Mois : mars 2016

Imre Kertész, le juste, est mort

La stratégie de la mouche : pourquoi le terrorisme est-il efficace ?

Le théâtre de la terreur

Un terroriste, c’est comme une mouche qui veut détruire un magasin de porcelaine. Petite, faible, la mouche est bien incapable de déplacer ne serait-ce qu’une tasse. Alors, elle trouve un éléphant, pénètre dans son oreille, et bourdonne jusqu’à ce qu’enragé, fou de peur et de colère, ce dernier saccage la boutique. C’est ainsi, par exemple, que la mouche Al-Qaeda a amené l’éléphant américain à détruire le magasin de porcelaine du Moyen-Orient.

Comme son nom l’indique, la terreur est une stratégie militaire qui vise à modifier la situation politique en répandant la peur plutôt qu’en provoquant des dommages matériels. Ceux qui l’adoptent sont presque toujours des groupes faibles, qui n’ont pas, de toute façon, la capacité d’infliger d’importants dommages matériels à leurs ennemis. Certes, n’importe quelle action action militaire engendre de la peur. Mais dans la guerre conventionnelle, la peur n’est qu’un sous-produit des pertes matérielles, et elle est généralement proportionnelle à la force de frappe de l’adversaire. Dans le cas du terrorisme, la peur est au cœur de l’affaire, avec une disproportion effarante entre la force effective des terroristes et la peur qu’ils parviennent à inspirer.

Modifier une situation politique en recourant à la violence n’est pas chose aisée. Le premier jour de la bataille de la Somme, le 1er juillet 1916, l’armée britannique a déploré 19.000 morts et 40.000 blessés. À la fin de la bataille, en novembre, les deux camps réunis comptaient au total plus d’un million de victimes, dont 300.000 morts. Pourtant, ce carnage inimaginable ne changea quasiment pas l’équilibre des pouvoirs en Europe. Il fallut encore deux ans et des millions de victimes supplémentaires pour que la situation bascule.

En comparaison, le terrorisme est un petit joueur. Les attentats de Bruxelles du 22 mars 2016 ont fait trente et un morts. En 2002, en plein cœur de la campagne de terreur palestinienne contre Israël, alors que des bus et des restaurants étaient frappés tous les deux ou trois jours, le bilan annuel a été de 451 morts dans le camp israélien. La même année, 542 Israéliens ont été tués dans des accidents de voiture. Certaines attaques terroristes, comme l’attentat du vol Pan Am 103 de 1988, qui a explosé au-dessus du village de Lockerbie, en Écosse, font parfois quelques centaines de victimes. Les 3000 morts des attentats du 11 Septembre constituent un record à cet égard. Mais cela reste dérisoire en comparaison du prix de la guerre conventionnelle.

Faites le compte de toutes les victimes (tuées ou blessées) d’attaques terroristes en Europe depuis 1945 (qu’elles aient été perpétrées par des groupes nationalistes, religieux, de gauche ou de droite…), vous resterez toujours très en-deçà du nombre de victimes de n’importe quelle obscure bataille de l’une ou l’autre guerre mondiale, comme la 3e bataille de l’Aisne (250.000 victimes) ou la 10e bataille de l’Isonzo (225.000 victimes). Aujourd’hui, pour chaque Européen tué dans une attaque terroriste, au moins un millier de personnes meurent d’obésité ou des maladies qui lui sont associées. Pour l’Européen moyen, McDonalds est un danger bien plus sérieux que l’État islamique.

Comment alors les terroristes peuvent-ils espérer arriver à leurs fins ? À l’issue d’un acte de terrorisme, l’ennemi a toujours le même nombre de soldats, de tanks et de navires qu’avant. Ses voies de communication, routes et voies ferrées, sont largement intactes. Ses usines, ses ports et ses bases militaires sont à peine touchées. Ce qu’espèrent pourtant les terroristes, quand bien même ils n’ébranlent qu’à peine la puissance matérielle de l’ennemi, c’est que, sous le coup de la peur et de la confusion, ce dernier réagira de façon disproportionnée et fera un mauvais usage de sa force préservée.

Leur calcul est le suivant: en tournant contre eux son pouvoir massif, l’ennemi, fou de rage, déclenchera une tempête militaire et politique bien plus violente que celle qu’eux-mêmes auraient jamais pu soulever. Et au cours de ces tempêtes, ce qui n’était jamais arrivé arrive: des erreurs sont faites, des atrocités sont commises, l’opinion publique se divise, les neutres prennent position, et les équilibres politiques sont bouleversés. Les terroristes ne peuvent pas prévoir exactement ce qui sortira de leur action de déstabilisation, mais ce qui est sûr, c’est que la pêche a plus de chance d’être bonne dans ces eaux troubles que dans une mer politique calme.

Voilà pourquoi un terroriste ressemble à une mouche qui veut détruire un magasin de porcelaine. Petite, faible, la mouche est incapable de déplacer ne serait-ce qu’une simple tasse. Alors, elle trouve un éléphant, pénètre dans son oreille, et bourdonne jusqu’à ce qu’enragé, fou de peur et de colère, ce dernier saccage la boutique. C’est ce qui est arrivé au Moyen-Orient ces dix dernières années. Les fondamentalistes islamiques n’auraient jamais pu renverser eux-mêmes Saddam Hussein. Alors ils s’en sont pris aux États-Unis, et les États-Unis, furieux après les attaques du 11 Septembre, ont fait le boulot pour eux: détruire le magasin de porcelaine du Moyen-Orient. Depuis, ces décombres leur sont un terreau fertile.

L’histoire d’homo sapiens, par Yuval Noah Harari

Rebattre les cartes

Le terrorisme est une stratégie militaire peu séduisante, parce qu’elle laisse toutes les décisions importantes à l’ennemi. Comme les terroristes ne peuvent pas infliger de dommages matériels sérieux, toutes les options que l’ennemi avait avant une attaque terroriste sont encore à sa disposition après, et il est complètement libre de choisir entre elles. Les armées régulières cherchent normalement à éviter une telle situation à tout prix. Quand elles attaquent, leur but n’est pas d’orchestrer un spectacle terrifiant qui attise la colère de l’ennemi et l’amène à répliquer.

Au contraire, elles essaient d’infliger à leur ennemi des dommages matériels sérieux afin de réduire sa capacité à répliquer. Elles cherchent notamment à le priver de ses armes et de ses solutions tactiques les plus dangereuses. C’est, par exemple, ce qu’a fait le Japon en décembre 1941, avec l’attaque surprise qui a coulé la flotte américaine à Pearl Harbor. Ce n’était pas un acte terroriste; c’était un acte de guerre. Les Japonais ne pouvaient prévoir avec certitude quelle seraient les représailles, à part sur un point : quel que soit ce qu’ils décideraient de faire, il ne leur serait plus possible d’envoyer une flotte dans le Sud-Est asiatique en 1942.

Provoquer l’ennemi sans le priver d’aucune de ses armes ou de ses possibilités de répliquer est un acte de désespoir, un dernier recours. Quand on a la capacité d’infliger de gros dommages matériels à l’ennemi, on n’abandonne pas cette stratégie pour du simple terrorisme. Imaginez que, en décembre 1941, les Japonais aient, pour provoquer les États-Unis, torpillé un navire civil sans toucher à la flotte du Pacifique à Pearl Harbor: ç’aurait été de la folie !

Mais les terroristes n’ont pas trop le choix. Ils sont si faibles qu’ils n’ont pas les moyens de couler une flotte ou de détruire une armée. Ils ne peuvent pas mener de guerre régulière. Alors, ils choisissent de faire dans le spectaculaire pour, espèrent-ils, provoquer l’ennemi, et le faire réagir de façon disproportionnée. Un terroriste ne raisonne pas comme un général d’armée, mais comme un metteur en scène de théâtre: c’est là un constat intuitif, qu’illustre bien, par exemple, ce que la mémoire collective a conservé des attentats du 11 Septembre. Si vous demandez aux gens ce qu’il s’est passé le 11 Septembre, ils répondront probablement que les tours jumelles du World Trade Center sont tombées sous le coup d’une attaque terroriste d’Al-Qaeda. Pourtant, en plus des attentats contre les tours, il y a eu ce jour-là deux autres attaques, notamment une attaque réussie contre le Pentagone. Comment se fait-il qu’aussi peu de gens s’en souviennent?

Si l’opération du 11 Septembre avait relevé d’une campagne militaire conventionnelle, l’attaque du Pentagone aurait retenu la plus grande attention. Car elle a permis à Al-Qaeda de détruire une partie du QG ennemi, tuant et blessant au passage des dirigeants et des experts de haut rang. Comment se fait-il que la mémoire collective accorde bien plus d’importance à la destruction de deux bâtiments civils et à la disparition de courtiers, de comptables et d’employés de bureaux?

C’est que le Pentagone est un bâtiment relativement plat et arrogant, tandis que le World Trade Center était un grand totem phallique dont l’effondrement a produit un énorme effet audiovisuel. Qui a vu les images de cet effondrement ne pourra jamais les oublier. Le terrorisme, c’est du théâtre, nous le comprenons intuitivement – et c’est pourquoi nous le jugeons à l’aune de son impact émotionnel plus que matériel. Rétrospectivement, Oussama ben Laden aurait peut-être préféré trouver à l’avion qui a frappé le Pentagone une cible plus pittoresque, comme la statue de la Liberté. Il y aurait certes eu peu de morts, et aucun atout militaire de l’ennemi n’aurait été détruit, mais quel puissant geste théâtral !

À l’instar des terroristes, ceux qui les combattent devraient aussi penser en metteurs en scène plutôt qu’en généraux. Pour commencer, si l’on veut combattre le terrorisme efficacement, il faut prendre conscience que rien de ce que les terroristes font ne peut vraiment nous détruire. C’est nous seuls qui nous détruisons nous-mêmes, si nous surréagissons et donnons les mauvaises réponses à leurs provocations.

Les terroristes s’engagent dans une mission impossible, quand ils veulent changer l’équilibre des pouvoirs politiques par la violence, alors qu’ils n’ont presque aucune capacité militaire. Pour atteindre leur but, ils lancent à nos États un défi tout aussi impossible : prouver qu’ils peuvent protéger tous leurs citoyens de la violence politique, partout et à tout moment. Ce qu’ils espèrent, c’est que, en s’échinant à cette tâche impossible, ils vont rebattre les cartes politiques, et leur distribuer un as au passage.

Certes, quand l’État relève le défi, il parvient en général à écraser les terroristes. En quelques dizaines d’années, des centaines d’organisations terroristes ont été vaincues par différents États. En 2002-2004, Israël a prouvé qu’on peut venir à bout, par la force brute, des plus féroces campagnes de terreur. Les terroristes savent parfaitement bien que, dans une telle confrontation, ils ont peu de chance de l’emporter. Mais, comme ils sont très faibles et qu’ils n’ont pas d’autre solution militaire, ils n’ont rien à perdre et beaucoup à gagner. Il arrive parfois que la tempête politique déclenchée par les campagnes de contre-terrorisme joue en faveur des terroristes: c’est pour cette raison que cela vaut le coup de jouer. Un terroriste, c’est un joueur qui, ayant pioché au départ une main particulièrement mauvaise, essaye de convaincre ses rivaux de rebattre les cartes. Il n’a rien à perdre, tout à gagner.

Une petite pièce dans une jarre vide

Pourquoi l’État devrait-il accepter de rebattre les cartes ? Puisque les dommages matériels causés par le terrorisme sont négligeables, l’État pourrait théoriquement en faire peu de cas, ou bien prendre des mesures fermes mais discrètes loin des caméras et des micros. C’est d’ailleurs bien souvent ce qu’il fait. Mais d’autres fois, les États s’emportent, et réagissent bien trop vivement et trop publiquement, faisant ainsi le jeu des terroristes. Pourquoi les États sont-ils aussi sensibles aux provocations terroristes?

S’ils ont souvent du mal à supporter ces provocations, c’est parce que la légitimité de l’État moderne se fonde sur la promesse de protéger l’espace public de toute violence politique. Un régime peut survivre à de terribles catastrophes, voire s’en laver les mains, du moment que sa légitimité ne repose pas sur le fait de les éviter. Inversement, un problème mineur peut provoquer la chute d’un régime, s’il est perçu comme sapant sa légitimité. Au XIVe siècle, la peste noire a tué entre un quart et la moitié de la population européenne, mais nul roi n’a perdu son trône pour cela, nul non plus n’a fait beaucoup d’effort pour vaincre le fléau. Personne à l’époque ne considérait que contenir les épidémies faisait partie du boulot d’un roi. En revanche, les monarques qui laissaient une hérésie religieuse se diffuser sur leurs terres risquaient de perdre leur couronne, voire d’y laisser leur tête!

Aujourd’hui, un gouvernement peut tout à fait fermer les yeux sur la violence domestique ou sexuelle, même si elle atteint de hauts niveaux, parce que cela ne sape pas sa légitimité. En France, par exemple, plus de mille cas de viols sont signalés chaque année aux autorités, sans compter les milliers de cas qui ne font pas l’objet de plaintes. Les violeurs et les maris abusifs, au demeurant, ne sont pas perçus comme une menace existentielle pour l’État parce que historiquement ce dernier ne s’est pas construit sur la promesse d’éliminer la violence sexuelle. A contrario, les cas, bien plus rares, de terrorisme, sont perçus comme une menace fatale, parce que, au cours des siècles derniers, les États occidentaux modernes ont peu à peu construit leur légitimité sur la promesse explicite d’éradiquer la violence politique à l’intérieur de leurs frontières.

Au Moyen Âge, la violence politique était omniprésente dans l’espace public. La capacité à user de violence était de fait le ticket d’entrée dans le jeu politique; qui en était privé n’avait pas voix au chapitre. Non seulement de nombreuses familles nobles, mais aussi des villes, des guildes, des églises et des monastères avaient leurs propres forces armées. Quand la mort d’un abbé ouvrait une querelle de succession, il n’était pas rare que les factions rivales – moines, notables locaux, voisins inquiets – recourent aux armes pour résoudre le problème.

Le terrorisme n’avait aucune place dans un tel monde. Qui n’était pas assez fort pour causer des dommages matériels substantiels était insignifiant. Si, en 1150, quelques musulmans fanatiques avaient assassiné une poignée de civils à Jérusalem, en exigeant que les Croisés quittent la terre sainte, ils se seraient rendus ridicules plutôt que d’inspirer la terreur. Pour être pris au sérieux, il fallait commencer par s’emparer d’une ou deux places fortes. Nos ancêtres médiévaux se fichaient bien du terrorisme: ils avaient trop de problèmes bien plus importants à régler.

Au cours de l’époque moderne, les États centralisés ont peu à peu réduit le niveau de violence politique sur leur territoire, et depuis quelques dizaines d’années les pays occidentaux l’ont pratiquement abaissé à zéro. En Belgique, en France ou aux États-Unis, les citoyens peuvent se battre pour le contrôle des villes, des entreprises et autres organisations, et même du gouvernement lui-même sans recourir à la force brute. Le commandement de centaines de milliards d’euros, de centaines de milliers de soldats, de centaines de navires, d’avions et de missiles nucléaires passe ainsi d’un groupe d’hommes politiques à un autre sans que l’on ait à tirer un seul coup de feu. Les gens se sont vite habitués à cette façon de faire, qu’ils considèrent désormais comme leur droit le plus naturel. Par conséquent, des actes, même sporadiques, de violence politique, qui tuent quelques dizaines de personnes, sont vus comme une atteinte fatale à la légitimité et même à la survie de l’État. Une petite pièce, si on la lance dans une jarre vide, suffit à faire grand bruit.

C’est ce qui explique le succès des mises en scène terroristes. L’État a créé un immense espace vide de violence politique – un espace qui agit comme une caisse de résonance, amplifiant l’impact de la moindre attaque armée, si petite soit-elle. Moins il y a de violence politique dans un État, plus sa population sera choquée face à un acte terroriste. Tuer trente personnes en Belgique attire bien plus d’attention que tuer des centaines de personnes au Nigeria ou en Iraq. Paradoxalement, donc, c’est parce qu’ils ont réussi à contenir la violence politique que les États modernes sont particulièrement vulnérables face au terrorisme. Un acte de terreur qui serait passé inaperçu dans un royaume médiéval affectera bien davantage les États modernes, touchés au cœur.

L’État a tant martelé qu’il ne tolérerait pas de violence politique à l’intérieur de ses frontières qu’il est maintenant contraint de considérer tout acte de terrorisme comme intolérable. Les citoyens, pour leur part, se sont habitués à une absence totale de violence politique, de sorte que le théâtre de la terreur fait naître en eux une peur viscérale de l’anarchie, comme si l’ordre social était sur le point de s’effondrer. Après des siècles de batailles sanglantes, nous nous sommes extraits du trou noir de la violence, mais ce trou noir, nous le sentons, est toujours là, attendant patiemment le moment de nous avaler à nouveau. Quelques atrocités, quelques horreurs – et nous voilà, en imagination, en train de retomber dedans.

Afin de soulager ces peurs, l’État est amené à répondre au théâtre de la terreur par un théâtre de la sécurité. La réponse la plus efficace au terrorisme repose sans doute sur de bons services secrets et sur une action discrète contre les réseaux financiers qui alimentent le terrorisme. Mais ça, les gens ne peuvent pas le voir à la télévision. Or ils ont vu le drame terroriste de l’effondrement des tours du World Trade Center. L’État se sent donc obligé de mettre en scène un contre-drame aussi spectaculaire, avec plus de feu et de fumée encore. Alors au lieu d’agir calmement et efficacement, il déclenche une énorme tempête qui, bien souvent, comble les rêves les plus chers des terroristes.

Comment l’État devrait-il faire face au terrorisme ? Pour réussir, la lutte devrait être menée sur trois fronts. Les gouvernements, d’abord, devraient se concentrer sur une action discrète contre les réseaux terroristes. Les médias, ensuite, devraient relativiser les événements et éviter de basculer dans l’hystérie. Le théâtre de la terreur ne peut fonctionner sans publicité. Or malheureusement, les médias ne font souvent que fournir cette publicité gratuitement: ils ne parlent que des attaques terroristes, de façon obsessionnelle, et exagèrent largement le danger, parce que de tels articles sensationnels font vendre les journaux, bien mieux que les papiers sur le réchauffement climatique.

Le troisième front, enfin, est celui de notre imagination à tous. Les terroristes tiennent notre imagination captive, et l’utilisent contre nous. Sans cesse, nous rejouons les attaques terroristes dans notre petit théâtre mental, nous repassant en boucle les attaques du 11 Septembre ou les attentats de Bruxelles. Pour cent personnes tuées, cent millions s’imaginent désormais qu’il y a un terroriste tapi derrière chaque arbre. Il en va de la responsabilité de chaque citoyen et de chaque citoyenne de libérer son imagination, et de se rappeler quelles sont les vraies dimensions de la menace. C’est notre propre terreur intérieure qui incite les médias à traiter obsessionnellement du terrorisme et le gouvernement à réagir de façon démesurée.

Que dire encore du terrorisme nucléaire ou bio-terrorisme? Que se passerait-il si ceux qui prédisent l’Apocalypse avaient raison? si les organisations terroristes venaient à acquérir des armes de destruction massive, susceptibles, comme dans la guerre conventionnelle, de causer d’immenses dommages matériels? Quand cela arrivera (si cela arrive), l’État tel que nous le connaissons sera dépassé. Et du même coup, le terrorisme tel que nous le connaissons cessera également d’exister, comme un parasite meurt avec son hôte.

Si de minuscules organisations représentant une poignée de fanatiques peuvent détruire des villes entières et tuer des millions de personnes, l’espace public ne sera plus vierge de violence politique. La vie politique et la société connaîtront des transformations radicales. Il est difficile de savoir quelle forme prendront les batailles politiques, mais elles seront certainement très différentes des campagnes de terreur et de contre-terreur du début du XXIe siècle. Si en 2050 le monde est plein de terroristes nucléaires et de bio-terroristes, leurs victimes songeront au monde occidental d’aujourd’hui avec une nostalgie teintée d’incrédulité: comment des gens qui jouissaient d’une telle sécurité ont-ils pu se sentir aussi menacés ?

© Yuval Harari 2016

© Albin Michel pour la traduction française 2016, par Clotilde Meyer

Yuval Noah Harari, bio express

Yuval Harari (©Rami Zarnegar)

Docteur en histoire médiévale, spécialiste des croisades, Yuval Noah Harari, 39 ans, est diplômé d’Oxford. Né en Israël de parents juifs libanais, il enseigne depuis 2003 à l’université hébraïque de Jérusalem. Il vient de publier en France «Sapiens. Une brève histoire de l’humanité» (Albin Michel), déjà traduit en une quarantaine de langues. (PHOTO ©Rami Zarnegar)

Affaire de prêtre pédophile à Lyon : un nouveau suspect

Un nouveau prêtre lyonnais est soupçonné d’agressions sexuelles, a-t-on appris jeudi de source proche du dossier alors que le diocèse et son évêque, le cardinal Barbarin, sont dans la tourmente depuis la révélation de plusieurs affaires.

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Selon le site internet M6info, qui a révélé l’information, il s’agit d’un prêtre du deuxième arrondissement de la ville, déjà ciblé par une enquête en 2006 et classée quelques mois plus tard. Celle-ci a été «réactivée» il y a quelques jours par la justice, a confirmé la source proche du dossier.

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AFP

Loi travail : une mobilisation presque multipliée par deux depuis le 9 mars

Dans les rangs de Lutte ouvrière, au moment d’installer le stand, boulevard de l’hôpital, vers 13h. Une militante de Paris, la cinquantaine, qui ne travaille plus, explique à notre journaliste Amandine Cailhol qu’elle est ici «par solidarité avec les jeunes qui vont en pâtir toute leurs vies». La manif suffira-t-elle à faire plier le gouvernement et obtenir le retrait? «Pourquoi pas, vu qu’on est proche des élections présidentielles, c’est un enjeu pour les gens au pouvoir, note-t-elle. Et puis c’est mieux d’être dans la rue que de signer des pétitions sur internet, c’est plus efficace. Après nous, à Lutte ouvrière, on y va pas par quatre chemins. Ce qu’on préconise vraiment c’est de mettre fin à la bourgeoisie.»

Même optimisme pour Julien, de LO, trentenaire et professeur de collège à Paris, qui en est à sa quatrième manif contre la loi travail : «Si la mobilisation s’amplifie, le retrait est possible. Ça s’est passé comme ça pour le CPE, il y a dix ans. Il faut des manifs plus nombreuses, plus de manifestants, mais aussi plus de grévistes. L’arme des travailleurs, ça reste la grève. Nous fêterons bientôt les 80 ans de la grève générale de 1936. Il faut donc amplifier, notamment par la grève, mais les manifs participent aussi de la mobilisation. Ça fait partie d’un tout.»

En face, à l’abri d’une terrasse de café, une rangées de CRS, boucliers au sol, font des commentaires, en rigolant, sur les militants qui s’attellent à dérouler une banderole. Entre deux éclats de rire, ils demandent: «Où est la bac?» Plus loin, la sono de la CNT crache un air de manif: «Réveille-toi».

« Hollande, Gattaz, vos lois ont en veut pas » #Manif31Mars

31.03.16Amandine Cailhol. @A_Cailhol Suivre

« Presque comme les autres » : « Un film sur l’autisme d’utilité publique »

« Presque comme les autres » est un film sur l’autisme. Il sera diffusé le 30 mars sur France 2. (Capture/France 2)

J’étais invité le 21 mars à l’avant-première du téléfilm « Presque comme les autres » réalisé par Renaud Bertrand, adaptation du récit autobiographique de Gersende et Francis Perrin, « Louis Pas à pas ». Dans cet ouvrage, les auteurs racontent le parcours du combattant que cela représente d’avoir un enfant autiste en France.

Gersende et Francis Perrin ont été étroitement associés à l’élaboration du projet qui, il faut bien le dire, s’est heurté à une certaine frilosité du service public, peu enclin à dénoncer les graves manquements de notre pays en matière d’accompagnement des enfants et adultes autistes.

Condamnée cinq fois par le Conseil de l’Europe pour discrimination à l’égard des personnes autistes, avec un taux de scolarisation ridicule pour la population concernée, et l’influence encore dominante de la psychanalyse sur les psychiatres, psychologues et travailleurs sociaux de la petite enfance, la France est réputée pour son retard légendaire sur le sujet. Sur le terrain, les recommandations 2012 de la HAS (Haute autorité de santé) sur l’autisme sont loin d’être respectées.

Des personnages troublants de vérité

Cette réalité est très bien exposée dans ce film, sans pour autant tomber dans le pathos. Le découpage et les dialogues arrivent à marier des moments de légèreté et d’humour avec le drame de la situation et du cercle infernal qui se referme sur les protagonistes. Ignorance des proches à l’égard de l’autisme, rejets des écoles, culpabilisation des parents amenés à entamer une psychanalyse de couple, sans parler des pressions d’un célèbre pédopsychiatre parisien (qui se reconnaîtra et que beaucoup reconnaîtront) pour les dissuader de mettre en place un programme éducatif et comportemental adapté, mais leur préconisant plutôt de faire le deuil de leur enfant.

L’interprétation de la comédienne Julie-Marie Parmentier est magistrale et rend magnifiquement compte de l’isolement et du désarroi ou sont plongées les mères d’enfant autistes, traitées encore aujourd’hui de « mère réfrigérateurs » ou encore « mère fusionnelles » par une grande partie du corps psychiatrique.

Bernard Campan donne à son personnage toute la subtilité et l’intensité de ce père, écrasé par l’adversité mais parvenant à se relever pour ne jamais renoncer à défendre ceux qu’il aime, affrontant les regards de la société tout entière qui méprise la différence de son enfant.

On notera que le choix du réalisateur, Renaud Bertrand, de faire tourner un enfant autiste pour le rôle. Les regards et les instants captés par le réalisateur sont troublants de vérité. Cela prend tout son sens et on peut même lui attribuer la palme du premier réalisateur à avoir fait jouer une personne autiste en France.

Un film d’utilité publique

À l’issue de la projection, j’ai été témoin de l’accueil triomphal de la salle, remplie de parents concernés qui se sont tous reconnus dans le combat sans merci que mènent les protagonistes, poussés à faire de nombreux sacrifices pour que les droits fondamentaux de leur enfant soient respectés, le droit à avoir une place dans une société dont la devise est censée être l’égalité, la liberté et la fraternité.

Selon un sondage Ifop réalisé pour SOS Autisme France, (1.502 personnes interrogées en ligne du 1er au 3 mars), 79% des Français pensent que les personnes autistes sont victimes de discriminations ; 69% se disent prêts à travailler avec elles, et 72% se disent choqués que le terme « autiste » soit utilisé dans le langage courant et par des personnalités publiques comme quelque chose de négatif et insultant.

Or, en France, seuls 20% des enfants autistes sont scolarisés en milieu ordinaire en école élémentaire, seulement 11% le sont au collège et 1,2% au lycée.

Bien plus qu’un simple divertissement, ce film est d’utilité publique et j’incite vivement les téléspectateurs, concernés ou non par le sujet, à ne pas manquer ce rendez-vous le mercredi 30 mars 2016 à 20h55 sur France 2.

Le festival des Teddy Awards : 30 ans et toutes ses dents

Indomptables, rugissants et sensibles Teddy. Pour fêter sa trentième édition, le festival des Teddy Awards propose en avant-première au public onze films aux vibrations LGBT, projetés à la Berlinale, et dont plusieurs été primés. Comme « Tomcat » de l’autrichien Handl Klaus (meilleur film), « You’ll never be alone » du mexicain Alex Anwandter (prix du jury), « Kiki » de la suédoise Sara Jordenö (meilleur documentaire) ou encore « Théo et Hugo dans le même bateau » des français Olivier Ducastel et Jacques Martineau (prix du public), une ode à l’amour qui débute dans un « sex-club », avec une séquence de sexe non-simulé.

Au programme, une riche miellée de Teddy documentaires : l’âpre et passionnant « Inside the Chinese Closet », sur la pression qui, dans les familles chinoises, s’exerce sur les homosexuels contraints de contracter des faux mariages pour assurer leur descendance et déjouer les commérages haineux. « Brothers of The Night », qui s’attache, en mode Gus van Sant, au drôle de destin d’un jeune prostitué bulgare de Vienne qui propose des relations tarifées dans un club. « Weekends », un portait de G – Voice, chorale masculine et gay de Corée du Sud, refuge chantant contre l’homophobie.

Citons encore « Mapplethorpe : Look at the Pictures », un riche portrait réalisé par Fenton Bailey et Randy Barbato, qui ont eu un accès illimité aux archives du photographe américain et alter ego de Patti Smith. Sans oublier, donc, « Kiki »sur les bals émancipateurs et queer du voguing à New York, « lieux performatifs et festifs où Latinos et Afro-américains s’affranchissent des normes de la société patriarcale, blanche et hétérosexuelle ». Un hymne à la Teddyfférence !

L’Obs

Du 1er au 3 avril, au cinéma le Luminor Hôtel de Ville, 20, rue du Temple, 75004 Paris. 01-42-78-47-86.

Mort du prix Nobel de littérature hongrois Imre Kertész

L’écrivain hongrois Imre Kertész, auteur de Être sans destin et lauréat du prix Nobel de littérature en 2002, est décédé jeudi à l’âge de 86 ans, a annoncé son éditeur. Imre Kertész est mort à l’aube à son domicile de Budapest des suites d’une longue maladie, a déclaré Krisztian Nyary, directeur des éditions Magveto, joint par téléphone.

Ce juif rescapé des camps de concentration nazis fut le premier auteur de langue magyare primé par le Nobel. «Kertész a été l’un des écrivains hongrois les plus influents du 20e siècle, non seulement par son oeuvre (…) mais par sa pensée et sa vision du monde. Il restera une influence majeure de la littérature pour les années à venir», a ajouté Krisztian Nyary.

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Né le 9 novembre 1929, l’auteur a été déporté en 1944 à Auschwitz-Birkenau (Pologne) avant d’être transféré à Buchenwald (Allemagne) en 1945. Revenu en Hongrie, il fut aussi en butte à la terreur stalinienne, mis à l’écart par le régime alors qu’il travaillait comme journaliste.

Son ouvrage le plus connu, Etre sans destin, d’abord publié dans l’indifférence générale en 1975, a finalement été reconnu comme une oeuvre «qui dresse l’expérience fragile de l’individu contre l’arbitraire barbare de l’Histoire, et défend la pensée individuelle contre la soumission au pouvoir politique», selon le jury du prix Nobel de littérature.

L’Ultime auberge, son dernier ouvrage paru en 2015 en France aux éditions Actes Sud, transformait «le duel entre sa maladie de Parkinson et l’écriture d’un nouveau roman en une oeuvre autofictionnelle sublime et poignante», selon l’éditeur.

AFP

David Bowie, premier fan du Velvet Underground

En 1966, David Bowie a 19 ans, quand il écoute pour la première fois « The Velvet Underground & Nico », le premier disque du Velvet Underground, qui paraîtra en 1967. Pour le chanteur au seuil de sa carrière (son premier album, « David Bowie », paraîtra lui aussi en 1967), c’est comme une apparition.

En 2003, Bowie publiait dans “New York Magazine” un superbe exercice d’admiration pour célébrer le premier disque fondateur et matriciel du Velvet Underground. « Vers la fin de l’année 1966, mon manager d’alors, Ken Pitt, revenait des Etats-Unis avec deux disques qu’on lui avait donnés à New-York, écrit Bowie. Comme ils n’étaient pas particulièrement sa tasse de thé, il me les donna pour voir ce que j’en ferai. » Le premier est un disque des Fugs, le second, un pressage test, avec la signature d’Andy Warhol griffonné dessus. C’est « The Velvet Underground & Nico ».

« Tout ce que j’éprouvais sans le savoir pour le rock se révélait à moi sur un disque encore inédit, écrit Bowie. Le premier morceau glissait d’une manière assez inoffensive sans rien laisser présager de la suite. » Mais le deuxième titre, « I’m Waiting For The Man » foudroie Bowie comme une épiphanie. En écoutant cette guitare et cette basse « palpitantes et sarcastiques », il conçoit « la pierre angulaire de (s)on ambition » : « Cette musique était sauvagement indifférente à mes sentiments. Elle se moquait de savoir si je l’aimais ou pas. Elle n’en avait rien à foutre. Elle était entièrement préoccupée par un monde ignoré de mes yeux de banlieusard », écrit le Britannique qui a grandi à Bromley, dans la banlieue de Londres.

« Les chansons tortillaient leurs tentacules »

Il y a donc pour le chanteur, un avant et un après le Velvet Underground de Lou Reed. « Bouleversement de toute ma personne », comme dit Proust. « Manifestement, la rigolade, c’était fini », écrit Bowie. « Ce que j’étais en train d’écouter atteignait un degré de cool dont je ne pouvais concevoir qu’il fût humainement viable. Un ravissement. L’une après l’autre, les chansons tortillaient et faufilaient leurs tentacules autour de mon esprit. Maléfique et sexuel, le violon de ‘Venus in Furs’, telle une musique de revival païenne préchrétienne. La voix de Nico, distante, glaciale, genre ‘baise-moi si tu veux, je m’en fous complètement’ sur ‘Femme fatale.' » A la fin du disque, au moment où s’achève « European Son », Bowie note :

« J’étais si excité que je ne pouvais plus bouger. Il était tard dans la soirée, et je n’avais personne à appeler pour m’épancher, alors j’ai écouté le disque encore et encore et encore. »

Au mois de décembre, Bowie reprend « I’m Waiting For The man », en rappel de ses derniers concerts avec son groupe Buzz. « C’était la première, écrit-il, qu’une chanson du Velvet était reprise par quelqu’un, quelque part dans le monde. Quelle chance. »

En 1972, David Bowie produit « Transformer » de Lou Reed, avec le tube « Walk on the Wild Side ». En 2003, l’année où il écrit ce fervent article dans « New York Magazine », il retrouve Lou Reed pour enregistrer une exquise et bouffonne miniature d’une minute quarante secondes : la chanson « Hop Frog », hommage à Edgar Allan Poe. Hop Frog, un nain boiteux avide de vengeance. A la mort de Lou Reed en 2013, Bowie salue la disparition d’un « maître ».

Fabrice Pliskin

Exit Daech : faut-il reconstruire Palmyre ?

Trois jours à peine après la reprise de la ville et du site archéologique syriens par les forces gouvernementales, la question de la reconstruction de Palmyre fait déjà polémique. « Le site peut être restauré dans un délai de l’ordre de cinq ans », a expliqué à « l’Obs » Maamoun Abdelkarim, directeur des Musées et Antiquités de Syrie joint par téléphone à Damas, la capitale du pays. Dès l’annonce de la victoire de l’armée de Bachar El-Assad, dimanche 27 mars, il avait déclaré à l’AFP : « Le site reviendra comme avant ». « Nous nous attendions au pire » avait-il ajouté « mais le paysage général est en bon état » selon ses correspondants sur place et les images qu’il avait pu visionner.

Mais le lendemain, lundi 28 mars, l’archéologue Annie Sartre-Fauriat, membre du groupe d’experts de l’Unesco pour le patrimoine syrien, s’était dite « perplexe sur la capacité de reconstruire Palmyre ». Le site étant classé au patrimoine mondial de l’humanité, sa reconstruction ne pourrait se faire sans l’aval et le suivi de l’organisation internationale et surtout ses moyens financiers. Mais est-ce la priorité aujourd’hui ? Et comment procéder ? Décryptage.

La paix d’abord

Depuis la destruction spectaculaire des temples de Bêl et de Baalshamin en août 2015, Palmyre est devenue le symbole de la barbarie patrimoniale de Daech en Syrie, après les destructions déjà perpétrées sur le site archéologique et dans le musée de Mossoul, en Irak.

Pourquoi Daech a détruit le temple de Baalshamin à Palmyre

Pour autant, la reprise de Palmyre ne signifie pas la fin de la guerre. L’organisation djihadiste subit des revers sur tous les fronts mais n’est pas vaincue. Quant à Jabhat al-Nosra, le groupe djihadiste affilié à Al-Qaida et hostile à Daech, il est loin d’être neutralisé. La paix en Syrie dépend aussi des combats entre les forces modérées anti-Bachar et le pouvoir en place.

Mais quel que soit l’occupant de Palmyre, le site archéologique reste en danger selon Cheikhmous Ali, archéologue syrien réfugié en France. Membre de l’Association pour la protection de l’archéologie syrienne (Apsa), il a déclaré lundi à l’AFP :

« La protection du site ne compte pas parmi les priorités de l’armée, pas plus que pour les autres belligérants. »

Lors de l’installation de campements militaires entre 2012 et 2014, « de vastes zones archéologiques pas encore fouillées avaient été détruites » poursuit-il.  » Nous, les archéologues, avons perdu de manière irrémédiable des informations très importantes, d’une valeur égale, sinon supérieur, à celle du temple de Bêl », a-t-il regretté. En somme tant que la Syrie est un champ de bataille, la question de la reconstruction de Palmyre relève du vœu pieu.

Pour le pouvoir syrien, qui sort renforcé par cette victoire, elle relève avant tout du symbole. « Cette récupération [de Palmyre sur Daech, NDRL] est une opération politique, médiatique vis-à-vis de l’opinion publique du régime de Bachar al-Assad », a mis en garde Annie Sartre-Fauriat de l’Unesco. « Le reflux de Daech aujourd’hui ne doivent pas faire oublier que le régime est le principal responsable du conflit et de ses 270.000 morts depuis cinq ans », a rappelé au même moment le porte-parole du Quai d’Orsay, Romain Nadal.

Syrie : à Palmyre, la victoire (médiatique) de Bachar al-Assad contre Daech

Une opération coûteuse

Selon Maamoun Abdelkarim 80% du site, dont l’Agora, les bains, le théâtre romain et les murailles de la cité, sont intacts ou légèrement endommagés. Les deux temples, les tours funéraires et le Lion d’Athena, une statue de 15 tonnes, font partie des 20% détruits. Ils ont été entièrement dynamités mais les pièces éparses pourraient être remontées.

« Avant la guerre, il restait seulement les quatre murs du temple de Bêl » précise Régis Vallet, archéologue au CNRS à l’origine avec deux collègues de la pétition pour la Défense du patrimoine irakien. « Les blocs ont explosé mais des techniciens pourraient tout à fait recoller les morceaux, remonter ce qui a été détruit par Daech ».

Quant aux éléments plus délicats, comme les sculptures des niches des tours funéraires et les pièces du musée de la ville, fortement endommagé et saccagé, tout dépend de la précision des archives.

Une vitrine dévastée et des statues abimées dans le musée de Palmyre, lundi 28 mars 2016 (AP/SIPA)

« Avec la photogramétrie, les monuments sont enregistrés en 3D. Il suffit de transmettre le document à un tailleur de pierre ». Encore faut-il que ces documents existent et, si tel est le cas, que la restauration s’effectue avec le soin et le temps nécessaires. « Mais Maamour Abdelkarim, dont je tiens à souligner l’honnêteté et avec qui je partage la joie de la libération du site, semble envisager des restaurations plus importantes » poursuit Régis Vallet. Or selon lui :

« Dans l’état actuel de la Syrie, c’est complètement exclu. En outre, cela coûterait des dizaines de millions d’euros ».

Vers un « Palmyreland » ?

Certains craignent de voir construire une sorte de parc d’attraction sur les ruines, un « Palmyreland  » à la gloire de Bachar, où des bâtiments entiers seraient reconstruits ou « réinventés » à la manière de Viollet-le Duc au XIXe siècle avec les constructions médiévales. Mais à cette époque, l’Unesco n’existait pas et l’opinion internationale n’avait aucun poids. « Je n’ai pas d’inquiétude. Ce n’est pas envisageable », veut croire Régis Vallet.

L’état du site avant le saccage de Daech n’a rien à voir non plus avec les quartiers historiques, comme à Dresde ou Varsovie, détruits pendant la Seconde Guerre mondiale puis reconstruits ultérieurement à l’identique.

« Hormis quelques remarquables constructions, Palmyre était un champ de ruines » rappelle Dominique Fernandez, membre de l’Académie française et auteur de « Adieu, Palmyre » avec le photographe Ferrante Ferranti (*) :

« On ne va pas reconstruire des ruines. »

Claire Fleury

(*) « Adieu, Palmyre », éditions Philippe Rey, mars 2016.

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