« Le Caravage » : dans la chambre de Bartabas et de sa monture

Il fallait bien qu’un jour, à l’écran, le grand Cavalier consacre le grand écuyer. C’est chose faite, même si leur rencontre est ancienne. Le cinéaste de « Libera me » a en effet commencé à filmer Bartabas il y a dix ans, dans les coulisses du Châtelet, où, déjà en selle sur le Caravage, il galopait vers la Chine intérieure de Victor Segalen. Il a pris ensuite l’habitude d’aller rôder dans le camp retranché du chef de la tribu Zingaro, au fort d’Aubervilliers.

Là, avec sa petite caméra DV, le filmeur se glissait discrètement dans les écuries, le manège ou la carrière. Mais jamais il ne pénétrait dans le théâtre, cette cathédrale en bois sous la voûte de laquelle se donnent, le soir, les grand-messes équestres. Car ce qui, au sens propre, captivait Alain Cavalier, c’était leur mystérieuse préparation. Et c’était en particulier le lent, patient et précautionneux travail de Bartabas avec le Caravage, cet anglo-hispano-arabe à la robe isabelle, aussi brillant qu’un vieux cuivre, aussi rond qu’un fruit mûr.

Très tôt le matin, avec une fascination et une émotion d’autant plus fortes qu’il est néophyte en matière d’équitation, Cavalier assistait dans la pénombre à ce qu’il appelle « une cérémonie intime » : le dialogue silencieux entre le cavalier et sa monture, leur entente mélodieuse et méthodique, enfin l’apparition légendaire du centaure, moitié homme, moitié cheval.

La chambre à monter

On ne compte plus les films tonitruants et bavards consacrés à Bartabas. Celui-ci, à la fois sensuel et spirituel, est unique. Pour la première fois, en effet, il nous montre sans un mot, sans autres musiques que celles des sabots, des cuirs, des brides et des souffles, ce qu’on ne voit jamais : la chambre à monter – comme on dit « chambre à coucher » – où l’artiste s’accouple avec l’animal avant d’oser se produire en pleine lumière, dans le sable de la piste circulaire.

Avec quelle tendresse, et un rien de jalousie, le réalisateur de « Thérèse » filme aussi les longs préliminaires de l’extase : le pansage du Caravage, le curage de ses pieds, le nattage de sa queue, la pose des bandes sur ses tendons, et le travail à la longe avant le sanglage. Et puis, il y a cette scène tournée comme en caméra cachée : en pleine nuit, Bartabas se glisse dans la stabulation où somnolent une vingtaine de chevaux argentins, s’assied dans la paille, immobile, méditatif, et alors tous les naseaux se penchent vers lui pour caresser son visage. A la fin, c’est le Caravage qui viendra à son tour lécher voluptueusement l’objectif de la caméra de Cavalier, lequel éclate de rire. Le rire d’un piéton tombé lui aussi amoureux du Caravage.

Jérôme Garcin

♥♥♥ « Le Caravage« , documentaire français par Alain Cavalier, avec Bartabas (1h10).

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