Ne tirez pas sur Harper Lee

Le silence de HarperLee fait jaser. La presse spécule sur des inédits qui dormiraient dans ses tiroirs. Autant dire que l’annonce de la publication de son nouveau livre a fait, le 4 février dernier, l’effet d’une bombe. Avant que les journalistes ne découvrent qu’il s’agissait plutôt d’une mine qui n’avait pas explosé: «Va et poste une sentinelle» a été en effet écrit avant «l’Oiseau».

Pourquoi attendre si longtemps avant de publier ce texte, que l’éditeur avait conseillé à Harper de remanier (ce qu’elle fit en publiant la version qui allait devenir son best-seller mondial)? Selon un communiqué officiel de HarperCollins, le manuscrit aurait été retrouvé par l’avocat de l’écrivain, il y a un an, dans un endroit secret où il était agrafé à l’original de «l’Oiseau moqueur». Pourtant, HarperLee s’était toujours refusée à le publier. Pourquoi aurait-elle soudain changé d’avis? Et la presse américaine de flairer un coup de son éditeur, qui aurait peut-être attendu que l’auteur n’ait plus toute sa tête pour la convaincre d’autoriser cette très lucrative publication.

Le retour de l’auteur à succès dans son Alabama natal n’a pas manqué d’alimenter les rumeurs sur une tutelle éventuellement abusive: après avoir passé toute sa vie dans le quartier intello-chic de Manhattan, la voici obligée de vendre son appartement de l’Upper East Side, alors qu’elle continue de toucher des royalties sur «l’Oiseau», qui se vend à plus d’un million d’exemplaires par an. Selon le témoignage d’un proche, une attaque cérébrale, en 2007, l’aurait rendue sourde et presque aveugle. Dans la maison de retraite où elle vit aujourd’hui, à Monroe, elle ne se déplace qu’en fauteuil roulant et perd inexorablement la mémoire.

« Clairement, risiblement, horriblement mauvais… » (c’est tout ?)

Aurait-on commercialisé le livre contre sa volonté? On se souvient que la publication, en 2009, du dernier roman de Nabokov, «l’Original de Laura», par son fils Dmitri, avait aussi fait scandale. Il est vrai que l’opération tenait plutôt du sauvetage de compte en banque. Encore Nabokov était-il décédé quand l’opération eut lieu: cette fois, c’est du vivant de l’auteur que l’on a pratiqué l’exfiltration du manuscrit, direction l’imprimeur. Rien d’étonnant à ce que le roman ait, dès lors, fait l’unanimité contre lui, certains journaux américains allant jusqu’à repérer des paragraphes entiers qui, d’un livre à l’autre, se sont révélés identiques, au mot près.

Alors, faut-il lire ce nouveau HarperLee? «Va et poste une sentinelle» n’est pas la catastrophe annoncée. On retrouve même, dans ce livre sauvé des eaux par la belle traduction de Pierre Demarty, la verve du premier. Quant à l’intrigue, elle réunit les mêmes personnages vingt ans plus tard, mais Atticus se révèle, l’âge venant, aussi conservateur qu’il se montrait progressiste dans « Oiseau».

Pas de quoi tirer sur Harper Lee, comme le faisait Alexandra Petri dans le «Washinton Post»: pour elle, le texte est «si clairement, risiblement, horriblement mauvais qu’il semble que Harper Lee n’ait choisi de le publier que pour montrer qu’elle ne doit pas être adorée comme une divinité».

Didier Jacob

Va et poste une sentinelle, par Harper Lee,

traduit par Pierre Demarty,

Grasset, 336 p., 20,90 euros.

Chez le même éditeur :

Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur,

480 p., 22,90 euros.

Harper Lee, bio express

Harper Lee (AP/Sipa)

Née en Alabama en 1926, Harper Lee étudie le droit de 1945 à 1949 puis vient s’installer à New York en 1950. Amie et collaboratrice de Truman Capote, elle publie en 1960 son premier livre, «Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur», et obtient le prix Pulitzer en 1961. (©AP/Sipa)

Article paru dans « L’Obs » du 1er octobre 2015.

Les 1ères pages de « Va et poste une sentinelle »

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