Mois : avril 2016

Essai clinique de Rennes: Biotrial « objectivement content » du rapport d’experts

François Peaucelle, directeur du laboratoire Biotrial, à Rennes le 16 janvier 2016
François Peaucelle, directeur du laboratoire Biotrial, à Rennes le 16 janvier 2016

Le centre d’essais cliniques Biotrial, qui conduisait l’essai au cours duquel un volontaire est décédé en janvier au CHU de Rennes, s’est dit mercredi « objectivement content du rapport » rendu la veille par des experts nommés par les pouvoirs publics.

Selon ce groupe de spécialistes mis en place par l’Agence du médicament (ANSM), « l’hypothèse la plus vraisemblable retenue est celle d’une toxicité propre de la molécule » testée pour expliquer cet accident « inédit ».

« On est objectivement content du rapport qui montre que nous n’avons pas agi de façon contraire au protocole, établi par Bial (le fabricant portugais de la molécule) et approuvé par l’agence du médicament, ni à la réglementation », a affirmé à l’AFP François Peaucelle, directeur du centre d’essais cliniques.

Concernant certains éléments pointés par le rapport, comme l’âge ou les antécédents médicaux des volontaires participant aux tests, M. Peaucelle a estimé que Biotrial se situe « plutôt dans les standards internationaux des essais cliniques » et qu’il est préférable des faire des études sur des volontaires représentant « la population telle qu’elle est » dans la réalité.

A propos de « l’augmentation peu compréhensible des doses » également mise en avant par les experts, le responsable de Biotrial indique avoir proposé à Bial d’attendre, avant d’augmenter les doses, d’avoir les résultats des tests précédents.

Stephane Schubhan, l'une des victimes de l'essai clinique de Rennes, chez lui à La Flêche le 29 février 2016 © JEAN-FRANCOIS MONIER AFP/ArchivesStephane Schubhan, l'une des victimes de l'essai clinique de Rennes, chez lui à La Flêche le 29 février 2016 © JEAN-FRANCOIS MONIER AFP/Archives
Stephane Schubhan, l’une des victimes de l’essai clinique de Rennes, chez lui à La Flêche le 29 février 2016 © JEAN-FRANCOIS MONIER AFP/Archives

« C’est le promoteur qui décide de la dose. Bial a décidé de ne pas attendre pour le passage des doses et l’agence du médicament l’a accepté comme cela », a souligné M. Peaucelle.

Reconnaissant, comme les experts, qu’il a pu y avoir « un effet d’accumulation » progressive de la molécule au niveau cérébral, il a déploré qu’il n’existe aujourd’hui « aucun référentiel international sur cette escalade de doses ».

« L’origine, c’est la molécule de Bial. Mais c’est le rôle de l’agence du médicament de dire si la molécule a un intérêt ou pas. Nous, nous sommes là pour exécuter le protocole », a-t-il conclu.

Selon Luis Portela, président non exécutif de Bial, qui avait commandité l’essai mis en oeuvre par Biotrial, le rapport d’experts « confirme que le protocole de l’essai a été bien conçu ».

Mais les conclusions de ce rapport ne sont « pas probantes », a estimé M. Portela, qui s’adressait aux médias en marge d’un colloque à Braga (nord du Portugal). « Evidemment que la molécule elle-même a un rapport avec ce qui s’est passé avec ces volontaires », a-t-il poursuivi. « Mais, jusqu’ici, rien n’explique pourquoi quatre d’entre eux sont rentrés à la maison et vont bien, et un autre en est mort. (?) Ce sont des accidents de parcours, nous regrettons beaucoup ce qui s’est passé mais, en tant qu’entreprise de recherche, nous devons être préparés pour ces choses qui peuvent arriver », a-t-il ajouté.

Six volontaires sains participant à l’essai de Phase 1 de la molécule (« BIA 10-2474 ») de Bial, principalement à visée antidouleur, avaient été hospitalisés en janvier et l’un d’eux était décédé. Quatre des survivants présentaient des lésions cérébrales.

20/04/2016 18:03:20 – Rennes (AFP) – © 2016 AFP

Les militants CGT actent leur divorce avec Hollande

Rien ne va plus entre la CGT et François Hollande. Au congrès de Marseille, les militants ont critiqué avec véhémence le chef de l’État, à la « solde de la finance », évoquant une « rupture » avec le président de la République pour lequel le premier syndicat français avait appelé à voter en 2012. « Trahison » : sur la tribune du palais des Congrès de Marseille mais aussi dans les couloirs, le mot est répété à l’envi par les militants dès qu’on évoque le chef de l’État.

« Il est sur des régressions sociales permanentes en direction de ceux qui lui ont fait confiance. La CGT a appelé à voter pour le candidat Hollande et c’est d’autant plus dérangeant, car elle a ainsi contribué à son élection. Et maintenant, on est trahi », résume David Gistou, secrétaire général de l’union départementale de l’Aveyron, interrogé par l’Agence France-Presse. « Il y a eu le discours du Bourget (du candidat Hollande, NDLR), les gens y ont cru. On s’aperçoit que c’est encore pire que la politique libérale de Sarkozy. C’est d’autant plus douloureux que ça vient d’un gouvernement dit de gauche », relève de son côté Lina Desanti (Tarn-et-Garonne). « Le candidat ennemi de la finance se montre au service du Medef. »

Lois Macron, Rebsamen, sur la sécurisation de l’emploi, les cégétistes égrainent les réformes du quinquennat qui « ont impacté les droits des salariés ». Mais la loi travail cristallise leur « colère » : « c’est le bol qui a fait déborder le vase », estime David Gistou, une « arme de guerre offerte au patronat » (Amar Benjamin, éducation et recherche). « Il y a un mécontentement de l’ensemble des salariés sur la politique de Hollande, une rupture totale avec le PS. On ne l’a pas élu pour avoir la loi El Khomri », relève Jacques Bugon (La Réunion).

« On dit que la CFDT va passer devant »

La CGT réclame le retrait de ce texte, qui offrirait « un code de travail » dans chaque entreprise au détriment des salariés, selon elle. Ce texte est « une honte de la part d’un gouvernement qui se proclame du socialisme. C’est une nouvelle charge qui nous ramène vers le passé, remet en cause le droit du salarié de disposer d’un cadre juridique », a lancé en tribune Hidri Rim, une ex-Fralib. Lors de l’ouverture du congrès lundi, Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, a aussi eu la dent dure contre la politique de « Hollande et Valls ». « La finance, elle rigole, elle sabre le champagne et (Pierre) Gattaz (patron du Medef) se frotte les mains. Jamais les inégalités n’ont été aussi importantes en France, en Europe et dans le monde », a-t-il regretté.

Fait marquant, lors de l’ouverture, la délégation du PS a été copieusement huée et sifflée par des délégués. Le mécontentement n’est pas que social. « Je comptais beaucoup sur le vote des étrangers, c’est dégueulasse de nous avoir fait miroiter ça », relève Laib Delila (Toulouse). Autre rupture, les promesses environnementales faites lors de la COP 21 à Paris. La CGT a annoncé mercredi qu’elle boycotterait la conférence sociale environnementale organisée par François Hollande lundi et mardi prochains, qu’elle a qualifiée d’« opération d’affichage et communication » d’un gouvernement « au plus mal ».

La confédération avait aussi boycotté les deux dernières conférences sociales organisées par le président, en 2014 et 2015. « Les conférences sociales, on en a eu plusieurs et à chaque fois, on en sort avec des reculs pour le monde salarié », commente Dominique Launay, responsable CGT (transport). Au PS, on analyse ce ton « radical » par les difficultés de la confédération dans son leadership : « On dit que la CFDT va passer devant », a commenté mardi sur i>Télé le premier secrétaire du Parti socialiste Jean-Christophe Cambadélis, dénonçant en outre « une gauchisation » de la confédération. « Ce qu’ils sont en train de faire peut leur permettre peut-être de conserver des bastions », de son côté indiqué à l’Agence France-Presse un haut responsable gouvernemental.

Le Chasseur et la reine des glaces, c’est les frères Grimm qu’on assassine !

En 2012, Blanche-Neige et le Chasseur avait fait le plein de spectateurs. L’adaptation du célèbre conte des frères Grimm, bondée d’effets spéciaux et portée par son casting quatre étoiles (Kristen Stewart, Charlize Theron, Chris Hemsworth…), a permis aux studios Universal d’engranger 396 millions de dollars au box-office mondial (pour un budget initial de 170 millions).

Quatre ans plus tard, Hollywood sort Le Chasseur et la reine des glaces. Dans ce préquel, on s’éloigne du conte original pour se concentrer sur le personnage du chasseur, à qui l’on ordonne de se battre et de ne jamais tomber amoureux. Il obéit à la première directive. Pas à l’autre, puisqu’il tombera dans les bras de Jessica Chastain. Entre-temps, il part en quête du miroir maléfique de la reine Ravenna. Romance, combats et effets spéciaux sont les clés d’un long-métrage dont on saisit bien les enjeux marketing. Nous avons au moins cinq raisons pour vous conseiller de ne pas (re)croiser la route du chasseur et de la méchante souveraine.

Chris Hemsworth et Kristen Stewart dans Blanche-Neige et le Chasseur.

Chris Hemsworth et Kristen Stewart dans Blanche-Neige et le Chasseur.

Un film maudit

En 2012, Blanche-Neige et le Chasseur a certes remporté un succès au box-office, mais l’image de ce film a été aussi perturbée par les amourettes de Kristen Stewart, qui incarnait Blanche-Neige, et du réalisateur Rupert Sanders. Une histoire qui a entraîné la séparation de la star avec avec Robert Pattinson. Aussi les studios Universal ont-ils préféré évincer l’actrice principale du premier volet en supprimant son personnage du scénario.

Une histoire fabriquée de toutes pièces

Sans Blanche-Neige, difficile de trouver des points communs entre Le Chasseur et la reine des glaces et le conte des frères Grimm, si ce n’est la méchante belle-mère toujours interprétée par Charlize Theron et le chasseur Chris Hemsworth. Les scénaristes proposent une variation sur le même thème. Suffisant pour attirer les spectateurs dans les salles?

Une cible ratée

Les amoureux de l’univers des frères Grimm seront déçus. Dans ce film écartelé entre romance, violence et humour, Hollywood semble avoir perdu sa cible de vue. Est-ce un long-métrage pour adolescents ou pour adultes?

Haut les nains!

Dans le conte original des frères Grimm, sept nains recueillent Blanche-Neige dans leur foyer. À défaut de l’héroïne, on les retrouve dans le Chasseur et la reine des glaces, chargés de jouer les bouffons pour épater la galerie et ajouter quelques touches comiques à un ensemble bien trop raide.

Un réalisateur français pied et poing liés à Hollywood

L’idée que le film soit réalisé par un cinéaste français nous réjouissait. Mais Cédric Nicolas-Troyan, qui signe avec Le Chasseur et la reine des glaces son premier long-métrage à 47 ans fabrique un film de studio impersonnel. Seuls les effets spéciaux sont assez remarquables comme dans Blanche-Neige et le Chasseur où il en vait aussi pris la charge. Trop peu malgré tout pour sauver ce film du naufrage.

Harry Potter : Daniel Radcliffe était terrorisé par Alan Rickman

«La première fois que j’ai rencontré Alan sur le tournage de Harry Potter(…) j’ai eu très peur. Il m’a paru vraiment très intimidant», raconte Daniel Radcliffe. Actuellement en promotion aux côtés de Mark Ruffalo et Jesse Eisenberg pour son rôle de jeune prodige dans Insaisissables 2, l’acteur s’est rappelé sa première rencontre avec le regretté Alan Rickman, disparu le 14 janvier dernier. Un premier contact quelque peu «effrayant»…

Le sorcier le plus célèbre de tous les temps n’a peur de personne. Pas même de «Celui dont on ne doit pas prononcer le nom». Ou presque… Au micro de Yahoo Movies, Daniel Radcliffe a avoué avoir longtemps eu peur de Severus Rogue. «Il m’effrayait beaucoup quand j’étais enfant», a confié l’acteur de 26 ans.

Plein d’autodérision

Très impressionné par l’inquiétant professeur de potions (qui n’a jamais manqué une occasion de le sermonner dans la saga), le comédien se souvient surtout des intonations glaçantes d’Alan Rickman. «Il avait une grosse voix, vraiment très intimidante», se rappelle le héros de J.K. Rowling.

Un malaise heureusement très vite corrigé avec l’âge puisque comme l’explique l’acteur: «Alan Rickman n’était pas effrayant dans la réalité. C’était quelqu’un de vraiment très drôle, plein d’autodérision, fragile, et fort de qualités insoupçonnées.»

Trois mois après la disparition d’Alan Rickman, Daniel Radcliffe est toujours aussi ému lorsqu’il est question de parler de celui qui lui a tout appris du métier. Lors de la première de son film Swiss Army Man en janvier dernier, il n’avait d’ailleurs pas manqué de rappeler combien son mentor, Alan Rickman était un homme incroyable. «Il était une véritable source d’inspiration pour les jeunes acteurs (…) Il était très à l’écoute et vraiment bon conseiller (…) Il était vraiment extraordinaire.»

« Les Ardennes », « Fritz Bauer »… Les films à voir (ou pas) cette semaine

Le choix de « l’Obs »

♥♥♥ « Le Bois dont les rêves sont faits », par Claire Simon. Documentaire français (2h26).

On croit rêver. C’est l’été à Paris, et on fait les foins ! La faucheuse et la botteleuse, attelées à un tracteur, ­dessinent de longues lignes dorées et donnent l’illusion de la campagne dans un champ au bout duquel se dressent les tours de la capitale. On est là, et on est ailleurs. Preuve que le bois de Vincennes, étendu sur près de 1.000 hectares, est une principauté des songes et des illusions. Gilles Deleuze en fut le roi-philosophe dans l’université expérimentale d’après-68 qui fut rasée en 1980. Filmée aujourd’hui par Claire Simon, la cinéaste Emilie Deleuze cherche, entre les arbres, sous un tapis de feuilles, des preuves de cette utopie, des traces de son père qui professait qu’il ne faut pas professer et s’interdisait, sous les futaies, tout cours magistral.

Dans ce passionnant et surprenant documentaire dédié au penseur de « l’Anti-Œdipe », Claire Simon explore chaque recoin du « Bois dont les rêves sont faits » et y débusque des personnages qu’on croirait sortis des contes et légendes. Un fils de GI entretient chaque jour sa forme en soulevant des troncs ; un peintre abstrait plante son chevalet dans l’obscurité et dessine ce qu’il ne voit pas ; un anachorète, pour s’oublier, dort toute la journée dans sa cabane de fortune ; deux jeunes pêcheurs relâchent à l’aube les énormes carpes qu’ils ont attrapées ; un éleveur de centaines de pigeons connaît, par son numéro, chacun d’entre eux ; des Cambodgiens célèbrent le Nouvel An et des Guinéens, leur forêt natale ; des prostituées s’inventent des chambres enherbées et des mecs s’enfoncent dans les fourrés ; des voyeurs côtoient les dragueurs, des batraciens copulent, des cyclistes pédalent, des enfants jouent au rugby…

A mi-chemin entre « Into the Wild », « l’Inconnu du lac » et « The Revenant », le documentaire de Claire Simon s’apparente peu à peu à une fiction où la ville est à la campagne et où Deleuze semble encore vivant.

La cinéaste des « Bureaux de Dieu » et de « Gare du Nord », qui a grandi en pleine nature, a toujours aimé abolir les frontières entre la réalité et l’imaginaire. Et elle a toujours su faire témoigner des inconnus avec la même rigueur, la même exigence que si elle faisait jouer des acteurs. Cette méthode singulière, qui emprunte à la fois au roman et à l’ethnologie, trouve son accomplissement dans ce bois de Vincennes, où se mélangent les couleurs de peau, les milieux sociaux, les religions, les générations, les sexualités, les fantasmes, les douleurs et les bonheurs. Glissant sur son vélo d’une saison l’autre et à pied d’un sous-bois à une clairière, Claire Simon devient elle-même un personnage de son propre film. Elle rejoint le peuple de la forêt, la tribu des Vincennois, la horde des nouveaux sauvages. Suivez-la, vous ne le regretterez pas. Jérôme Garcin

Les autres films

♥♥♥♥ « Les Ardennes », par Robin Pront. Drame belge, avec Jeroen Perceval, Kevin Janssens, Veerle Baetens (1h33).

Bon sang, quel film ! Un polar noirissime, situé au cœur des Ardennes, où les nuits sont plus glauques, les rues plus sinistres, la boue des routes plus épaisse, la violence des sentiments plus dangereuse. Au cœur de cette zone de mort, deux frères. Après une jeunesse de délinquance, l’un décide de se ranger ; l’autre, sortant de prison, a la rage. Jetés dans un monde qu’ils ne comprennent pas, ils s’affrontent autour d’une femme. On est dans ces bas-fonds où la drogue, l’alcool et la misère se combinent. Ce premier film de Robin Pront, 29 ans, est tiré d’une pièce de Jeroen Perceval, qui tient le rôle principal. L’auteur y aborde les thèmes de la fatalité et de la loyauté, à travers des personnages ravagés, dealers étiques, travelos assassins, voyous paumés. Un mot résume ce voyage au bout de la nuit : puissance. On en sort secoué. François Forestier

♥♥ « Fritz Bauer, un héros allemand », par Lars Kraume. Drame historique allemand, avec Burghart Klaussner, Ronald Zehrfeld, Lilith Stangenberg (1h45).

Fritz Bauer, personnage oublié de l’histoire allemande, méritait d’être remis en lumière. Procureur de la RFA, il a passé toutes ses années d’après-guerre à traquer les ordures nazies. C’est grâce à ses efforts qu’Eichmann a été traduit en justice et pendu. Mort en 1968, à 64 ans, dans des circonstances louches, il a dérangé les Israéliens, qui ne voulaient plus entendre parler de l’Holocauste ; les Allemands, qui ne voulaient entendre parler de rien ; les historiens, qui désiraient travailler en paix. Le film montre Fritz Bauer dans ses activités quotidiennes. Il est rageur, antipathique, tenace. Mais l’intrigue se déplace en partie sur un personnage d’assistant gay (qui n’a pas existé), et se termine sur la chute de celui-ci, pour délit d’homosexualité : du coup, le cœur du drame se déséquilibre – sans nécessité. Sur le même sujet de la justice d’après-guerre, un film comme « le Labyrinthe du silence » (2014) avait plus de force.

« Le Labyrinthe du silence » : l’Allemagne face à son passé

Reste que la mise en lumière de ce héros allemand est bienvenue dans une Europe de nouveau hantée par ses vieux démons. F.F.

♥♥ « Desierto », par Jonás Cuarón. Thriller mexicain, avec Gael García Bernal, Jeffrey Dean Morgan, Alondra Hidalgo (1h34).

Dans le désert de Sonora, passé la frontière avec les Etats-Unis, un groupe de migrants est pris en chasse par un redneck avec un fusil à lunette. Un par un, les clandestins tombent… Jonás Cuarón (le fils d’Alfonso, le réalisateur de « Gravity ») observe quatre personnages : un homme, une femme, un tueur et le désert. Structure classique (danger, fuite, confrontation), situation connue (les assassinats d’immigrants), références habituelles (« Duel » de Spielberg, « Runaway Train » de Konchalovsky), c’est du cinéma dans le moule, bien réalisé, efficace. Il manque peut-être une once de lyrisme sur le désert, mais, pour un premier film, le drame touche juste. D’autant que le sujet des migrants, aujourd’hui, est brûlant… Dans le rôle du salaud, Jeffrey Dean Morgan (habitué de la série « Grey’s Anatomy ») est une révélation : plus haïssable, on ne fait pas. F. F.

♥♥ « Paulina », par Santiago Mitre. Drame argentin, avec Dolores Fonzi, Oscar Martinez, Esteban Lamothe (1h43).

Tout commence par un long dialogue entre la belle Paulina (Dolores Fonzi, admirable) et son père, grand magistrat, qui ne comprend pas le choix de sa fille d’abandonner une carrière d’avocate pour partir enseigner dans une campagne défavorisée. Sur place, Paulina découvre une réalité plus coriace qu’elle ne l’imaginait et une violence dont elle se retrouve la victime. Difficile d’en dire davantage sans déflorer le deuxième film du cinéaste argentin d’ »El Estudiante » et les questions ambiguës qu’il charrie sur les rapports de classe et la justice sociale. Voir Paulina sacrifier ses droits jusqu’à l’absurde pour sauver ses bourreaux fait d’elle une sainte d’un genre nouveau, sans religion autre que ses convictions politiques, mue par un rejet de ses origines bourgeoises qui frise le masochisme. Une super-héroïne du progressisme qui, à défaut d’être toujours convaincante, passionne. Nicolas Schaller

♥ « Marie et les naufragés », par Sébastien Betbeder. Comédie française, avec Pierre Rochefort, Vimala Pons, Eric Cantona, André Wilms (1h44).

Marie est fort jolie, mais elle est aussi dangereuse. Bien que mis en garde par Antoine (Eric Cantona), son ex, romancier un peu en panne, Siméon (Pierre Rochefort) se déclare séduit. Il est prêt à tout pour gagner le cœur de la belle (Vimala Pons), lui qui, depuis sa dernière rupture amoureuse, partage un appartement avec Oscar, musicien somnambule. Autour de ce quatuor, rejoint sur le tard par un sympathique fêlé joué par André Wilms, Sébastien Betbeder a bricolé un vague scénario et s’en est remis à la fantaisie et au charme de ses interprètes. Saupoudrant les scènes de traits d’humour parfois bienvenus mais jamais suffisants, nappant le tout de quelques notes de musiquette, le jeune réalisateur semble exprimer une confiance en ses propres moyens qui le conduit à se satisfaire de peu. Dans les entrelacs de l’intrigue et sous une désinvolture qui n’atteint pas l’élégance à laquelle elle prétend se lit le leitmotiv de trop de productions françaises : « Ça ira bien comme ça. » Eh bien, non, justement, ça ne va pas. Pascal Mérigeau

« Le Livre de la jungle », par Jon Favreau. Film d’aventures américain, avec Neel Sethi (1h46).

Après « Cendrillon » l’an dernier, « le Livre de la jungle », autre classique Disney, fait l’objet d’un remake en prises de vues réelles. Un réalisme à relativiser, puisque tout est aussi artificiel qu’un cartoon. Hormis le jeune acteur-sosie Neel Sethi, affublé d’une coiffure et d’un slip rouge identiques à ceux du Mowgli animé des années 1960, la moindre séquence est surchargée d’effets numériques (animaux qui parlent, forêt qui brûle, etc.). Le kitsch étouffe la truculence et la légèreté du film originel qu’il tente désespérément de reproduire. Sommet d’embarras : l’instant jazzy de la chanson de l’ours Baloo prend ici la tournure d’un fado sous Temesta. Guillaume Loison

C’est raté

« Hardcore Henry », par Ilya Naishuller. film d’action russo-américain, Avec Sharlto Copley, Danila Kozlovsky, Haley Bennett (1h34).

Entièrement tourné à la GoPro et en caméra subjective, « Hardcore Henry » adopte le point de vue (le mot est fort) d’un tueur bionique lancé dans la jungle moscovite qui, de zones industrielles en bouges à putes, décime des hordes de méchants Russes et de bimbos siliconées avec une violence qui n’a d’égale que son inconséquence. Le héros est immortel, la réserve de munitions, infinie. Ça canarde, charcle, trépane durant une heure trente. « Hardcore Henry » n’est pas un film, c’est un long-métrage de jeu vidéo. Un shoot’em up boosté à la bande-son techno-hard rock sauf qu’on a beau chercher le joy­stick, il n’y en a pas. D’où l’inintérêt total de la chose, d’une vulgarité crasse, abrutissante au possible et garantie sans cinéma. On a passé l’âge de ces conneries. N. S.

« Par amour », par Giuseppe M. Gaudino. Drame italien, avec Valeria Golino, Massimiliano Gallo, Adriano Giannini (1h49).

Si Anna, Napolitaine mère de trois enfants, n’était interprétée par Valeria Golino, on se demanderait pourquoi Michele, vedette d’une série télé de troisième zone, s’intéresse d’aussi près à elle. Il drague éhontément celle qui est chargée des cartons sur lesquels ses répliques sont inscrites. Anna, elle, ne voit pas grand-chose. Elle ignore notamment les activités de son insupportable mari, usurier dont les trafics acculent leurs voisins à la misère (ce qu’elle ne remarque pas davantage). Le monde d’Anna est en noir et blanc, sauf quand l’émotion la submerge ou quand ses souvenirs d’enfance remontent à la surface. Il y a alors des couleurs partout, et aussi des chansons qui sont épouvantables. Voilà ce que le réalisateur, venu du documentaire, a trouvé pour « faire cinéma ». Il aurait été préférable qu’il s’en passât. Le film révèle sur le tard le motif de l’intérêt manifesté par l’acteur pour Anna. Mais on n’y croit pas plus qu’à tout ce qui a précédé. C’est pour ce rôle que Valeria Golino a reçu le prix d’interprétation à la dernière Mostra, preuve qu’une actrice peut être remarquée dans un film qui ne présente rien de remarquable. P. M.

« Stairway to heaven » de Led Zeppelin : un plagiat de « Taurus » du groupe Spirit ?

Après avoir conduit Led Zeppelin au paradis des charts, « Stairway to heaven » les conduit dans le chaudron d’un tribunal. Le titre mythique du groupe britannique paru sur son quatrième album est depuis longtemps l’objet d’un soupçon de plagiat qui va être enfin examiné devant la justice le 10 mai prochain, à Los Angeles.

C’est à « Taurus », un morceau du groupe « Spirit » que le mythique « Stairway to heaven » ressemble effectivement. Du moins cette similitude est le plus sensible à l’écoute des arpèges joués à la guitare au début du morceau de Led Zep comparée au titre de Spirit.

Lorsque ce dernier s’était produit sur scène le 26 décembre 1968 (soit un an après l’enregistrement de « Taurus ») la bande constituée alors par Jimmy Page (guitare), Robert Plant (chant), John Paul Jones (basse, claviers) et John Bonham (batterie) assurait la première partie de Spirit. Or ce n’est qu’en décembre 70, janvier 71 que « Stairway to heaven » a été enregistré dans un studio londonien.

A vous de comparer les morceaux de « Led Zeppelin »….

… et de « Spirit » :

Le fondateur et guitariste de « Spirit », Randy California (Randy Wolfe de son vrai nom), avait confié ceci au magazine « Listener » :

Eh bien, si vous écoutez les deux chansons, vous pouvez faire votre propre jugement […]. Je dirais que c’était une arnaque. Ces gars ont fait des millions de dollars sur ça et n’ont jamais dit : ‘Je vous remercie, » n’ont jamais dit : ‘Peut-on vous reverser un peu d’argent ?’ […] Peut-être qu’un jour leur conscience les incitera à faire quelque chose à ce sujet. Je ne sais pas. Il y a de drôles de relations d’affaires entre les maisons de disques, les managers, les éditeurs et les artistes. Mais quand les artistes font ça à d’autres artistes, il n’y a aucune excuse. Je suis en colère ! »

Et ce jour-là, California a ri en concluant cet amer constat.

Ça ne plaisante plus, en revanche, depuis deux ans de procédure judiciaire ouverte après la plainte de Michael Skidmore, représentant du guitariste de Spirit, Randy Wolfe/California, décédé en 1997. Procédure au terme de laquelle un magistrat a considéré qu’il y avait assez de concordances entre les deux morceaux pour considérer qu’il y avait un lourd soupçon de plagiat. Le juge Gary Klausner estime en effet que si le plaignant « n’est pas pas parvenu à présenter la preuve d’une similarité frappante », il « a réussi à soulever une question digne d’être traduite en justice ».

Quant aux survivants de Led Zeppelin et à leurs avocats, ils arguent que l’auteur-compositeur « n’a effectué aucune demande de droit d’auteur, et que les progressions d’accords étaient tellement ‘cliché’ qu’elles ne méritent pas la protection du copyright. »

Un débat très complexe (comme d’habitude en de tels cas) promet d’animer la cour en mai. D’autant que d’autres auditeurs attentifs ont cru déceler également des similitudes entre « Stairway to heaven » et la chanson « Almost cut my hair » (1970) de Crosby, Stills & Nash (and Young), sur l’album ironiquement intitulé… « Déjà vu ».

Jean-Frédéric Tronche

Près de 200 écoles de Seine-Saint-Denis bloquées pour dénoncer l’absence de remplaçants

Près de 200 écoles maternelles et primaires de Seine-Saint-Denis sont bloquées ce mercredi par les parents d’élèves pour dénoncer le non-remplacement des instituteurs absents. Une «mobilisation exceptionnelle» selon les organisateurs, des associations et des collectifs de parents (dont la FCPE de Seine Saint-Denis). Si aucune donnée officielle n’est communiquée, les organisateurs estiment à 400 le nombre de classes du primaire sans enseignant chaque jour dans le département. L’année dernière «certains enfants n’ont pas eu classe pendant des semaines, certains – parfois les mêmes – ont connu une dizaine d' »enseignants » différents», peut-on lire dans leur communiqué, qui exige «un enseignant formé devant chaque classe tous les jours de l’année scolaire».

Les parents d’élèves rencontreront cet après-midi la ministre de l’Education Najat Vallaud-Belkacem pour réclamer «un plan d’urgence», passant notamment par une hausse des recrutements dans l’académie dès 2016, selon le Parisien.

Le véhicule sans chauffeur existe, il roule dans une centrale nucléaire

Combien de temps consacrez-vous à la marche à pied dans votre entreprise ? A la centrale nucléaire de Civaux, ils l’ont calculé : une heure dix-sept en moyenne par jour et par salarié. C’est précis, et c’est beaucoup. «En salaire chargé, c’est l’équivalent de près 4 millions d’euros par an», précise Christophe Sébastien, responsable développement durable sur le site. Mais ce n’est pas si surprenant. Plus d’un kilomètre sépare l’actuelle entrée nord de l’ancienne entrée sud de l’enceinte, qui elle-même s’étend sur 220 ha. Il y avait bien un service de bus, en réalité un seul bus, en activité deux heures le matin, deux heures le midi et deux heures le soir et qui réalisait une boucle de 3,2 kilomètres à l’intérieur de la centrale. «Quand il n’y avait plus de bus, on marchait», poursuit le responsable. Et quand il y en avait, ils marchaient aussi, vu la fréquence de quinze minutes entre chaque passage. Il y avait aussi des vélos électriques en libre-service. Mais trop fragiles. Ils n’ont pas supporté l’usage un peu rude des salariés, explique évasivement un responsable EDF. «Des fois, certains montaient à trois dessus», rigole un agent. La maintenance annuelle coûtait plus cher que les bicyclettes elles-mêmes, et le service a été abandonné.

Temps «métal»

Tout ça, c’est fini. Le site de Civaux vient de se doter du premier service de navettes autonomes en France, et un des premiers au monde. Six minibus sans chauffeurs de 15 places commencent à sillonner le site de 4 heures à 22 heures, longent les réacteurs, les salles des machines, les locaux techniques, les deux immenses cheminées et éparpillent les 700 salariés aux quatre coins du site —un effectif qui peut monter à 2 000 en cas de maintenance, ce qui est le cas actuellement puisqu’une des deux cheminées est à l’arrêt. La fréquence de passage est descendue à 5 mn en heures creuses, 3mn30 en heures de pointes.

Au vu de la taille du site, cette question du transport est cruciale. D’autant que, comme l’explique un responsable, sur un site nucléaire, le temps «métal» —celui qui est réellement dévolu aux tâches professionnelles— est également grignoté par toutes les procédures de contrôle le matin à l’embauche. Et Christophe Sébastien ne voulait plus de bus thermique et de ses 18 000 litres de gasoil brûlés tous les ans. «J’avais tout regardé, les tramways, le filoguidé, un système à caténaire, mais c’était beaucoup trop cher, explique-t-il. Et puis, il y a deux ans, lors d’une présentation, je suis tombé sur cette navette autonome.» Un véhicule électrique muni de multiples capteurs et d’un GPS précis au centimètre près qui roule sans conducteur selon un parcours prédéfini, s’arrête quand surgit un obstacle —un piéton, au hasard— et le contourne. Une solution attrayante car elle ne réclame aucune modification de l’infrastructure routière.

Arma —le nom de cette navette— est la création de Navya, jeune entreprise d’une cinquantaine de salariés, basée de Villeurbanne et principal pionnier sur ce secteur. «J’ai lancé un appel à concurrence, les autres ne pouvaient pas s’aligner», lance, laudateur, Christophe Sébastien qui a piloté le projet pour EDF. Une expérimentation en condition réelle essentielle pour l’entreprise car elle pourrait très vite déclencher de nouveaux contrats. Arma est actuellement en test dans la ville suisse de Sion et devrait d’ici quelques semaines, si les obstacles législatifs sont levés, relier la gare au centre-ville. Une étape supplémentaire cruciale, puisqu’il s’agira d’un service exploité sur voie publique, contrairement à l’enceinte privée de Civaux qui n’est pas soumis aux textes réglementant la circulation routière. La ville de Perth, en Australie, devrait aussi faire rouler fin juin une Arma sur la voirie. «On a d’autres clients», assure le président de Navya, Christophe Sapet, qui reste discret. Tout en énumérant les multiples débouchés : aéroports, campus universitaires, ports, hôpitaux et tous les grands sites industriels qui s’étendent sur des kilomètres. Lui voit des navettes autonomes partout.

«Premières fois»

Il n’est pas le seul. Transdev était également présent ce mardi sur le site pour l’inauguration officielle. En partenariat avec Navya, l’opérateur gère le service de navettes sur Civaux. Yann Leriche, un de ses responsables, a parlé de «révolution». Pour lui, comme pour de nombreux observateurs du secteur, cette innovation pourrait être ce fameux chaînon manquant dit du «dernier kilomètre», cette courte distance qui sépare notre habitation d’un service de transport en commun et qui, faute de solution, nous incite à prendre la voiture. En zones peu denses, où il n’y aura jamais de bus, de tram ou même d’un service de bus à fréquence élevée, la navette est une solution, assure Yann Leriche. A condition de lever quelques interrogations. La vitesse maximale d’Arma est de 45 km/h, mais elle plafonne actuellement à 18 km/h, par précaution. «Comment améliorer la vitesse commerciale sans transiger sur la sécurité, c’est la question que l’on se pose», explique le responsable de Transdev. Pour les mêmes raisons de prudence, le véhicule s’arrête souvent, ralentissant le service. 

Chez Navya, on admet avoir encore à apprendre, à expérimenter. «Tout ce qu’on fait en ce moment, c’est des premières fois», explique Henri Coron, directeur du business développement au sein de la PME. «Mais en septembre, on aura un million de kilomètres parcourus au compteur.» Et autant de mégaoctets de données à analyser.

Richard Poirot

Les identitaires sont-ils vraiment républicains ?

La République, c’est une certaine idée de l’universel, de la tolérance, de l’ouverture. L’identité, c’est souvent le repli sur soi, la crispation sur une représentation figée de soi-même et de son histoire. De plus en plus d’intellectuels et d’hommes politiques cherchent pourtant aujourd’hui à cadenasser la première avec la seconde. Dans la «République identitaire» (préfacé par Michel Wieviorka), Beligh Nabli, directeur de recherche à l’IRIS et enseignant à Sciences-po en droit public, analyse ce qui lui semble une dérive dangereuse.

BibliObs. Les gens qui défendent la République pensent qu’elle est faite pour émanciper. Vous écrivez: «La société française est plus multiculturelle que jamais mais demeure enserrée dans un ordre républicain qui se veut unitaire.» Pour vous, elle est donc un corset?

Beligh Nabli. Vivre ensemble suppose des règles, des valeurs et des normes communes: c’est la raison d’être de la Loi de la République, «expression de la volonté générale», celle du «peuple un et souverain». Si l’allégeance à une quelconque communauté infra ou transnationale est impensable, le problème réside dans le fait que les responsables politiques agitent l’épouvantail communautariste tout en nouant des relations étroites avec des représentants de communautés présumées. Pire, certains s’adonnent à des formes de pratiques clientélistes/communautaristes, tout en tenant un discours national-républicain. Le rapport du FN aux harkis est un exemple caractéristique, mais loin d’être isolé.

Je crois aussi dans l’idéal républicain comme projet d’émancipation des individus (porté en particulier par l’école), mais cette promesse républicaine n’est pas tenue pour un trop grand nombre de nos concitoyens… Du reste, la mobilisation qui anime actuellement la Place de la République ouvre la voie à un possible et authentique «Printemps républicain», progressiste et social, rien à voir avec l’appel éponyme d’essence laïco-identitaire lancé par «Marianne», «Causeur» et consorts. Ces derniers sont tenants d’un identitarisme plus réactionnaire que progressiste, dévoyant le principe de laïcité de la loi de 1905 puisque leur objectif consiste à étendre la neutralisation religieuse à l’espace public.

Cette rigidité contraste avec l’assouplissement et l’ouverture de notre propre ordre juridique qui consacre à la fois l’unité de la République et des différenciations assimilables à de réelles discriminations positives (justifiées par des situations particulières ou la satisfaction de l’intérêt général), mais reconnaît aussi l’existence d’un droit local d’Alsace-Moselle (dérogatoire en matière de laïcité), d’une citoyenneté européenne, de «langues régionales», de «populations d’outre-mer», de «Lois du pays» de Polynésie, et même d’une «citoyenneté de Nouvelle-Calédonie»…

Qu’êtes-vous en train de nous dire ? Qu’il faut continuer sur ce chemin et reconnaître une citoyenneté à géométrie variable au sein du peuple français ?

Certainement pas. L’enjeu réside au contraire dans l’adoption d’une position pragmatique qui consiste à ne pas nier le pluralisme identitaire de notre société tout en réussissant à définir une «identité Une», c’est-à-dire commune, inclusive et supérieure.

Aujourd’hui, la définition de cette identité Une (et non unique) par le discours politico-médiatique dominant se résume le plus souvent à l’identité majoritaire sans réussir à inclure les identités minoritaires. Est-ce qu’être français, ça doit forcément être lié au fait d’avoir des origines blanches, rurales, et catholiques? Pourquoi tout rapporter à la question des origines et des racines, alors que la tradition républicaine française fait reposer la citoyenneté sur la volonté ? La République est un volontarisme, non un essentialisme ou un culturalisme.

“Le socle idéologique du FN vient de la guerre d’Algérie”

Dans votre livre, vous restez très général. Vous êtes virulent à l’égard de cette «république identitaire», que vous dénoncez, mais vous ne dites jamais explicitement qui la promeut. Pourquoi cette prudence?

Ma posture n’est pas celle de la mise en accusation, mais j’identifie bel et bien deux types d’acteurs particuliers de cette République identitaire.

La République identitaire se caractérise par la montée d’un anti-intellectualisme – synonyme notamment d’un rejet des sciences sociales – alors que le système médiatique a consacré des figures journalistiques et «intellectuelles» identitaristes engagées dans une bataille culturelle décomplexée, de l’écrivain d’extrême droite Renaud Camus (et son «Grand Remplacement») au politologue de gauche Laurent Bouvet (et son «insécurité culturelle»), en passant par l’académicien symbolique de ce mouvement: Alain Finkielkraut.

Cette vision de la France et du monde (qui joue d’ailleurs le jeu des «terroristes-ennemis de la République») a largement investi le champ politique. La polarisation de l’ordre politique et social autour des questions identitaires en général et de la question de l’identité nationale en particulier traverse l’ensemble de l’échiquier politique et participe au brouillage idéologique actuel qui remet en cause les clivages traditionnels entre extrême droite, droite et gauche. Ainsi, des membres du gouvernement actuel (MM. Valls et Cazeneuve) n’ont pas hésité à souligner «les racines chrétiennes de la France», s’alignant ainsi sur un discours identitaire dont l’origine remonte à l’extrême-droite.

Vous écrivez «l’identité expliquerait tout, y compris le vote ou le passage à l’acte terroriste». Cela signifie que selon vous, à l’inverse, on ne peut faire aucun lien entre l’identité et le comportement dans les urnes ou le terrorisme?

Qu’un lien présumé ou réel existe, c’est une chose ; qu’on l’érige en critère décisif est plus gênant, voire dangereux. Vouloir expliquer des phénomènes sociaux, politiques ou criminels à travers le prisme des «origines» témoigne d’une dérive culturaliste, voire essentialiste. Cette paresse intellectuelle se vérifie dans la tentative d’explication du «basculement djihadiste» de jeunes Français, qui ignore par trop le terreau social, le sentiment de vide (spirituel et politique), voire la volonté de rédemption qui les précipite dans cette forme de nihilisme radical et criminel. Il suffit ici de rappeler que les attentats de Paris et de Bruxelles ont été commis, non pas par des théologiens ou mêmes d’anciens fervents pratiquants, mais surtout par d’ex-délinquants qui ont grandi dans des familles déstructurées et des territoires défavorisés. L’exclusion favorise la radicalisation…

A propos d’Islam, vous dénoncez la «présomption d’anti-républicanisme qui pèse sur les musulmans». Tout le monde sera d’accord là-dessus : il ne faut pas laisser le soupçon s’instiller contre tout un groupe, il faut lutter contre les amalgames, etc. Mais, du même coup, vous ne parlez pas du fait inverse, tout aussi vrai : il existe également des Français aujourd’hui, qui luttent contre la République au nom de l’Islam…

Permettez-moi d’abord de noter que l’unanimisme autour de la «République» a quelque chose de factice: non seulement cette idée demeure largement indéterminée, mais il est permis de s’interroger sur l’éthique de conviction de certains républicains autoproclamés. Sans revenir sur la stratégie de la «banalisation-républicanisation» du FN ou la mue de l’UMP en «Les Républicains», le déficit d’exemplarité de nos représentants sape la crédibilité du discours républicain. Et l’affaire Cahuzac laisse penser que la gauche est loin du dévouement à la chose publique et du respect de la «vertu civique» inhérente à la morale républicaine…

Quant à votre question, il est indéniable que, chez les djihadistes, il y a une volonté de cibler en particulier la République française, perçue à la fois comme porteuse d’une laïcité oppressante (par exemple à travers les lois d’interdiction du voile à l’école et du niqab dans l’espace public) et comme une puissance interventionniste dans le monde musulman. Ce discours vengeur et victimaire tente de mobiliser les musulmans à travers une vision instrumentale de l’Islam érigée en idéologie totalitaire au service d’une «volonté de puissance» incarnée par le projet de Califat. Il n’empêche, de fait, les musulmans sont les premières victimes, au sens symbolique et réel du terme, de cette entreprise politico-criminelle.

Djihadisme : Olivier Roy répond à Gilles Kepel

Vous évoquez la dérive djihadiste comme un phénomène qui «demeure marginal». Certes, mais il ne semble pas du tout en déclin. Que faut-il faire pour lutter contre cette dérive ?

L’objet de cet essai est l’emprise de la question identitaire – y compris à travers le débat sur la laïcité – sur l’ordre politique et social, c’est pourquoi le phénomène djihadiste n’est qu’une illustration de cette polarisation.

Le djihadisme est un radicalisme, dont les racines puisent notamment dans nos propres failles, dans la crise systémique que subit la République elle-même. Déconstruire les fantasmes et l’attractivité du discours djihadiste suppose aussi de nous reconstruire. Notre société est traversée par un vide idéologique et spirituel prolongé par le creusement des inégalités sociales et territoriales. Elles forment autant de terreaux fertiles à la radicalisation djihadiste de notre jeunesse.

Dans votre conclusion vous expliquez la difficulté aujourd’hui, à trouver un «nous» qui rassemble. Ce serait quoi un «nous les Français», idéal?

Il y a un «fait multiculturel» – à ne pas confondre avec la «doctrine multiculturaliste» – qu’on ne saurait nier. Sa reconnaissance doit s’accompagner de l’affirmation de valeurs supérieures car communes. L’adhésion à ce socle commun suppose de restaurer la cohésion sociale et (donc) de replacer la question de l’égalité au cœur de notre projet de société. La lutte contre les inégalités sociales et les discriminations ne s’affiche plus sur l’agenda politique officiel.

Peut-on offrir l’austérité budgétaire et la flexi-sécurité comme seul horizon à une jeunesse plongée dans le marché global ? Il faut également dépasser la logique mémorielle et commémorative pour inscrire la République dans une logique dynamique de revitalisation de sa matrice progressiste, celle-là même qui est inscrite dans notre devise: liberté, égalité, fraternité.

Or ce triptyque est actuellement fragilisé: notre société vit avec le spectre d’une dérive liberticide; l’action publique en faveur de la lutte contre les inégalités et les discriminations est soit neutralisée, soit inefficace – alors que ces inégalités ne cessent de croître; enfin, la fraternité demeure l’impensé de notre devise, alors même que la solidarité pourrait être un rempart contrel’individualisme consumériste, et devenir le ciment de ce Nous.

Propos recueillis par François Reynaert

La République identitaire – ordre et désordre français,

par Beligh Nabli, Editions du Cerf, 174 p., 19 euros.

« Depuis 50 ans, on nous emmerde avec l’identité »

Le tableau retrouvé dans un grenier de Toulouse est-il un vrai Caravage ?

Le regard direct et la main assurée, une jeune veuve tranche la tête d’un général assyrien dont le visage se fige dans un rictus de douleur. Tel est le sujet de « Judith et Holopherne », oeuvre présumée de Michelangelo Merisi dit « Le Caravage », l’un des maîtres italiens du début du XVIIe siècle.

La toile a été dévoilée au public mardi 12 avril chez l’expert Eric Turquin dans le 2e arrondissement de Paris. Plusieurs indices conduisent à penser qu’il s’agit d’un authentique Caravage. D’après le cabinet d’expertise, on peut déceler la main du maître dans ce tableau, « probablement exécuté à Rome entre 1604 et 1605 ».

« Ce n’est pas une copie. Ce #Caravage peint à la serpe, sans corrections. Il est authentique » (Eric Turquin, expert) pic.twitter.com/sVbSNYDRIg

— Jean-François Guyot (@JFGuyot) 12 avril 2016

« La technique d’élaboration est violente, le coup de pinceau brutal, et ensuite, lors du peaufinage, les parties saillantes ne sont pas corrigées. Ainsi les reflets sur les ongles ou dans les yeux. Ou encore le trait vermillon de la soie noire […]. Ceci est caractéristique de la manière du maître », détaille Eric Turquin au « Figaro ».

Le Caravage a peint un premier « Judith et Holopherne », aujourd’hui exposé à la Galeria nazionale antica de Rome.

Judith décapitant Holopherne, de Caravage, vers 1598

Judith décapitant Holopherne, de Caravage, à la Galerie nationale d’art ancien, à Rome.

Plusieurs lettres attestent de l’existence d’une seconde version de la scène biblique peinte par le maître italien. Celle-ci a d’ailleurs fait l’objet d’une copie par le peintre flamand Louis Finson, contemporain du maître du clair-obscur.

Le tableau représentant Judith et Holopherne avait disparu pendant 400 ans. Le testament du peintre Finson en 1617 le mentionnait #Caravage

— Emmanuelle Jardonnet (@Emma_Jardonnet) 12 avril 2016

Le tableau aurait appartenu au XIXe siècle à un général napoléonien puis serait resté à l’abandon pendant plus de 150 ans. La toile a été découverte par hasard en avril 2014 dans le grenier d’une maison de la région toulousaine alors que ses propriétaires cherchaient l’origine d’une fuite d’eau.

Une controverse artistique

Le débat met le monde de l’histoire de l’art en émoi. Ainsi, la spécialiste italienne du Caravage, Mina Gregori, confie au « Quotidien de l’Art » qu’il ne s’agit pas d’un original du maître lombard mais que l’oeuvre « présente une qualité indéniable ».

« Aucun tableau du #Caravage retrouvé n’a jamais donné lieu à un consensus total, il y a toujours des controverses » Eric Turquin

— Emmanuelle Jardonnet (@Emma_Jardonnet) 12 avril 2016

Sur recommandation du musée du Louvre, « Judith et Holopherne » a été classé le 25 mars 2016 « Trésor national » par la ministre de la Culture, Audrey Azoulay. En conséquence, l’oeuvre est interdite d’exportation pendant 30 mois, période pendant laquelle un propriétaire français pourrait se porter acquéreur. La toile est estimée à 120 millions d’euros.

S’il est établi que le tableau a été peint par Le Caravage, il s’agira, selon l’expert parisien Eric Turquin, de « la toile la plus importante, et de loin, révélée ces 20 dernières années, d’un des génies de la peinture universelle. »

M. H.

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