« The Walking Dead » : dans les coulisses d’un tournage secret-défense

De notre envoyée spéciale aux Etats-Unis

Début octobre, sous le ciel menaçant de Géorgie (Etats-Unis) : le paysage nous semble étrangement familier. Quelques instants plus tôt, nous avons quitté la route de Senoia, bourgade d’un peu plus de 3.000 habitants, située à une soixantaine de kilomètres au sud d’Atlanta, pour un chemin de terre qui serpente entre les arbres. Il est midi, mais il fait déjà sombre. Au bas d’une côte, la forêt bute brusquement sur une propriété, cerclée de barbelés. Des pancartes menacent les intrus de poursuites judiciaires.

A l’entrée, un agent de sécurité en uniforme filtre le passage vers de grands bâtiments rectangulaires couleur sable. De longues caravanes blanches, des camions en piètre état, une grue et un tracteur sont garés sur le parking, devant ce qui ressemble à un entrepôt. L’ambiance est lugubre. On s’attendrait presque à voir surgir de longs corps en lambeaux, les yeux injectés de sang, au râle bien identifiable…

Mais aucun walker (zombie) à l’horizon. Soudain, l’évidence nous saute aux yeux : nous nous trouvons devant la prison où l’ex-flic Rick Grimes (Andrew Lincoln) et ses compagnons d’infortune de la série-culte d’AMC, « The Walking Dead », ont trouvé refuge pendant les saisons 3 et 4. Les murs des baraques – qui abritent les studios Raleigh – ont été repeints. La tour de garde, pulvérisée par les troupes du Gouverneur dans un des épisodes, s’est volatilisée, ainsi que les grillages autour de la prison. Mais le champ, où Rick et son fils Carl (Chandler Riggs) ont tenté de cultiver un potager, et la mare, en contrebas, sont toujours là.

Une obsession de la fuite qui frise la paranoïa

Impossible, cependant, d’aller plus loin avant d’avoir signé un contrat de confidentialité de deux pages dans lequel on s’engage à ne rien « spoiler », sous peine de verser un million de dollars à la production ! Téléphones portables et tablettes sont collectés. L’obsession de la fuite frise la paranoïa. A raison, nous dit-on. Avant la diffusion du dernier épisode de la saison 2, où Rick abat son meilleur ami Shane dans un duel désormais légendaire, des photos de l’acteur Jon Bernthal, transformé en walker, avaient circulé sur le Net, provoquant la panique de la production.

L’audience a malgré tout explosé. Car rien ne semble faire reculer les fans, toujours plus nombreux. Aux Etats-Unis, la série post-apocalyptique, qui met en scène un groupe de survivants dans un monde plongé dans le chaos après l’irruption d’un virus transformant les morts en zombies sanguinaires, bat tous les records sur le câble. Il y a un an, le premier épisode de la cinquième saison a rassemblé 17,3 millions de téléspectateurs. Du jamais-vu pour AMC, qui a réussi à dépasser les audiences des chaînes classiques avec cette série iconoclaste, adaptée de la BD du même nom, créée par Robert Kirkman et Tony Moore.

Pour le lancement de la sixième saison, le 11 octobre, la chaîne a vu grand. Elle s’est offert le Madison Square Garden à New York, avec défilé des stars sur le tapis rouge, projection de l’épisode en avant-première et discussions en présence de l’ensemble du cast. En France, les fans doivent patienter vingt-quatre heures de plus pour retrouver la série en US + 24 sur OCS Choc (chaque lundi depuis le 12 octobre).

Et ça commence très fort avec un épisode d’anthologie, qui débute là où la cinquième saison s’était terminée : Rick, le visage couvert de sang, abat un homme d’une balle dans la tête sur ordre de Deanna, la leader d’Alexandria. Après une longue errance et beaucoup d’introspection, virant parfois au bavardage ennuyeux, le groupe s’est en effet retranché dans cette petite communauté, protégée par sa haute muraille de fer, près de Washington. Mais le répit étant toujours de courte durée, de nouvelles menaces apparaissent à l’extérieur, tandis que la dissidence guette à l’intérieur.

On en avait presque oublié les walkers. « Une erreur », constate Greg Nicotero, qui a réalisé l’épisode. Longue chevelure blond cendré et barbe de quelques jours, la star du maquillage gore, passée derrière la caméra pour « TWD », affiche sa passion zombiesque sur un tee-shirt noir, pastiche de la couverture d’un album de Queen, dont il est particulièrement fier. Il a travaillé avec Robert Rodriguez, Quentin Tarantino, Frank Darabont… Mais c’est George A. Romero, le père de « la Nuit des morts-vivants » (1968), qui l’a lancé et convaincu d’arrêter ses études de médecine pour le rejoindre sur « le Jour des morts-vivants » (1985).

Nicotero revendique l’héritage du maître, même si ce dernier n’est pas facile à contenter. Interviewé dans un magazine américain en 2013, George Romero confiait qu’il avait refusé de tourner un épisode de la série, trop « soap opera », selon lui. Il était donc temps de remettre les pendules à l’heure, insiste Nicotero :

On a beaucoup dit que “The Walking Dead” n’était pas une série de zombies, mais une série sur le thème de la survie, dans un monde peuplé de zombies. Mais avec la nouvelle saison, il faut se rendre à l’évidence : c’est bien une série de zombies.

Les walkers n’ont donc jamais été aussi nombreux : 20 000 à l’écran pour le premier épisode, incarnés par 300 figurants, pulvérisés au pistolet de sang brunâtre. « Impossible de passer tout le monde au maquillage avant de commencer la journée », raconte le réalisateur. Si Alexandria a résisté aussi longtemps, c’est que les zombies n’avaient pas disparu.

Ils étaient juste embusqués là, aux portes de la ville… Le tournage de la sixième saison a commencé en mai. Il se poursuivra jusqu’à fin novembre. Dans la forêt, près des studios, un homme en jeans et trench-coat noir, boucles châtains et visage rasé de près, hurle dans un talkie-walkie. On a presque failli ne pas le reconnaître. Andrew Lincoln, alias Rick Grimes, autrement dit la star de la série, en tenue de ville, est venu soutenir ses deux comparses, Lauren Cohan (Maggie) et Melissa McBride (Carol), en plein combat avec trois walkers. Sa présence sur le tournage, alors qu’il a déjà assuré le doublage une semaine plus tôt, est typique de l’acteur britannique, dont le dévouement à la série en fait « le premier rôle idéal », selon Monty Simons, le responsable des cascades. Ce dernier doit le dissuader de jouer les scènes d’action les plus dangereuses car « s’il est blessé, c’est toute la production qui peut rentrer à la maison ».

Un coup de feu claque. La scène est en boîte. Engoncée dans une grosse doudoune noire, le visage pâle, Lauren Cohan tente de se réchauffer avec une tasse de café fumant. La nuit est tombée depuis longtemps. L’ampleur du phénomène « TWD » la dépasse : « Quand je me souviens des débuts, je ressens parfois des bulles de nostalgie, dit-elle. Nous n’étions encore que quelques-uns. Mais nous sommes restés proches les uns des autres. Lauren Cohan avance :

L’engouement du public tient à l’attachement des téléspectateurs pour les personnages, soumis à rude épreuve. Les enjeux sont énormes. C’est la vie ou la mort. Cette saison est magnifiquement barbare.

Les boussoles morales oscillent et chacun va devoir justifier les choix qu’il fait pour sauver la famille. » Jamais il n’y a eu autant de scènes d’action. Qu’on se rassure donc : le très sexy tireur de flèches Daryl Dixon (Norman Reedus), la féroce samouraï Michonne (Danai Gurira) et le gentil ex-livreur de pizzas Glenn (Steven Yeun) ne sont pas près de trouver le repos.

Mais pourquoi ce monde terrifiant, quand le nôtre vacille, nous fascine-t-il autant ? Greg Nicotero compare la série à un grand huit :

Vous détestez, mais vous y allez quand même.

C’est pareil avec la fin du monde. Les personnages essaient d’appliquer une certaine logique à une réalité complètement illogique. Nous essayons de rendre leur peur intelligible, de comprendre comment il serait possible de survivre. C’est assez cathartique. C’est comme quand je regarde “Titanic” dans mon canapé et que je m’énerve parce que personne n’a eu l’idée de prendre une porte et d’en faire un radeau. »

La survie d’un groupe en huis clos

Pour la productrice Denise Huth, grande fille blonde qui a prêté son visage au personnage de la femme du Gouverneur, « TWD » est avant tout un western : « C’est l’histoire de la conquête de l’Ouest. Les survivants se souviennent du monde où ils vivaient, qui ne reviendra pas. Derrière des murs, ils doivent gérer le monde extérieur et envisager comment construire un futur durable.

Mais c’est aussi un drame familial, et c’est pour cela que la série fonctionne : les spectateurs s’attachent à ces personnages. Et même si certains d’entre eux ont commis des actes vraiment horribles, ils essaient de s’accrocher à leur humanité, à ce qu’ils pensent être juste. » Depuis « Lost », « Under The Dome » ou encore « Jericho », ce n’est pas la première fois que le public se passionne pour la survie d’un groupe en huis clos. « TWD », lui, table sur une mise en scène réaliste filmée caméra à l’épaule.

Ça laisse des marques, reconnaît Lauren Cohan : « J’ai des flashs, parfois, quand je me retrouve au milieu d’une foule, ou dans un lieu complètement vide tard dans la nuit. Le corps fonctionne comme une éponge. Je vois les choses un peu plus sombrement.

Mais je sais aussi que si l’apocalypse survenait, je me battrais jusqu’au bout ! »

A Senoia, les fans se pressent dans le magasin « Walking Dead », située sur la grande rue. Cette bourgade idyllique, aux coquettes maisons en briques rouges et blanches, a servi de décor à la ville de Woodbury. Une guide assure la visite avec, entre autres curiosités, la Gin Property, construite de l’autre côté du chemin de fer et encerclée d’un haut mur en fer.

Bienvenue à Alexandria, un projet immobilier conçu par le PDG des studios Raleigh, où les heureux propriétaires d’une maison cossue, achetée entre 600.000 et 800.000 dollars, ont signé un contrat, les forçant à accepter les murs qui l’enserrent, les jardins en friche, les tournages la nuit. Et des équipes de sécurité à toutes les entrées.

« The Walking Dead – saison 6 », lundi, à 20h40, sur OCS Choc (2/16). (En multidiffusion et à la demande sur OCS GO).

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