du débat. » Ce maillon, il ne sera plus jamais là. Et ça me rend profondément triste.

«André est mort le 9 novembre. Vous savez ce que c’est que le 9 novembre ? C’est 77 ans après la nuit de Cristal en Allemagne et les premiers pogroms contre les juifs, c’est 26 ans après la chute du mur de Berlin. Il est mort un jour symbolique qui recadre sa vie et sa pensée.»  Recueilli par N.R

Romain Goupil : «Un intellectuel capable de penser contre lui-même»

«André Glucksmann était un érudit, un philosophe, un intellectuel… Mais surtout un penseur capable de penser contre lui-même, acceptant de prendre des risques, de se tromper, de ne pas toujours avoir raison et de le dire.»

«Dans les années 70, lui comme nous étions beaucoup à croire en des jours meilleurs. C’était l’époque il ne fallait pas désespérer Billancourt, où il fallait se taire pour atteindre un but ultime. Mais lui a tout remis en cause en dénonçant une immense supercherie que l’on payait en drames humains. Il faut se souvenir que cela a provoqué une fracture incroyable.»

«Il n’a cessé de lutter contre l’Etat totalitaire et de porter ce devoir d’humanité, avec les boat people, Sarajevo… Il était capable de mobiliser beaucoup de monde pour les combats qu’il estimait devoir mener. Nous étions parfois seuls comme sur l’Irak. Et Il était tout seul à soutenir Sarko. Mais là encore, il a été capable d’écouter et revenir sur ce soutien pour défendre les Roms.»

«Aujourd’hui, au moment où sont présentés comme intellectuels des représentants d’une France rance et repliée sur elle-même, au moment où nous nous battons contre l’indignité que représente la Jungle de Calais, cette voix universaliste, qui était celle d’André, nous manque.»

Sarkozy voit se tourner «une page de la pensée française»

L’ancien chef de l’Etat Nicolas Sarkozy a rendu un hommage superlatif à André Glucksmann celui dont l’amitié l’«honorait». Du «philosophe» soixante-huitard, il évoque «l’engagement maoïste au début des années 1960» puis «la dénonciation du marxisme comme théorie totalitaire». Selon lui, il aurait ainsi démontré«que l’idéologie ne pouvait pas toujours museler la pensée et que la philosophie ne pouvait pas servir de garantie a des systèmes politiques inhumains». Sarkozy célèbre la «lucidité intellectuelle» d’un intellectuel qui n’aurait «jamais cessé de dénoncer ces maîtres à penser prêts à cautionner le pire». Cette «amitié» entre Sarkozy et Glucksmann remonte à février 2007, quand l’auteur des Maîtres-penseurs choisi de soutenir le président de l’UMP contre la socialiste Ségolène Royal à l’élection présidentielle. André Glucksmann fondait alors sa décision sur les questions internationales, notamment la Tchétchénie. Avec ses déclarations anti-Poutine, Sarkozy opérait à ses yeux une «rupture» salutaire avec Jacques Chirac qui disait son amitié pour son homologue russe. L’ex-nouveau philosophe a dû déchanter dès 2009, quand l’ancien chef de l’Etat a mangé son chapeau zen allant signer, à Moscou, le contrat de vente des navires de guerre français de type Mistral. Il avait expliqué sa déception à Libération en 2012. A.A.

Hollande : «Il ne se résignait pas à la fatalité des guerres et des massacres»

Dans un communiqué, l’Elysée a estimé qu’André Glucksmann «portait en lui tous les drames du XXe siècle».

«Fils de réfugiés dans les années 1930, il avait connu le sort des enfants juifs cachés pendant la deuxième guerre mondiale. Ancien assistant de Raymond ARON à la Sorbonne, André Glucksmann a toute sa vie durant mis sa formation intellectuelle au service d’un engagement public pour la liberté.

«Il devint dans les années 1970 l’une des grandes figures du combat antitotalitaire, capable de réunir Jean-Paul Sartre et Raymond Aron à l’Elysée pour défendre la responsabilité de la France terre d’asile face au drame des « boat people » d’Extrême-Orient.

«Pénétré par le tragique de l’histoire autant que par son devoir d’intellectuel, il ne se résignait pas à la fatalité des guerres et des massacres. Il était toujours en éveil et à l’écoute des souffrances des peuples. La liberté de l’Ukraine fut l’un de ses derniers combats.»

Nathalie Raulin

Enquête sur le «Bloody Sunday» : un ex-soldat britannique arrêté

Un ancien soldat britannique a été interpellé dans l’enquête sur le drame du «Bloody Sunday» en 1972, l’un des épisodes les plus sombres des trente ans de violences dans la province d’Irlande du Nord. Il s’agit de la première interpellation depuis l’ouverture d’une enquête criminelle en 2012 sur ce drame survenu le 30 janvier 1972, lors duquel 14 personnes avaient été tuées par l’armée britannique à l’occasion d’une manifestation pacifique.

«Nous sommes au courant qu’un ancien soldat a été arrêté par les services de police d’Irlande du Nord en lien avec l’enquête sur les événements du Bloody Sunday», a déclaré le ministère de la Défense dans un communiqué.

La police nord-irlandaise a de son côté indiqué qu’un homme de 66 ans avait été arrêté. «Le suspect est interrogé dans un commissariat de Belfast», a-t-elle ajouté, expliquant que cette interpellation marquait «une nouvelle phase dans l’enquête».

Un rapport rédigé à la suite d’une enquête publique avait conclu en 2010, après douze ans d’investigations, que des parachutistes britanniques avaient tiré les premiers dans la foule manifestant à Londonderry, deuxième ville nord-irlandaise. Le Premier ministre britannique David Cameron avait présenté dans la foulée des excuses, décrivant l’action de l’armée comme «injustifiable» et ouvrant la voie au paiement de dommages.

A lire aussi Un rapport cinglant sur le «dimanche sanglant»

AFP

Polémique autour de nouvelles places à l’Opéra de Paris

Voilà bien l’une de ces polémiques dont on a le secret en France. La direction de l’Opéra de Paris veut supprimer certaines des cloisons qui depuis toujours séparent les premières et les secondes loges à l’Opéra de Paris, le vrai, celui commandé par Napoléon III à Charles Garnier, et non l’usine sans âme de la place de la Bastille. Depuis la révélation, il y a quelques jours, de ce projet de fait déjà mis en œuvre, c’est la guerre.

Pour trente sièges supplémentaires

D’un côté les « progressistes » qui ont mis en place des aménagements destinés à créer une trentaine de places supplémentaires aussitôt vendues au public (sur 2.100 déjà existantes) et donc à engranger plus de recettes (200.000 à 300.000 euros par saison sur des recettes de 80 millions par an, lesquelles représentent un grosse part du budget global de l’Opéra qui est de 206 millions), et cela en ces temps où l’argent manque cruellement partout dans l’univers de la culture.

Des aménagements, ce qui est aussi plus respectable, qui viseraient également à améliorer la visibilité du spectateur, visibilité extrêmement inconfortable quand celui-ci siège au deuxième rang des loges de côté et pire encore au troisième d’où elle est quasiment nulle. Les « progressistes » avancent encore que ces cloisons rétractables, donc amovibles, ne devraient être ôtées que le temps des représentations et replacées ensuite, chose dont on peut légitimement douter en songeant au surcroît de main d’œuvre qu’exige l’opération.

Une dérive à l’américaine

De l’autre les « conservateurs » qui ne sont rien d’autre que des gens qui respectent un monument célébrissime légué par le Second Empire, ainsi que la volonté d’un architecte qui eut du génie, Charles Garnier, lequel a créé l’un des plus beaux théâtres du monde pour la restauration duquel on a dépensé des millions à bon escient.

Eux parlent à juste titre du désastreux effet visuel que produirait la disparition des cloisons qui rythment la succession des loges disposées sur le pourtour de la salle. Ils dénoncent en passant le mercantilisme qui sévit à l’Opéra de Paris où la Rotonde des Abonnés a été partiellement abandonnée à un restaurant qui n’apporte rien de particulier à l’Opéra et où la librairie de ce théâtre a été abandonnée… aux Galeries Lafayette qui l’ont remplie de babioles indignes d’une maison d’art lyrique. Bref, une dérive à l’américaine aux effets souvent très déplaisants que n’excuse pas toujours le besoin d’argent et qui dénature l’institution au lieu de l’améliorer et d’améliorer réellement l’accueil du public.

Un appel indigné

Hugues Gall, prédécesseur de l’actuel administrateur général de l’Opéra de Paris, Stéphane Lissner, a rédigé un appel indigné pour dénoncer ce que beaucoup ressentent comme un saccage digne des années 1970 et une dérive mercantile. Et des milliers de personnes ont déjà signé une pétition demandant le retrait de cette décision vue comme une barbarie.

En France, et souvent avec raison, toucher au patrimoine relève du crime, même si cela parfois entraîne un immobilisme excessif. Mais ce n’est pas ici refuser les changements que de dénoncer ceux qui ne ressemblent qu’à une course effrénée à l’argent. Risquer de dénaturer gravement une salle comme celle de l’Opéra de Paris pour espérer récolter 300.000 euros au mieux, n’est-ce pas perdre un peu de son âme pour assez peu de chose ? Et n’y aurait-il pas, au sein de l’Opéra, des économies intelligentes à faire, à commencer par celle de la dispendieuse présence de ce magnifique taureau qui incarne le veau d’or dans « Moïse et Aron » et qui coûte à l’Opéra 5000 euros par représentation ?

Raphaël de Gubernatis

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