Huile de palme et déforestation : «Les poumons de la planète partent en fumée, les nôtres souffrent !»

L’Indonésie vante à Paris sa production d’huile de palme − dont elle est le premier producteur mondial−, en la qualifiant de «durable». Pourquoi dénoncez-vous un «enfumage» ? 

Alors que ces feux de forêt indonésiens sont récurrents, le gouvernement n’a pas été à la hauteur pour les prévenir et, cette année, ils se sont largement intensifiés, ce qui en fait l’une des plus grandes crises écologiques et climatiques du XXIe siècle. Pendant que les représentants indonésiens critiquent publiquement les engagements «zéro déforestation» de certaines entreprises plus responsables, ils invitent l’ensemble des acheteurs français de l’huile de palme à une réunion de présentation sur la durabilité du secteur. Nous, les ONG Cœur de forêt, Envol vert et Planète amazone, demandons que cette réunion soit l’occasion d’annoncer un grand plan d’action «zéro déforestation» pour mettre fin aux feux actuels et, surtout, empêcher qu’ils se reproduisent. Nous espérons que ce ne soit pas une réunion pour redorer l’image écornée de l’huile de palme avant la COP 21.

Vous revenez d’Indonésie. Qu’avez-vous constaté sur place ?

Alors que j’étais en mission pour accompagner les entreprises vers l’objectif «zéro déforestation», la toxicité des fumées rendait l’air totalement irrespirable. Porter un masque était devenu obligatoire dans beaucoup de provinces. De nombreux vols ont été annulés et j’ai dû écourter ma mission. Les gens toussent, les enfants sont confinés, pourtant les feux continuent et seules les pluies qui se font attendre semblent pouvoir les arrêter. Les poumons de la planète partent en fumée, les nôtres souffrent ! Depuis près de quatre mois, c’est 1,7 million d’hectares de forêts indonésiennes qui ont été incendiés. Le phénomène El Niño faisant persister la sécheresse, il devient d’autant plus simple de mettre le feu aux forêts naturelles pour les convertir notamment en plantations de palmiers à huile, et ce à moindres frais.

La santé de millions de personnes est en jeu…

Ces feux sont un désastre écologique et climatique mondial, avec notamment la formation de nuages de fumée toxiques qui s’étendent jusqu’aux Philippines et à la Thaïlande et ont déjà entraîné des infections respiratoires chez 500 000 personnes. Les Indonésiens paient un lourd tribut.

En quoi la déforestation contribue-t-elle au changement climatique ? Dispose-t-on de données précises sur le sujet ?

La déforestation est une des causes majeures du changement climatique. Les forêts sont des réserves de carbone. Déboiser une forêt coupe le cycle du carbone : au lieu d’être un puits de carbone, les anciennes forêts émettent du carbone qu’elles avaient accumulé. La déforestation représente entre 15% et 20% des émissions de gaz à effet de serre mondiales. Moins de forêts, c’est aussi moins de CO2 absorbé et piégé par ces écosystèmes, donc plus de CO2 dans l’atmosphère. La situation varie en fonction du taux de déforestation mondial. Avec cette crise, la situation s’aggrave et devra être traitée à la COP 21.

Les incendies de tourbières sont particulièrement graves…

Le plus souvent, en Indonésie, ce sont les tourbières, des zones humides boisées, réserves de matière organique accumulée durant des siècles, qui sont tout d’abord asséchées, drainées puis brûlées, relâchant d’énormes quantités de gaz à effet de serre dans notre atmosphère. C’est une bombe climatique ! En septembre, la quantité de gaz à effet de serre émise par les feux indonésiens aurait été supérieure à celle de l’activité économique des Etats-Unis.

Quid de la biodiversité ? On a vu ces images terribles d’orangs-outangs brûlés vifs ou fuyant les feux…

Les forêts indonésiennes sont les seules forêts du monde où l’on peut retrouver notamment des espèces endémiques de tigres, orangs-outangs, éléphants et rhinocéros dans le même écosystème. La perte de leur habitat est la principale menace pour ces espèces en danger d’extinction, mais aussi pour l’ensemble de la remarquable biodiversité de cette région. En quelques mois, c’est 2,5 fois la surface déboisée annuelle moyenne de ces dernières années qui est partie en fumée. La biodiversité paie encore le prix fort.  

Le gouvernement indonésien ne fait-il vraiment rien pour empêcher ces feux ? 

Il agit en dépêchant des pompiers, l’armée… Mais quand une tourbière asséchée volontairement s’enflamme, le feu devient très difficile à arrêter. Tout l’enjeu est de prévenir ces feux qui, je le rappelle, sont récurrents et auraient dû être évités. Cependant, selon les propres mots de certains responsables locaux, le développement agricole doit se faire, et ce d’une façon ou d’une autre… C’est complètement irresponsable d’entendre cela quand on sait l’importance des services rendus par les forêts et les possibilités de productions responsables qui existent.

Qui est responsable de ce désastre ?

La déforestation est une problématique complexe. Le secteur privé, les producteurs de matières premières jouent un rôle clé et peuvent prendre une part importante dans la mise en place des solutions. Mais pour arrêter la déforestation sur le long terme, le gouvernement doit en faire une priorité. Certaines multinationales prennent des engagements contre la déforestation et s’impliquent peu à peu pour y parvenir. Mais, en même temps, elles participent encore indirectement, via leurs fournisseurs, au déplacement de petits producteurs qui s’enfoncent toujours plus dans la forêt pour la convertir à moindres frais. Le gouvernement doit être la pierre angulaire de cette lutte contre la déforestation, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

L’huile de palme durable existe-t-elle en Indonésie? D’ailleurs, peut-on produire de l’huile de palme «durablement»?

Les monocultures de palmiers à huile ne peuvent pas être durables car elles ne sont pas basées sur un système agroforestier diversifié. Cependant, il est possible d’en réduire les impacts, notamment en termes de déforestation, et de nombreuses initiatives vont dans ce sens. Comme la certification RSPO (Table ronde pour l’huile de palme durable) qui est une première base, mais aussi les démarches qui visent à interdire de nouvelles conversions de zones à hautes réserves de carbone, dont font partie les tourbières. Certaines entreprises commencent aussi à identifier leurs propres fournisseurs d’huile de palme et à lancer des audits locaux pour s’assurer qu’ils ne participent pas à la déforestation.

Que préconisez-vous pour remédier à ce désastre ?

Au vu de la crise actuelle, force est de constater que les démarches enclenchées sont soit trop récentes, soit pas suffisantes. Nous appelons à ce qu’elles se généralisent sur tous les secteurs à risque de déforestation et demandons la mise en place immédiate d’un plan d’action «Zéro déforestation» multipartite, avec l’appui du gouvernement indonésien.

Comment y parvenir ?

L’Indonésie doit appuyer massivement ses petits planteurs en échange de l’interdiction de la culture sur brûlis, pour que ces derniers augmentent leurs productions en termes de rendement, et non par l’extension en surface de leurs cultures. Elle doit arrêter de délivrer des permis d’exploitation dans les zones de tourbières et de forêts naturelles, interdire le drainage des tourbières, ou encore surveiller les feux et la déforestation via la mise en place de satellites et la création d’une agence publique dédiée sur le terrain pour agir de manière coordonnée pour le respect de la loi.

Les entreprises, sur toute la chaîne de production et de consommation des matières à risques (huile de palme, caoutchouc, papier, minerais, etc.) doivent mettre en place des politiques zéro déforestation plus robustes et efficaces que maintenant. En impliquant notamment l’ensemble de leurs fournisseurs, en restaurant les écosystèmes dégradés et en développant des projets d’appui à la mise en place de bonnes pratiques auprès des petits planteurs indépendants.

Que pouvons-nous faire, nous, consommateurs occidentaux ?

Les consommateurs sont très sensibles aux problématiques de déforestation, tout y en participant indirectement à travers leur consommation. Ils doivent être informés de l’impact des produits sur la forêt, pour pouvoir consommer de manière plus responsable. Envol vert, dont je suis le cofondateur, les invite à mesurer leur «empreinte forêt» (1) pour connaître les risques et solutions liés à leur consommation et s’assurer d’être de vrais protecteurs des forêts.

Peut-on attendre quelque chose de la COP 21 sur ce sujet ?

Bien sûr ! L’Europe, première région importatrice de matières premières en lien avec la déforestation, doit s’assurer que tous ces produits importés ne soient plus issus de la déforestation illégale ni des feux de forêt. Une telle politique est en cours sur le bois et la pâte à papier et doit se déployer durant la COP 21 sur l’ensemble des matières premières à risque. En mettant notamment en place un système de vérification des engagements contraignants, pour que les gouvernements forestiers comme l’Indonésie respectent leurs engagements de réduction d’émissions avec des mesures concrètes. Des premières mesures ont été évoquées lors de la «Déclaration des forêts» en marge du sommet de New York organisé par les Nations unies l’an dernier, elles doivent devenir obligatoires et se déployer au plus vite. Pour que la COP 21 soit un succès, la déforestation devra y être combattue à la racine !

Coralie Schaub

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