De la grande misère au rap pour enfants: on a lu les Mémoires de Maître Gims

Certains l’adulent, d’autres s’en moquent parce qu’il se serait éloigné du rap hardcore et que, en versant dans les bons sentiments, il est devenu l’idole des enfants blonds et de leurs parents bobos. A 29 ans, Maître Gims, le rappeur aux lunettes noires, sort son autobiographie, «Vise le soleil», pour raconter posément sa vie, expliquer ce qui fait le ferment de son travail, et, au passage, répondre à ses détracteurs autrement qu’en quelques mots sur les réseaux sociaux :

Dans le rap, il y a un débat récurrent entre un tube et un classique : le tube est ce qui plaît au grand public, le classique aux puristes. […]

Je ne suis pas de ceux qui pensent que le rap devrait éternellement sentir le bitume, rester à jamais cloîtré dans un quartier, à se plaindre.»

De fait, qu’il s’exprime au sein de Sexion d’Assaut ou en solo, Maître Gims n’aime rien tant que le métissage musical :

Tout en restant fondamentalement des rappeurs, nous étions fiers de croiser les influences, de la house au reggae, en passant par la musique du monde, la pop urbaine ou la salsa.»

Il rappe, on le sait, mais il chante aussi. Résultat : des millions d’albums vendus, des Zénith à guichets fermés, l’argent qui semble couler de source et un garde du corps pour lui assurer un semblant de tranquillité face à des admirateurs nombreux et fervents. L’histoire de Maître Gims est celle d’une success story, un rêve qui s’est si vite réalisé qu’il se croit encore fragile. «Réunir plusieurs générations me paraît une belle réussite», pense-t-il. Cela durera-t-il ?

Le Zaïre, la France et les squats

Retourner d’où il vient est forcément sa hantise. Redevenir Gandhi Djuna, ce gamin abandonné par la société, promis à l’échec, pour qui la solution la plus rapide et la plus sûre eût été le deal. Il s’y est toujours refusé, même dans les pires moments, même dans les périodes les plus tendues. C’est l’histoire d’un gamin que le rap a sauvé in extremis. La misère, il a connu. Longtemps, il n’a même connu qu’elle, avec son cortège de hontes et de frustrations.

Son autobiographie fait écho à l’actualité : quand la situation est devenue trop dangereuse au Zaïre, son père, Djanana Djuna (musicien de la troupe de rumba congolaise de Papa Wemba), n’a pas longtemps réfléchi : il a emmené sa femme et leurs quatre enfants.

Mon père n’a pas demandé l’asile politique. Ils sont partis comme ça, avec un peu d’argent, mais pas assez pour faire vivre six personnes dans un pays comme la France. […] A un moment, émigrer était devenu une question de vie ou de mort.»

Là-bas, on disait qu’en France on trouvait de l’argent par terre. Ça ne s’est pas vérifié, ce n’était qu’une image. Et, très tôt, Gandhi Djuna est placé à l’orphelinat :

L’arrivée à Forges-les-Bains est restée gravée dans ma mémoire : je pleure, je pleure comme un fou, ravagé de terreur à l’idée que l’on m’abandonne.»

Le reste de sa jeunesse se passe de squat en squat, insalubres et surpeuplés. D’expulsion en expulsion. En famille d’accueil aussi. Dans ces conditions, l’échec scolaire est comme programmé. Gandhi n’en garde que des traumatismes, une période éclairée par des journées créatives au centre de loisirs : le jour où, pour le spectacle de fin d’année, il s’est mis dans la peau de Pavarotti et a chanté devant une foule conquise; le jour où il a interprété M. Jourdain dans «le Bourgeois Gentilhomme».

Je me disais que, finalement, je n’étais peut-être pas bon à rien.»

La musique va le sauver, assez tôt au fond, puisque dès le CM1 il s’inscrit à l’atelier rap qu’animent Yannick et Philippe. On y écrit, on compose, on structure ses morceaux et on écoute les artistes du moment : le Ministère A.M.E.R, Secteur Ä, NTM ou IAM. Le futur Maître Gims y rencontre JR O Chrome, avec lequel il formera Sexion d’Assaut. Mais l’aventure de l’atelier rap s’achève comme toutes les autres : descente de police, expulsion, emménagement dans un autre quartier, perte d’amis et du peu de repères qu’il avait.

Des cages d’escalier au showbiz

Pour mesurer le degré de difficulté que connaît le jeune homme, il faut lire le passage qui décrit son entrée en sixième au collège Jacques-Decour et les années qui s’ensuivent. Pour échapper au chaos qui règne dans sa famille, il passe ses nuits à errer, sans dormir, trouvant refuge dans des cages d’escalier. Le matin, devant les portes du collège, il est vidé :

Au bout d’un moment, j’en suis arrivé à un tel niveau d’incompréhension que, perdu pour perdu, j’ai commencé à sécher.

Il faut dire que débarquer en classe, blême d’épuisement, après une nuit dans la rue, en prétextant avoir laissé mon sac chez un copain et évidemment sans avoir fait le moindre devoir, ne rimait pas à grand chose.»

Le fil rouge de sa jeunesse de misère reste le rap, et les rencontres que cette passion met sur son chemin. Sexion d’Assaut, collectif qui connaîtra bientôt un énorme succès, se construit année après année. Sa foi aussi. Il n’a pas 20 ans quand il prononce la chahada, la profession de foi musulmane. Elle reste un de ses principaux repères alors qu’il est confronté à un autre fléau : la gloire.

Les pages sur l’ascension de Sexion d’Assaut, puis sur sa fulgurante carrière solo, sont assez descriptives, un rien fastidieuses. Les réflexions que Maître Gims en tire à la fin de son autobiographie ne le sont pas du tout. Ses remarques sur l’influence parfois nuisible de la presse (notamment quand le groupe a été accusé d’homophobie) sont passionnantes. Le portrait qu’il dresse de ses fans et de la vie qu’ils mènent, très amusant. La description du show-business, édifiante.

S’il gère sa marque de vêtements et son label, il s’octroie tout de même une pause en 2014, pour de nouveau dialoguer avec Dieu et voir grandir ses enfants, ces «gosses de riche» auxquels il veut inculquer la valeur de l’argent, lui qui à leur âge a souvent eu faim.

Finalement, en reprochant à Maître Gims d’être un rappeur lisse, bourré de bons sentiments, on lui reproche d’être resté Gandhi Djuna, ce migrant venu de Kinshasa dans une France qui ne voulait pas de lui. Et qui, à force de travail, est devenu l’un de ses plus spectaculaires représentants à travers le monde.

Sophie Delassein

Vise le soleil, par Maître Gims, Fayard, 240 p., 18 euros.

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