Payer pour réussir ses études : jusqu’où ira le « school business » ?

Pour 30.000 euros par an, soit 150.000 pour le cursus complet, un étudiant parti en Espagne reviendra dentiste, mais en ayant échappé à une double contrainte: le bac S et le difficile concours requis en France. Dans le même esprit, il est possible de devenir pilote de ligne en contournant maths-sup et l’Ecole nationale de l’Aviation civile avec la Belgian Flight School, qui dispense en dix-huit mois pour 90.000 euros un enseignement reconnu. L’élève moyen qui veut être médecin s’en ira étudier en Roumanie pour la modique somme de 10.000 euros par an.

L’accès à ces professions s’achète désormais; cher et en catimini, poursuit l’auteur. Du point de vue de la morale publique, c’est embarrassant.»

Il n’y a pas si longtemps, un étudiant s’exilait après avoir échoué plusieurs fois au concours de ses rêves; aujourd’hui, c’est d’emblée pour échapper à la sélection. Et, s’il reste en France, une très chère école de commerce privée à prépa intégrée peut lui permettre de commencer dans la vie avec un salaire et une considération sociale équivalents à ceux d’un bachelier S ayant fait maths sup- maths-spé et une bonne vieille école d’ingénieurs.

Toujours public et toujours gratuit, le coeur vaillant de l’école se trouve ainsi fragilisé par cette offre privée de plus en plus invasive, mais qui prospère aussi sur la dégradation de l’enseignement public français, faculté comprise. Ce monde scolaire parallèle, Arnaud Parienty le nomme «shadow school system».

La France est devenue le premier marché de soutien scolaire privé dans l’Union européenne, avec une dépense annuelle qui avoisine les 2 milliards d’euros, pratique encouragée par l’ exonération fiscale. L’heure de cours est facturée entre 30 et 50 euros; ceux qui le peuvent achètent du soutien hebdomadaire dans plusieurs matières. Une nouvelle pratique apparaît, le coaching scolaire, calquée sur le monde de l’entreprise.

Pour envisager sa scolarité comme une carrière et anticiper les obstacles à venir, il en coûte en moyenne 100 euros de l’heure. «L’addition de ces offres fait système», écrit l’auteur. Le marché très florissant des devoirs maison proposés par des sites tels que Femontaf.com envoie le «signal détestable que tout s’achète et que tricher n’est pas un problème».

Quel enfant n’a jamais rêvé d’une Mary Poppins cachée dans sa chambre, qui ferait le travail à sa place ? En 2009, cette bonne fée a surgi en ligne, comme le relate Arnaud Parienty, sur un site lancé par un diplômé d’école de commerce qui proposait sa baguette magique pour tous types de devoirs, du collège à l’université. L’élève devait envoyer l’intitulé ou scanner le sujet. Il recevait sa copie un à trois jours plus tard.

La diablerie résidait dans le mode de paiement: des SMS surtaxés permettaient même à de très jeunes enfants d’acheter un devoir derrière le dos des parents. L’affaire a provoqué un miniscandale, et le site a fermé. D’autres ont discrètement ouvert depuis, parfois même alimentés par des enseignants payés une vingtaine d’euros la page. En sommes-nous vraiment là en 2015 ?

La ruée des fonds d’investissement anglo-saxons sur les écoles privées de commerce ou d’ingénieurs achève de convaincre que l’école française aiguise désormais les appétits du capitalisme. Offrir ce «meilleur» auquel chacun aspire pour ses enfants devient difficile même pour les classes moyennes instruites, qui découvrent la hausse vertigineuse des coûts, mais consentent à un investissement démesuré par peur du déclassement.

Pour le commun des parents, il va sans dire que cette plus-value éducative – car plus-value il y a, c’est indéniable – est tout simplement inaccessible. Sur cette réalité qui tue toute idée d’égalité des chances, et bien plus que la petite distinction auréolant le latiniste ou l’élève d’une classe bilingue, les réformateurs de Grenelle sont muets.

Anne Crignon

School business.

Comment l’argent dynamite le système éducatif
,

par Arnaud Parienty, La Découverte, 240 p., 17 euros.

Paru dans « L’Obs » du 29 octobre 2015.

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