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Dark Vador débarque sur la Terre de glace

«Svarthöfði», soit «tête noire» en islandais. Voilà, le nouveau nom donné à une des rues de Reykjavík, dans la zone industrielle d’Höfði, pour remplacer le nom de rue «Bratthöfði» («cap raide»). Mais il s’agit surtout du nom islandais de Dark Vador. L’idée de créer une «rue Dark Vador» datait ainsi d’il y a deux ans. Un site internet, Better Reykjavík, conçu par la municipalité, fonctionnait comme une boîte à idées. Un habitant, Oli Gneisti Soleyjarson, avait soumis la proposition : «Nous avons besoin d’une rue portant le nom d’un personnage de Star Wars. […] C’est tellement évident», justifiait-il alors.

L’idée a fait son bonhomme de chemin grâce à Nykulas Ulfar Masson, un fonctionnaire municipal. Il a fait remonter cette proposition à ses collègues de l’urbanisme. Sur sa recommandation, il écrit : «Ce peut être approprié de nommer les choses dans notre environnement d’après des phénomènes bien connus de chaque période de l’histoire de l’humanité, qu’ils soient réels ou fictifs. Il y a beaucoup d’exemples de rues de Reykjavik baptisées d’après des personnages de fiction, donc ce ne serait pas étrange d’appeler une rue Dark Vador.» 

«Il était temps»

Il faut croire que la proposition a plu, puisque la décision de baptiser la rue par le nom du seigneur Sith a été adoptée mercredi par la division Environnement et Urbanisme de la ville, et devrait être effective une fois entérinée par le conseil municipal. La rue n’a pas été choisie au hasard : elle se situe dans une zone où tous les noms de rues commencent par le mot «höfði» qui signifie «tête» ou «cap». Cette rue Star Wars devrait désormais créer l’attraction, à quatre mois de la sortie du septième épisode de la saga, bien qu’elle soit située loin des endroits touristiques de la capitale, à l’écart des habitations.

Í dag var nafni götunnar Bratthöfði breytt í Svarthöfði #betriReykjavik

— Dagur B. Eggertsson (@Dagurb) 26 Août 2015

Le maire de la ville, Dagur B Eggertsson, a annoncé la nouvelle sur Twitter. Son prédécesseur, Jón Gnarr, a également commenté l’information avec ironie sur Facebook, disant qu’il «était temps». L’ancien maire de Reykjavík, un ancien humoriste connu pour son exubérance, est en effet un fan invétéré de la saga Star Wars. Jusqu’à être allé voter en tenue de maître Jedi aux élections parlementaires en 2013.

Jón Gnarr is a comedian and mayor of Reykjavik, Iceland. He cast his ballot while dressed a Jedi… #StarWarspic.twitter.com/tOzewH8AVl

— Mentality Mag (@MentalityMag) 29 Avril 2013

PHOTOS. La « Tomatina », la bataille géante de tomates en Espagne

Cette année, la Tomatina, une bataille géante de tomates qui a lieu à Buñol près de Valence en Espagne, fêtait ses 70 ans. Cet évènement, qui a déjà rassemblé plus de 45 000 personnes, se déroule tous les derniers mercredis du mois d’août. Sur cette image, une jeune femme prête à lancer de la pulpe de tomate, à Buñol en Espagne le 26 août.

(Biel Alino / AFP)

Ora Ïto, le designer le plus détesté de France

Il attend, seul, une cigarette à la main, dans un magnifique loft de la place des Victoires à Paris. Se rue à la porte en entendant du bruit dans l’escalier. Il a les yeux humides, s’excuse de ne pas être venu au rendez-vous de la veille, fixé à Marseille. Évoque un problème personnel. Un bouquet de lys gît sur la table trépied qu’il a dessinée pour Roche-Bobois. Ils sont trop encombrants, il est désolé – encore-, propose de les faire livrer. Ainsi Ora ïto (Ito Morabito de son vrai nom) désamorce-t-il les colères qu’il a fait naître. À 38 ans, la jeune star du design français, narcisse hyperactif et autocentré rompu à la communication marketing, n’en finit plus de déminer son rapport à autrui.

Back In Town #paris #work #oraitospace

Une photo publiée par Ora Ito (@ora_ito) le 27 Juil. 2015 à 11h35 PDT

Car quand il ne plante pas les journalistes, il foudroie les architectes, sur les plates-bandes desquels il entend bien, désormais, marcher. Après l’hôtel Odyssey et le club Le Cab, à Paris, dont il a repensé les intérieurs, l’aire d’autoroute de la Chaponne et des flagships de grandes marques, le créateur se lance dans « un gros projet » avec le clan Pastor, magnats de l’immobilier monégasque. Il commente innocemment :

J’adore les changements d’échelle, passer du mass-market au luxe, du macro au micro »

Comme s’il avait déjà oublié la polémique déclenchée en janvier dernier, lorsqu’il avait lâché que le diplôme d’architecte ne servait « à rien », hystérisant une corporation inquiète et économiquement fragilisée. « Ora ïto a une réputation qui lui vient surtout de ses facilités médiatiques, s’agace Denis Dessus, vice-président du Conseil national de l’ordre des architectes. C’est très irritant pour des gens qui ont fait six ans d’études après le bac et qui ont du mal à exercer ce métier. »« Il est l’incarnation de ce qu’on perçoit comme une dérive », résume de son côté Jérôme-Olivier Delb, animateur du blog L’abeille et l’architecte, avec lequel il est en procès. Ce dernier lui reproche de confondre à dessein architecture d’intérieur et d’extérieur sur son site, comme ce fut le cas pour le cinéma Pathé Le Mans Quinconces.

Le cinéma Pathé du Mans

Un bâtiment largement salué par la profession, primé, publié en Une de revues d’architecture. Et dans lequel, au final, « Ora ïto a juste implanté les distributeurs de bonbons et de billets jaunes et rondouillards, choisi la couleur de la moquette, des parois et les luminaires », rappelle l’architecte Jean-François Renaud, de l’agence Babin+Renaud, chargée du projet. Ora ïto a présenté ses excuses à l’ordre, corrigé son site Internet, mais continue à jouer les sales gosses : « J’étais tenté de foutre le bordel, mais je ne me sens pas prêt, pas encore… » Et Patrick Klugman, son ami d’enfance et avocat, en rajoute, lui qui vise tous ses contrats :

Ito est bien souvent l’auteur de la geste architecturale, comme pour le cinéma Pathé Belle-Epine. Puis, il travaille avec des cabinets d’architecture qui s’assurent du respect normatif des travaux proposés. Ils profitent de sa lumière. »

Car Ora ïto, elfe blond d’1,71m, la prend volontiers, la lumière. Il est à lui seul le service commercial de sa marque, et ne rechigne pas à passer chez Laurent Ruquier. Il sort au Montana, a vécu avec l’actrice Vahina Giocante, avant de s’afficher au bras d’Emily Marant (la nièce d’Isabel). « Tout ça entretient le malentendu », sourit son ami, le philosophe Mark Alizart, aujourd’hui à la Fondation Vuitton. Avec un chiffre d’affaires de 2,7 millions d’euros en 2013, et une vingtaine d’employés, le studio d’Ora ïto tourne très bien. L’année dernière, le designer a, entre autres prix, glané 6 Red Dot Design Awards et 3 IF Design Awards. Il a terminé le nouveau tramway d’Alstom, tient sa première exposition chez Cassina le 2 juin 2015, avant le lancement d’une ligne de meubles en janvier. Belle consécration pour celui qui est entré par effraction dans le milieu du design.

Journal de 20h now @marseillemodulor #marseillemodulor #mamo #definifiniinfini #citeradieuse #danielburen #auditalentsawards

Une photo publiée par Ora Ito (@ora_ito) le 18 Oct. 2014 à 11h31 PDT

Il n’avait que 19 ans quand il a publié son premier « manifeste », avec, déjà, un sens consommé du buzz : six pages d’objets de luxe repensés en 3D, frappés de logos mythiques (Louis Vuitton, Bic, Microsoft…). Rien de réel, juste du piratage de marques, mais l’écho est mondial. « Il a trouvé une légitimité populaire avant de trouver une légitimité professionnelle. Ce n’est pas bien vu dans nos milieux », constate l’un de ses amis. Dans la foulée, son idole, Philippe Starck, lui propose de le rejoindre : Ora ïto décline, pour qu’on ne puisse jamais dire qu’il lui a tout appris. Ses premières – vraies – créations sont encensées : la bouteille en forme de gelule dessinée pour Heineken remporte l’oscar du meilleur design en 2002, sa première lampe, « one line », dessinée d’un seul trait, est couronnée d’un Red Dot Design en 2004, alors que Capellini commercialise sa chaise longue Petal. À 22 ans, il a dix employés, des responsabilités. À l’époque, déja, le milieu du design lui semble « petit. Étriqué. Jaloux. Chiant à mourir ». Il pousse un peu en marge. « Ito n’a pas de référent, il n’est pas courbé devant les titres, lui-même n’en ayant pas », psychanalyse Klugman.

Avec le succès, la crainte d’être renvoyé à son état-civil s’est un peu estompée. Arrière-petit-fils d’architecte, petit-fils d’une styliste de mode enfantine, il a tout fait pour imposer sa propre marque et ne pas être identifié comme le fils du célèbre créateur d’origine italiennePascal Morabito. Ses parents se séparent alors qu’il n’a que six ans. Il grandit à Nice avec sa mère, jusqu’à ce qu’elle parte s’installer en Amérique du sud avec son compagnon et leurs deux filles. Ito n’a que seize ans lorsqu’il revient vivre à Paris, seul. Son père a aussi refait sa vie. Il arrête l’école, se perd dans les fêtes, les tentations. Il habite pendant 6 mois chez son copain, Patrick Klugman.

Une photo publiée par Pascal Morabito (@pascalmorabito) le 3 Juil. 2015 à 4h51 PDT

À l’été 1995, son père, qui doit 3 millions de francs au fisc, est incarcéré à la prison de Luynes. « La tôle, ça a cassé ses contrats. C’est dur de voir la chute de l’homme, surtout quand c’est votre modèle », se souvient Ora ïto. Du coup, le jeune homme ne passera que quelques mois à Creapole, une école de design, faute d’avoir réglé les frais de scolarité. Aujourd’hui, Pascal Morabito est installé à Bali, où il a ouvert un hôtel-centre d’art, et Ito continue à essayer d’exister, à côté de ce patriarche à la barbe de Victor Hugo qui n’a jamais été un soutien : « Ito est allé le voir l’été dernier, chercher un apaisement. En vain », confie l’un de ses proches.Pour le jeune designer, ses relations avec son père sont loin d’être au beau fixe.

On évite de trop parler. Si ça pète, ça peut aller très loin,. J’aurais rêvé d’être un fils à papa. Mais j’ai dû créer ma propre histoire. »

C’est à Marseille, berceau familial, que « l’enfant terrible du design » est en passe de se réinventer à l’orée de ses 40 ans. En 2012, il a racheté une partie du toit-terrasse de la Cité radieuse, conçue par Le Corbusier, dont il comptait initialement « faire un penthouse de malade ». Finalement, il y a installé le Mamo (Marseille Modulor), un centre d’art contemporain. Une danseuse pour laquelle il ne touche aucune aide publique et qui, si elle lui confère une certaine crédibilité artistique, le plombe financièrement et le condamne au coup d’éclat permanent. Son ami Xavier Veilhan y a présenté le quatrième volet de son projet « Architectones » en 2013, ravi de trouver un si bel écrin.

Une photo publiée par Ora Ito (@ora_ito) le 22 Juil. 2014 à 9h16 PDT

Marseille Modulator

L’artiste Daniel Buren, faute de temps, a été plus dur à convaincre : « Je lui ai dit : “C’est vital. Si tu ne viens pas, je ferme le Mamo. Si tu acceptes, je deviens ton assistant”.«  Buren est venu, et s’est pris d’affection pour le jeune créateur : « Avec Buren, c’est magnifique. Je n’ai pas l’habitude des transmissions généreuses », confie Ora ïto, qui a inauguré l’exposition Dan Graham le 13 juin dernier. « A Marseille, il a pris une envergure politique, sociale incroyable », observe Childéric Muller, chargé de la culture et de la communication au cabinet du maire, Jean-Claude Gaudin, qui en a fait l’un des « ambassadeurs de Marseille ». La ville se réinvente alors qu’Ora ïto, lui aussi, entame sa mue selon Mark Alizart.

Il se durcit. Il s’épaissit. C’est un créateur qui devient complexe. Le design a vocation à être une discipline politique, et Ito a trouvé son propos ».

Il sera écolo. Lui qui n’a longtemps pas su quoi faire du fort de Brégantin, dessiné par Vauban dans les îles du Frioul, dont il est propriétaire, va y installer un centre de recherche et de retraitement pour les milliards de tonnes de plastique jetées à la mer. Aux côtés de son ami, l’architecte Roland Carta, aux manettes du projet, Ora ïto entre doucement dans l’âge éthique, à l’heure où le recyclage synthétise l’ambition d’une époque.

Stéphanie Marteau

Travailleurs détachés : le PS répond à la polémique par l’incohérence

Alors que militants et élus socialistes se réunissent à partir de vendredi à La Rochelle pour trois jours de débats et de fiesta, France Bleu La Rochelle révélait ce jeudi matin que des travailleurs détachés roumains étaient employés à mettre en place le mobilier et nettoyer les salles de l’espace où auront lieu les rassemblements. «La situation est tout à fait légale, mais le sujet gênant sur le principe : un parti politique peut-il employer indirectement des salariés détachés alors que le taux de chômage en France reste élevé ?» s’interrogeait la radio sur son site. Effectivement, si les travailleurs sont bien payés au même tarif que des salariés français, les cotisations sociales sur leur travail sont inférieures. Ils coûtent donc moins cher à leur employeur. 

Pas la peine de s’emballer et de crier au grand-méchant-parti-socialiste-complètement-déconnecté-des-chiffres-du-chômage (en tous cas, pas cette fois) : ce n’est pas Solférino qui a embauché ces travailleurs, mais un prestataire de la société d’événementiel GL Events, à laquelle le PS a fait appel – ce que précise d’ailleurs France Bleu La Rochelle. Cela fait quand même un peu trop d’intermédiaires pour qu’on suspende la tête de Cambadélis au premier Pôle Emploi venu.

Couper court à la polémique

En fin de matinée, le PS a envoyé aux rédactions un communiqué : «[La société GL EVENTS] a eu recours à un sous-traitant, Trepte Events, dont il apparaît maintenant que des salariés seraient en situation de détachement. N’ayant pas été informé par le prestataire mais par voie de presse, le Parti socialiste a immédiatement demandé des explications sur cette information. Si dans un premier temps, il a été indiqué au régisseur que les salariés visés n’étaient pas en situation de détachement, les nouveaux éléments fournis ne laissent plus de doute sur cette réalité. En conséquence, le Parti socialiste a exigé du prestataire qu’il rompe son contrat avec ce sous-traitant, ce qui a été fait dans la matinée de ce jeudi.»

Face au début de polémique, le PS a donc demandé à GL Events de rompre son contrat avec son prestataire. Curieuse réaction, dans la mesure où une directive européenne d’avril 2014 posait des conditions à l’emploi de ces travailleurs détachés sans l’interdire. Les eurodéputés PS l’avaient tous soutenue, avec la droite mais contre les autres socialistes européens, arguant alors qu’elle protégeait les travailleurs du dumping social. Tout en promettant une hypothétique réécriture du texte, qui n’a jamais eu lieu.

Aïoli les enfants

Image animée Emmanuel Pierrot pour Libération.

On est fin août. Un jour de cagna dans l’Est, loin de la mer, très loin de la mer. Les deux frangins rappliquent chez leur daronne. Bronzés comme des plagistes astiqués au Mirror. A quarante berges passées, ils n’ont pas toujours pas coupé le cordon, que dit-on, l’élingue, le fil d’Ariane avec Môman. La mère, c’est un mixte de Ma Dalton et de Tatie Danièle, Marthe Villalonga et Alice Sapritch. Faut mieux pas la ramener quand elle souffle la bise. Là, justement, c’est plutôt force 8 dans la cambuse, ça roule et ça tangue avec avis de gros temps qui va durer.

Pensez donc, les mouflets grisonnants promettent à maman d’aller voir la mer depuis leur premier canot pneumatique et, cette année encore, elle a roulé sur le gravier de son pavillon en meulière alors qu’eux, ils sont allés enduire la souris au monoï sur les rabanes des golfes clairs. La vieille, elle, elle n’a jamais vu la mer. Elle a connu la hargne triste des anciens poilus de 14, le Front populaire, les «vert-de-gris» (l’occupation allemande, ndlr), Mai 68 mais elle n’a jamais humé les embruns sur la Côte d’Opale. Tout ce qu’elle en sait, c’est écrit sur le programme télé où, pour rien au monde, elle ne raterait Thalassa. Le vendredi soir, c’est couvre-feu dès 20 heures. L’Etat islamique pourrait bien s’installer sous ses fenêtres à cette heure-là, la 82e Airbone sauter sur les géraniums de son balcon ou, feu, son vieux Marlou revenir de la baie des Anges en cocotant «Soir de Paris», elle ne bougerait pas une fesse de son fauteuil à napperons. Faut la voir quand la télé fait des vagues, on dirait qu’elle a toujours nagé avec les daurades sous le rocher des Moines. Même qu’on s’est dit qu’elle avait dû être amoureuse du Commandant Cousteau et de son bonnet. Ah qu’elle aurait voulu embarquer sur sa Calypso ou tiens même sur la péniche de l’Homme du Picardie qui faisait flotter l’Audimat de l’ORTF. «Que moi, j’aurais aimé épouser un mari pour voir du pays, qu’elle répète en boucle. Ça m’aurait changé de votre père qui ne voyait l’eau que dans son Ricard.»

La mère compile les cartes postales d’azur, de sable et d’écume dans un grand album photos qui est son voyage immobile, sa croisière au long cours imaginaire. Elle est incollable sur le Lavandou, Palavas, Arcachon, les Sables-d’Olonne, Saint-Lunaire, Dieppe, Le Tréport sans jamais y avoir mis la pointe d’une tongue. Plus de quatre-vingts berges que ça dure ce refrain de rêves de grand-large sauf que la daronne n’est jamais allée plus loin que la gravière des Grands moulins qui pue la vase l’été.

Alors, les deux frangins qui encore une fois n’ont pas assuré une épissure pour emmener Mémé aux bains de mer, ils se sentent cons comme un hareng côtier qui a fumé du hêtre. Même l’étoile de mer achetée au tabac-bazar-souvenirs de Sanary leur fait honte.

Grands gamins

D’habitude, la matrone les reçoit avec le poulet du dimanche-pommes grenailles mais, là, la toile cirée est aussi déserte que le Crotoy à la Toussaint et ça les intrigue les deux échalas. Ils ont bien apporté son vin gris préféré pour faire rosir Mémé mais se demandent pourquoi elle les regarde, ainsi, goguenarde. «Vous avez encore vu du beau pays, hein, les garçons ?», qu’elle démarre avec malice. «Ouais, c’était pas mal», fait l’un, aussi embarrassé que devant son relevé de compte bancaire d’août. «Trop chaud», s’empresse d’ajouter son frère en ajustant la jugulaire de son casque lourd en fond de court. «Pauvres petits», rigole Mémé en époussetant machinalement les accoudoirs de son fauteuil. Un Zeppelin d’anges traverse le silence de la pièce épais comme une motte de beurre d’Echiré. «C’est pas qu’on a soif, risque l’un des deux fils, mais je déboucherais bien le rosé.» La vieille passe de l’un à l’autre en prenant un air navré : «Ça tombe bien, mon frigo est vide, mais il y a des Tuc pour éponger le rosé.»

Les deux frangins se regardent dans le blanc des mirettes. «Tu veux qu’on t’emmène au restaurant Mman ?», minaude l’un. La vieille les fait lambiner un sac de sel. «Non, qu’elle fait, en pointant sa cuisine. C’est vous qui allez me régaler.» De plus en plus désarçonnés, les frères Pétard reluquent le Formica qui leur tend les bras. «Mais, j’ai jamais su faire cuire un œuf», proteste mollement l’un. «T’es pas bien ? Tu souffres de la chaleur ?», balance, faux-cul, l’autre. «Rien du tout mes petits mais j’ai envie que vous me fassiez voyager les papilles à force de m’avoir toujours promis la mer», lâche l’ancienne avant de pointer une coupure de magazine. «L’aïoli, vous connaissez hein, c’est la Provence, la mer ?» Les frangins approuvent mécaniquement. «Eh bien là, c’est vous qui allez vous y coller. J’ai fait dessaler la morue, y a plus qu’à.» Les grands gamins observent leur mère dubitatifs. «Mais, c’est super-long ?», ose l’un. «C’est toujours trop long quand on ne sait pas empoigner la queue d’une casserole, sourit la daronne. Et puis moi, depuis le temps que j’attends la mer, j’ai tout mon temps pour passer à table.»

Aïl, morue, œufs, pommes de terre

Pour affronter la rudesse de la rentrée, rien ne vaut un bel aïoli dont Frédéric Mistral écrivait : «Autour d’un ailloli bien monté et odorant et roux comme un fil d’or, où sont, répondez-moi, les hommes qui ne se reconnaissent point frères ?» Vous trouverez d’autres saillies savoureuses sur le mariage de l’ail et de l’huile d’olive dans le Petit traité amoureux de l’aïoli (1) magnifiquement écrit par Jacques Bonnadier, journaliste à Marseille depuis un demi-siècle et déjà auteur, notamment, d’une Cantate de l’huile d’olive. Non seulement, il conte l’histoire de l’aïoli, mais il en fait un festin de mots, de goûts et de tours de main. Vous pouvez aussi vous inspirer de Provence, les meilleures recettes (2) dont voici «l’aïoli garni» pour six personnes. Il vous faut un kilo de filet de morue salée ou déjà prête à l’emploi ; 6 œufs ; 6 carottes ; 6 pommes de terre ; 600 g de haricots verts ; 1 petit chou-fleur ; 1 kg d’escargots prêts à cuire ; un bouquet garni (thym, laurier, fenouil) ; 1 cuillère à café de grains de poivre. Pour la sauce aïoli : 6 gousses d’ail ; 2 jaunes d’oeufs bien frais (bio de préférence) ; 60 cl d’huile d’olive ; sel et poivre du moulin. Faites dessaler le poisson. Rincez-le longuement. Placez-le sur une grille et posez celle-ci dans une bassine remplie d’eau froide. Remplacez l’eau toutes les deux heures au départ, puis laissez dessaler toute la nuit. Vous pouvez également acheter des filets de morue déjà dessalée prêts à l’emploi.

Faites durcir les œufs à l’eau pendant dix minutes. Epluchez les carottes et les pommes de terre. Equeutez les haricots verts. Lavez le chou-fleur et coupez-le en bouquets. Faites cuire ces légumes 10 à 15 minutes à la vapeur. Faites cuire les pommes de terre 25 à 30 minutes. Faites cuire les escargots pendant une heure à l’eau bouillante. Placez la morue dessalée dans une casserole. Recouvrez-la d’eau froide, ajoutez le bouquet garni et le poivre. Portez à frémissement, couvrez et laissez pocher pendant dix minutes. Egouttez la morue. Préparez l’aïoli. Epluchez les gousses d’ail et dégermez-les et mixez-les finement pour obtenir une pâte. Vous pouvez bien sûr effectuer la même opération avec un mortier et un pilon. Mélangez les jaunes d’œufs et la purée d’ail, salez légèrement, puis ajoutez l’huile d’olive en mince filet, sans cesser de tourner comme si vous montiez une mayonnaise. Vous pouvez utiliser un batteur électrique à petite vitesse ou une cuillère en bois. Goûtez, poivrez, et salez à nouveau si besoin. Ecalez les œufs. Disposez les légumes dans des plats creux, ainsi que les escargots. Placez l’aïoli sur la table, vive le Sud et la mer et au diable la rentrée.

Dans « La Belle saison », l’alchimie opère

En ce début des années 1970, Delphine (Izïa Higelin) donne la main à ses parents, exploitants agricoles dans le Limousin. Depuis l’enfance, un garçon lui est promis (Kévin Azaïs, révélé par « Les Combattants »), qui attend timidement qu’elle se décide. Mais Delphine est amoureuse. Amoureuse d’une autre fille, ce qu’en ce temps-là, dans la France profonde, il convient de cacher et de taire (même si le film montre aussi, avec toute la discrétion souhaitée, qu’il arrivait qu’à Paris on envoie les homos en hôpital psychiatrique).

Cet amour impossible prend fin bientôt. Delphine part alors pour Paris, où elle découvre que des femmes, qui a priori lui ressemblent peu, luttent pour faire valoir leurs droits, s’époumonent dans les amphis, courent à perdre haleine dans les rues, ridiculisent les comportements machistes.

Au premier rang de celles-ci, la blonde Carole (Cécile de France), prof d’espagnol, dont la beauté autant que la liberté affichée subjuguent Delphine. Carole vit avec un homme, elle repousse les premières avances de Delphine, et puis…

(Pyramide Films)

Dans les sous-bois et les chemins creux

C’est une histoire d’amour au féminin. Une histoire d’amour qui, de Paris, se déplace dans le Limousin, lorsque Delphine se voit contrainte de revenir à la ferme, après qu’un accident vasculaire eut réduit son père à l’immobilité et au silence. Les deux amoureuses s’aiment dans les sous-bois et les chemins creux. Quand la ferme s’endort, Carole se glisse dans le lit de Delphine, qui se lève à l’aube et ose à peine sourire lorsque Carole, chevelure au vent et seins à l’air, entreprend de courser les vaches.

Pour entretenir le feu que le film a allumé, il fallait qu’entre les deux personnages et les deux actrices, si dissemblables de physique et d’esprit, l’alchimie opère : Cécile de France et Izïa Higelin sont magnifiques l’une et l’autre, sous le regard épuisé de Noémie Lvovsky, la mère de Delphine, qui refuse d’apercevoir une réalité qu’elle n’est pas en mesure d’admettre. Il fallait aussi, peut-être et surtout, une sûreté de mise en scène et un doigté exceptionnels : la maîtrise dont fait montre Catherine Corsini n’est jamais affichée, à l’image des sentiments qui unissent les personnages.

La cinéaste ne recule devant rien, il lui arrive même de se porter au-devant des difficultés : on le sait, au cinéma (comme dans la vie…), ce sont les gares qui, souvent, accueillent les scènes les plus déchirantes ; celle qu’a imaginée et dessinée Catherine Corsini est une des plus belles qui soient. A montrer dans les écoles de cinéma.

Pascal Mérigeau

A voir : « La Belle Saison », par Catherine Corsini, comédie dramatique française, avec Cécile de France, Izïa Higelin, Noémie Lvovsky, Kévin Azaïs (1h45).

« Amnesia », « Une famille à louer »… Les films à voir cette semaine (ou pas)

Le choix de « L’Obs »…

« La Belle Saison », par Catherine Corsini, comédie dramatique française, avec Cécile de France, Izïa Higelin, Noémie Lvovsky, Kévin Azaïs (1h45).

En ce début des années 1970, Delphine (Izïa Higelin) donne la main à ses parents, exploitants agricoles dans le Limousin. Depuis l’enfance, un garçon lui est promis (Kévin Azaïs, révélé par « Les Combattants »), qui attend timidement qu’elle se décide. Mais Delphine est amoureuse. Amoureuse d’une autre fille, ce qu’en ce temps-là, dans la France profonde, il convient de cacher et de taire.

Cet amour impossible prend fin bientôt. Delphine part alors pour Paris, où elle découvre que des femmes, qui a priori lui ressemblent peu, luttent pour faire valoir leurs droits, s’époumonent dans les amphis, courent à perdre haleine dans les rues, ridiculisent les comportements machistes.

Au premier rang de celles-ci, la blonde Carole (Cécile de France), prof d’espagnol, dont la beauté autant que la liberté affichée subjuguent Delphine. Carole vit avec un homme, elle repousse les premières avances de Delphine, et puis… (…)

Il sort cette semaine…

« Amnesia » par Barbet Schroeder Drame franco-suisse, avec Marthe Keller, Max Riemelt, Bruno Ganz (1h35).

Peu avant la guerre, Martha (Marthe Keller) a fui l’Allemagne. Non pas tant parce qu’elle craignait pour sa vie (elle n’est pas juive) que parce qu’elle n’acceptait pas ce que son pays était devenu. Les années ont passé, mais Martha, qui vit désormais à Ibiza, n’a plus jamais parlé l’allemand, ni bu de vin allemand, ni pris place dans une voiture allemande, ni utilisé quelque matériel allemand que ce fût.

En 1990, un jeune homme vient frapper à sa porte, en quête d’un pansement pour une brûlure à une main : Jo (Max Riemelt) a 25 ans, il s’est posé là pour faire ses gammes de DJ (Ibiza est au centre de la scène de la dance music) et il vient de Berlin. Entre la septuagénaire violoncelliste et le jeune musicien électronique, une complicité naît, qui se transforme peu à peu en amitié.

Dérivé de la personnalité de sa propre mère, le personnage de Martha offre à Barbet Schroeder, de retour dans la maison où jadis il réalisa « More », de retrouver certains des thèmes qui lui sont chers. Ceux, notamment, tournant autour de la question de la responsabilité morale, qui constituèrent la matière de plusieurs de ses documentaires, sur Idi Amin Dada ou Jacques Vergès, mais aussi de quelques-uns de ses films hollywoodiens.

Lorsque déboule dans le film le grand-père de Jo (Bruno Ganz), une longue scène de repas est l’occasion de faire surgir des placards les fantômes qui depuis près d’un demi-siècle y étaient enfermés. C’est alors tout le sens de l’attitude de Martha qui s’éclaire, dans ce qu’elle peut avoir de plus singulier et, peut-on croire jusqu’à cette scène, d’excessif. Dans le rôle de Martha, Marthe Keller rayonne au-delà de toute expression, au point de presque reléguer au second plan le soleil d’Ibiza, auquel pourtant les images de Luciano Tovoli, somptueuses, rendent justice.

C’est raté !

◊ « Une famille à louer », par Jean-Pierre Améris, comédie française, avec Benoît Poelvoorde, Virginie Efira, François Morel (1h36).

Soit un milliardaire solitaire et dépressif (Benoît Poelvoorde), doté d’un chauffeur et valet stylé (François Morel). Quand il remarque à la télévision une chômeuse blonde (Virginie Efira) coupable d’avoir assommé un vigile dans un supermarché au moyen de la volaille dont elle entendait nourrir ses deux mômes, il se met en tête de goûter à la vie de famille. Un contrat de trois mois est signé : il éponge ses dettes et lui sert un an de salaire. En échange, elle l’accueille chez elle.

Ces deux-là s’accorderont-ils (bah oui, quoi, forcément) et, surtout, comment ? Le scénario s’applique laborieusement à différer les réponses, au moyen d’effets prévisibles et de retournements convenus. Tout le monde, acteurs compris, s’est mis pour l’occasion en mode pantouflard. Le spectateur serait bien inspiré d’en faire autant.

Pascal Mérigeau

Tunisie : un policier abattu par deux inconnus à moto

Un policier tunisien a été tué mercredi par deux inconnus à moto à Sousse (centre-est), région où a eu lieu en juin la pire attaque jihadiste de l’histoire du pays, a annoncé le secrétaire d’Etat chargé de la sûreté nationale, Rafik Chelly. «Des inconnus ont tiré sur trois policiers qui étaient sur une route. L’un d’eux a été touché, il est décédé à l’hôpital», a affirmé Rafik Chelly, sans pouvoir dire s’il s’agissait d’un attentat jihadiste. «L’enquête est en cours, on ne peut rien dire d’autre», a-t-il dit.

Selon Radio Mosaïque, deux autres policiers auraient été blessés par balles lors de l’attaque.  Selon la télévision nationale Wataniya 1, l’attaque s’est produite «au niveau de la Cité Ezzouhour, dans la ville de Sousse».

Cette attaque intervient moins de deux mois après le massacre perpétré par un étudiant tunisien dans un hôtel de Port El Kantaoui, près de Sousse. Trente-huit touristes étrangers, dont 30 Britanniques, avaient été tués le 26 juin dans cet attentat revendiqué par le groupe Etat islamique (EI). La Tunisie fait face depuis la révolution de 2011 à une progression de la mouvance jihadiste, responsable de la mort de plusieurs dizaines de soldats et de policiers et de 59 touristes.

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Le 18 mars, 21 touristes et un policier tunisien avaient été tués au musée du Bardo, à Tunis, dans un attentat lui aussi revendiqué par l’EI.

Israël lève la détention administrative du Palestinien Mohammed Allan

La Cour suprême israélienne a levé mercredi la mesure de détention administrative pesant sur le prisonnier palestinien Mohammed Allan, en grève de la faim depuis deux mois, tout en soulignant qu’il resterait à l’hôpital en attendant une décision sur son sort. «En raison de l’état de santé du requérant, il va demeurer en soins intensifs», a indiqué la Cour suprême dans son jugement. «Cela signifie que pour le moment, en raison de l’état de santé du gréviste de la faim, l’ordre de détention administrative n’est plus en vigueur».

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Le sort de ce détenu palestinien, qui défie le gouvernement israélien de son lit d’hôpital, était jusque-là entre les mains de la Cour suprême israélienne. Celle-ci s’est penchée à huis clos une bonne partie de la journée sur sa demande de remise en liberté et notamment sur son dossier médical, afin de décider si la détérioration de son état justifiait de le libérer.

Selon son avocat Me Jamil al-Khatb, «d’après le dernier rapport médical, le cerveau est atteint». Chezy Levy, le directeur de l’hôpital d’Ashkélon (ouest d’Israël) dans lequel il se trouve, a confirmé des atteintes cérébrales dues à deux mois de grève de la faim sans rien absorber que de l’eau. «Mohammed a commencé graduellement à perdre le contact avec son environnement, ses propos n’étaient plus cohérents», a-t-il dit à la presse, «ce qui peut indiquer un problème au cerveau». Ces dommages sont peut-être réversibles et sont traités par les médecins, a-t-il dit. «Les dommages en eux-mêmes ne mettent pas sa vie en danger, mais ils s’inscrivent dans un contexte général qui, lui, met sa vie en danger», a-t-il ajouté.

Ultimatum

L’état de Mohammed Allan, en grève de la faim depuis le 18 juin, doit être une raison suffisante pour le libérer immédiatement puisqu’il ne peut pas représenter un danger pour Israël, disent ses soutiens. Israël serait prêt à le libérer si le cerveau a subi des dommages irréversibles, ont rapporté plusieurs médias israéliens. Le gouvernement de droite de Benjamin Netanyahu est conscient que sa mort serait susceptible de provoquer une nouvelle flambée de violence, dans une situation déjà tendue.

Les avocats de Mohammed Allan ont jusqu’alors décrit un homme de 31 ans prêt à aller jusqu’au bout. Tombé dans le coma en fin de semaine passée, il a, dès son réveil mardi, donné 24 heures à Israël pour régler son cas, faute de quoi il cesserait de s’hydrater. Les jours du prisonnier de 31 ans seraient alors comptés.

Mohammed Allan, arrêté en novembre 2014, observe une grève de la faim pour protester contre sa détention administrative. Ce régime d’emprisonnement extrajudiciaire permet aux autorités de détenir un suspect sans lui notifier d’inculpation pendant six mois renouvelables indéfiniment. Les partisans de cette mesure le défendent en invoquant la nécessité de mettre à l’écart des individus présumés dangereux et l’impossibilité, pour des raisons supérieures de sécurité, de rendre publiques certaines preuves retenues contre eux.

Les détracteurs dénoncent la détention administrative comme attentatoire aux droits fondamentaux. Elle est l’un des grands motifs de protestation palestiniens contre les agissements israéliens.

Casse-tête

Selon les services pénitentiaires israéliens, 340 Palestiniens sont actuellement en détention administrative. Nombre de Palestiniens ont observé des grèves de la faim pour dénoncer cette mesure. Le sort de Mohammed Allan mobilise l’opinion palestinienne et représente un casse-tête de plus en plus ardu pour Israël. Le Jihad islamique a prévenu qu’il ne serait plus tenu par la trêve actuelle s’il mourait.

Le gouvernement israélien est cependant soucieux de ne pas paraître céder à un quelconque chantage des prisonniers. Le ministre israélien de la Sécurité intérieure, Gilad Erdan, a estimé dans un communiqué qu’une libération de Mohamed Allan «récompenserait sa grève de la faim et risquerait d’encourager des grèves de la faim massives parmi les détenus de sécurité, qui auraient ainsi trouvé un nouveau moyen de faire chanter l’Etat d’Israël».

A défaut d’autre solution, le gouvernement aurait éventuellement la possibilité de prendre une décision susceptible elle aussi de provoquer la colère palestinienne : nourrir de force Mohammed Allan et appliquer ainsi pour la première fois une loi adoptée fin juillet, justement pour parer à de telles situations.

Elvis Presley : 38 ans après sa mort, 5 raisons pour lesquelles il restera une légende

Elvis Presley dans une scène du film « It Happened at the World’s Fair » (INTERFOTO USA/SIPA).

Aujourd’hui est un jour particulier pour la culture américaine puisque c’est précisément le 16 août 1977 qu’est décédé Elvis Presley.

Riches et intenses, la vie et l’œuvre du King du Rock’n’Roll sont intimement liées à l’histoire culturelle de son pays, qu’il aura marquée, au-delà de ses vingt années de carrière, par sa capacité à interpréter son ivresse et ses doutes à des moments charnière de l’histoire américaine.

Mais au-delà de ses compositions initiales inspirées de publics en quête d’émancipation (femmes, Afro-américains, jeunes), Elvis restera comme celui qui a porté haut les mythes américains du succès, de la chute et de la rédemption, forgé par la religiosité de ses concitoyens et la redoutable industrie du loisir.

Elvis et l’émancipation féminine

Les crooners viennent et vont, et tel a failli être le destin d’Elvis, entré dans l’histoire des États-Unis pour d’autres raisons que son irrésistible sex-appeal. En effet, Elvis et les femmes, ce fut avant tout l’histoire d’un grand malentendu.

Encore ignorantes de « The Second Sexe », paru en anglais seulement en 1953, les groupies désinhibées d’Elvis, si bien symbolisées par Doris Day ou Bunny Paul, succombent à la modernité gestuelle du fils de Tupelo et à ses mélodies sirupeuses (« Love me tender », « A Big Hunk of Love ») et facticement émancipatrices, qui leur donnaient une impression d’emprise sur les hommes (« Don’t Leave Me Now »), joyeusement réduits à l’état de joujou (« Teddy Bear »).

Or, cette communion n’a pas duré et elle a même rapidement connu des couacs, à mesure que s’affirmait le second-wave feminism (Betty Friedan) et qu’Elvis s’échinait à reproduire des formules certes savoureuses (« Girls ! Girls ! Girls ! »), mais si peu en prise avec la nouvelle réalité féminine du National Organisation for Women (NOW).

Certes, le renouvellement de ses thèmes (la libération sexuelle avec « I Really Don’t Want to Know », la séparation avec « Always On My Mind »), liés à ses propres turbulences personnelles ont permis à Elvis de se rapprocher de son fidèle public devenu adulte.

Mais pour les jeunes générations, Elvis était désormais surtout un chanteur à voix sans issue, incapable de saisir les expressions artistiques des nouvelles icônes féminines (Carol King, Patti Smith) et androgynes (Mercury de Queen, Ziggy Stardust de Bowie).

Une passion pour le Rythm and blues

Pareil constat d’amours en pente douce quand on évoque la relation d’Elvis à ses fans afro-américains. Elvis a effectivement toute sa vie chanté sa passion pour le Rythm and blues et le gospel de son Mississippi natal (« There’ll be pace in the valley », « Cottonfields ») et il a souvent été vu comme un des principaux vulgarisateurs de la musique noire.

Il s’est aussi longtemps entouré de musiciens (The Jordanaires, The Imperials) et de compositeurs noirs (Ottis Blackwell pour « Don’t Be Cruel »), et n’a pas hésité à réinterpréter des standards (« Down By The Riverside ») et des succès plus récents comme « I Got a Woman » (Ray Charles), « Shake Rattle and Roll » (Big Joe Turner) ou « Good Rockin Tonight » (Roy Brown).

Toutefois, et sans préjuger de la sincérité de sa démarche artistique, il demeure que la question noire fut aussi, pour Elvis et surtout ses producteurs, une opportunité commerciale. Durant la seconde moitié des années 1950, la condition de la communauté afro-américaine commence à s’améliorer, rythmée par des crises profondes (Montgomery en 1955, Little Rock en 1957) et des avancées historiques (Brown v. Board of Education of Topeka).

Or, les producteurs pressentent le potentiel des nouveaux consommateurs et c’est donc logiquement que toute l’industrie musicale se met au diapason, sans jamais parler de politique. Une fois cette vague passée, Elvis se recentre, à la fin de sa carrière, sur la production la plus vendeuse, c’est-à-dire la country populaire qu’affectionne tant son fidèle public blanc, vieillissant, mais aisé.

Elvis, roi des affaires

Davantage que la cause féminine ou la ségrégation raciale, la première raison de la perpétuation du mythe d’Elvis tient à la capacité des gestionnaires du label à créer et à alimenter le mythe. Pour nombre de compatriotes, Elvis, c’est d’abord la figure du self-made man, né dans le Sud profond au sein d’une famille modeste.

C’est aussi, pour les jeunes générations d’alors, le représentant de la jeunesse libertaire passionnée d’automobile (« Sur la route », 1957) et de cinéma (Monroe, Dean, Brando). Compagnon de route de l’industrie du loisir des années 1950 (McDonald’s et Disneyland ouvrent en 1955), Elvis apparaît surtout comme une mythologie barthésienne destinée à vendre du rêve (et de la musique), au risque d’y perdre, pour paraphraser Marcuse, toutes ses dimensions.

La télévision joue un rôle essentiel dans cette opération de communication en conférant à Elvis son statut définitif de star nationale (Ed Sullivan Show) voire internationale (« Aloha From Hawaii »), malgré des apparitions scandaleuses (Milton Berle Show) ou outrageusement aseptisées (Steve Allen Show) et des non-apparitions tout aussi marquantes (les trois conversations téléphoniques de l’American Bandstand).

Aujourd’hui encore, les affaires du King continuent de rouler puisqu’Elvis a vendu, depuis sa mort, presque autant d’albums que de son vivant et Graceland est encore la deuxième résidence privée la plus visitée aux États-Unis, après la Maison Blanche (500.000 visiteurs annuels).

Les valeurs éternelles de l’Amérique

38 ans après, Elvis continue aussi de marquer l’imaginaire de ses concitoyens parce que sa musique, simple et réconfortante, aura servi de catharsis en abordant des thèmes chers à la société en crise existentielle dans les années 1970.

Elvis a d’abord célébré la famille, à travers le triptyque des parents aimants (« Don’t Cry Daddy », « My Boy »), des rassemblements familiaux (« Elvis Sings the Wonderful World of Christmas ») et du doux foyer (« Graceland »). Et qu’importe si, au même moment, le législateur autorisait l’avortement (Roe vs Wade) et que les vicissitudes du crooner divorcé rappelaient celles d’Archie Bunker (« All in the family ») et préfiguraient celles de Ted Kramer (« Kramer vs Kramer »).

La sublimation de la patrie et la religion ont été les deux autres faces de la trinité sémantique si chère aux Américains. Elvis a toujours déclaré sa flamme à son pays, que celle-ci eût une coloration civique (service militaire à Friedberg), patriotique (« GI Blues ») ou terrienne (« Green Green Grass of Home »).

Légèrement teintées de naïveté (« America the Beautiful ») voire de pathos (« An American Trilogy »), les mélodies d’Elvis tranchent radicalement de l’enthousiasme viral de la côte Est qui chante « New York, New York » de Lisa Minelli à la même période.

Idem de la religion, invitée en force durant la décennie indubitablement kierkegaardienne d’Elvis, avec un second album de Noël et surtout un troisième album de gospel en 1972 (« He touched me ») qui fera des émules auprès des musiciens Born Again folk (Bob Dylan) et country (Johnny Cash).

Il est ancré dans la mémoire collective

Outre la nostalgie pour la mythique décennie eisenhowerienne, l’élément qui a définitivement ancré Elvis dans la mémoire collective américaine a été la connexion que ce dernier a su rétablir avec l’Amérique déstructurée et bientôt déconstruite de la fin des années 1960, une fois surmontées la radicalisation politique (assassinats de JFK, de Martin Luther King, Black Panthers, Mouvement des droits civiques) et la contre-offensive culturelle européenne (British Invasion) des années 1963-68.

L’Elvis alourdi et ringardisé des années 1970, si étranger à l’intellectualisme du rock prog (Pink Floyd) et à la rage punk (Stooges, Ramones), sert en effet, peut-être malgré lui, de point d’ancrage pour une Amérique ankylosée par le doute et qui, à la veille de son bicentenaire (1976), préfère se pencher sur son passé (« The Roots » d’Alex Haley) plutôt que de regarder vers l’avenir.

Avec ses rafraîchissants « Blue Hawaii » et « Viva Las Vegas » d’autrefois, et les graves chansons d’aujourd’hui (« In The Ghetto »), Elvis apporte du réconfort à une Amérique qui voit les piliers de sa puissance vaciller (Conférence de la Jamaïque, Watergate, Viet Nam), et ses repères se brouiller (Mission Soyouz-Apollo, Feminist Sex Wars).

Livrée à des mises en perspective à 360 degrés (« Black Holes » de Stephen Hawking), l’Amérique a ainsi fortement besoin du King et le bon vieux roi accepte cette charge quasi christique, jusqu’à sa sortie de scène, le 16 août 1977.

PHOTOS. Les plus gros tubes soupçonnés de plagiat :

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