PKK et Etat islamique, les deux fronts d’Ankara

Fort du soutien de son allié américain, le président islamo-conservateur turc Recep Tayyip Erdogan a encore accru sa pression contre le PKK, la guérilla et les mouvements kurdes en général, alors que s’ouvrait mardi matin à Bruxelles une réunion d’urgence de l’Otan. Son secrétaire général, Jens Stoltenberg, a assuré la Turquie de la «forte solidarité» de l’alliance face au «terrorisme». Les forces aériennes turques continuent leurs opérations aussi bien contre les jihadistes de l’Etat islamique (EI) que contre la guérilla kurde, ainsi que les arrestations. Plus d’un millier de personnes liées à l’EI ou au PKK ont déjà été appréhendées.

La guérilla kurde est-elle le principal objectif militaire d’Erdogan ?

Aux yeux d’Ankara, c’est une menace qui est au moins aussi dangereuse que celle représentée par l’EI. Dans une conférence de presse, l’homme fort de l’AKP, le parti au pouvoir depuis 2002, a relancé ses attaques contre les «terroristes» du PKK, clamant qu’il est «impossible» de continuer le processus de paix avec les Kurdes tant que les rebelles continuent à mener des attaques meurtrières contre les forces de sécurité turques. «Il est hors de question de reculer. C’est un long processus et il se poursuivra avec la même détermination», a-t-il insisté. Mais il a aussi implicitement menacé le Parti démocratique des peuples – le HDP –, vitrine politique du PKK qui s’est néanmoins ouverte à toutes les diversités et qui avait recueilli 13 % aux élections législatives du 7 juin. «Je suis personnellement hostile à l’interdiction des partis mais les leaders politiques doivent payer le prix de leurs liens avec des groupes terroristes», a martelé le Président, évoquant une levée d’immunité parlementaire des députés du HDP, voire une dissolution du parti. Bon nombre des partis prokurdes liés au PKK qui avaient précédé le HDP ont été interdits ces vingt-cinq dernières années, ce qui ne les empêchait pas de renaître sous un nouveau sigle. Ces mesures contre des élus du HDP aggraveraient notablement la tension, alors même que les incidents se multiplient aussi bien dans le Sud-Est à majorité kurde que dans les grandes villes de l’Ouest, où vivent de nombreux Kurdes. Les autorités semblent en fait vouloir intimider le HDP pour qu’il ne lance pas de mouvements de contestation contre les frappes visant le PKK. «Il doit choisir ou les armes ou la démocratie», a mis en garde le Premier ministre, Ahmet Davutoglu.

Le processus de paix entre Ankara et le PKK est-il mort ?

Washington, ravi de récupérer son grand allié, a soutenu les frappes turques contre le PKK, dont les combattants pourtant affrontent au sol en Syrie comme en Irak les jihadistes de l’EI. En revanche, les Européens, par la voix de la chancelière allemande, Angela Merkel, et de la chef de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, ont appelé Ankara à ne pas mettre en péril le processus de paix avec la guérilla kurde, destiné à mettre fin à un conflit qui depuis 1984 a fait quelque 45 000 morts. Lancées par Erdogan à l’automne 2012, ces négociations d’abord secrètes, puis rendues publiques, avec Abdullah Ocalan, le leader historique du PKK condamné à la prison à vie en 1999, avaient été suivies en mars 2013 d’un appel à déposer les armes par le chef kurde. Depuis lors, les incidents armés étaient devenus très rares. Bien que moribond avec notamment les prises de positions très nationalistes d’Erdogan pendant la campagne électorale de juin, le processus de paix n’en résistait pas moins jusqu’à ce que le PKK, en représailles à l’attentat-suicide de Suruç de la semaine dernière (32 morts) mené par l’EI, ne revendique l’assassinat de deux policiers turcs. Les durs du PKK, notamment des commandants installés en Irak du Nord, sont ouvertement hostiles aux négociations avec Ankara. Ont-ils voulu torpiller ce processus ? Ont-ils été pris de court par l’ampleur de la réaction turque ? Les risques d’une reprise de la guerre kurde sont en tout cas bien réels et elle serait dévastatrice. Le pire, pourtant, n’est pas encore sûr. Abdullah Ocalan lui-même pourrait intervenir depuis sa prison de l’île d’Imrali, au large d’Istanbul, comme il l’a déjà fait plusieurs fois pour appuyer ces négociations dont il espère qu’elles aboutiront à terme à sa remise en liberté. Son prestige dans la population kurde reste très grand. Mais depuis trois mois, les autorités ont bloqué tout contact entre lui, ses avocats et les représentants des partis kurdes.

La Turquie s’engage-t-elle réellement contre l’EI ?

Il ne faut surtout pas sous-estimer la portée du tournant opéré par l’AKP qui a lancé des frappes contre le groupe Etat islamique et ouvert ses bases aux avions de la coalition. Mais il veut faire d’une pierre deux coups, voire trois. Premièrement, récupérer la confiance de ses alliés et en tout premier lieu des Américains, exaspérés par les ambiguïtés de ces derniers mois d’Ankara face à l’EI. Deuxièmement, créer une zone protégée dans le nord de la Syrie, au nord d’Alep, où pourraient s’installer les réfugiés et les populations civiles libres à l’abri des bombardements du régime comme des incursions de l’Etat islamique. Troisièmement, affaiblir le PKK aussi bien sur le plan militaire que sur le plan politique, mais surtout empêcher la création le long des 900 kilomètres de frontière d’un Kurdistan syrien contrôlé par le PYD, le parti frère du PKK. Et ces objectifs se recoupent.

Qu’est-ce que la zone protégée dont parlent Ankara et Washington ?

La «zone protégée» dans le nord de la Syrie, longue d’une centaine de kilomètres et profonde d’une cinquantaine de kilomètres, permettra à la fois de désenclaver Alep, encore à moitié occupé par les forces du régime, afin de faire de la seconde ville du pays la «capitale» de la Syrie libre et de ses institutions. «Le but est d’établir une zone libérée de l’EI et d’assurer la sécurité et la stabilité le long de la frontière», explique un haut responsable américain au New York Times. Ce n’est pas véritablement une zone d’exclusion aérienne, même si l’aviation turque ou alliée abattra tout appareil du régime, avion ou hélicoptère, menant des incursions dans cet espace. Ce n’est pas non plus formellement une «zone sous protection internationale» car il n’y a aucun mandat du Conseil de sécurité, le veto russe bloquerait toute résolution. Elle n’est pas pour autant illégale au regard du droit international : des organisations terroristes, à commencer par l’EI, mènent des attaques contre la Turquie depuis cette zone où Damas n’est plus en mesure de faire respecter son autorité. D’où la légitimité de la riposte turque. Mais l’instauration de cette zone en une région peuplée en majorité d’Arabes et de Turkmènes aura aussi pour effet de séparer le canton kurde d’Afrin, le plus à l’ouest, des autres cantons kurdes du nord de la Syrie.

About the author

A propos

FRANCE MEETINGS EST UN PETIT BLOG SANS PRÉTENTION SUR LE BEAU PAYS QU'EST LA FRANCE. C'EST DE L'ACTU, DE LA CULTURE, DE LA POLITIQUE, DE L'ECONOMIE... TOUT SUR LA FRANCE.