Racisme, pauvreté, capital… 15 intellectuels pour penser autrement

Esther Duflo, l’anti-pauvreté

Ne parlez pas à Esther Duflo d’idéologie, cette chercheuse française installée à Cambridge (Massachusetts), près de Boston, ne croit que ce qu’elle mesure. Elle en a fait une méthode de recherche qui réconcilie régions pauvres et philanthropes milliardaires, pays en voie de développement et multinationales, défavorisés et privilégiés.

Son objectif : ne pas faire confiance aux théories toutes faites pour dépenser l’argent consacré à l’aide au développement ou à la lutte contre la pauvreté, mais organiser des programmes sur le terrain, regarder ce qui marche, le mesurer et, si possible, le répliquer.

Depuis 2003, année où elle a créé le Poverty Action Lab – le Laboratoire d’Action contre la Pauvreté – au Massachusetts Institute of Technology (MIT), 682 évaluations de programmes contre la pauvreté ont été lancées, dans 62 pays. Le Laboratoire lui-même s’est étendu dans le monde entier, il regroupe 127 chercheurs et compte désormais 6 directions géographiques, dont 5 sont pilotées par des femmes. Depuis Paris, le J-PAL (le «J» ajouté à l’acronyme du labo est l’initiale de Jameel, nom d’un richissime homme d’affaires saoudien, ancien élève du MIT, qui le finance) pousse la recherche vers l’Afrique francophone.

Esther Duflo (Emmanuel Polanco)

La dernière obsession d’Esther Duflo, entre ses travaux pour conseiller Barack Obama ou l’ONU sur les objectifs de développement? Trouver le meilleur moyen de soutenir les femmes enceintes et les mères dès la naissance de leur bébé, car les capacités cognitives se développent bien avant l’âge de la scolarisation.

Sophie Fay

Tristan Garcia : face à l’absurde

Le sujet moderne doute. Universaliste, il se retrouve à combattre ceux qui ne le sont pas. Humaniste, il massacre les animaux. Progressiste, il doit admettre que le progrès ne va nulle part. Cet effondrement des certitudes est le grand thème de Tristan Garcia. On le connaît plus comme romancier («la Meilleure Part des hommes») que comme philosophe, ce qui est dommage.

Dans ses essais, il cherche, dit-il, «une sortie non réactionnaire de la Modernité». Il abat les hiérarchies héritées des Lumières, à commencer par la centralité de l’humain dans l’ordre naturel. Peut-on penser la réalité hors de ce qu’on en perçoit? Comment accorder aux animaux une dignité égale à la nôtre? Quel sens donner à nos vies en sachant qu’elles n’en ont pas?

Tristan Garcia (Emmanuel Polanco)

En 2016, il publiera un essai très attendu sur le «nous». Le plus beau, chez Garcia, c’est la manière. Il manipule indifféremment la culture classique et l’avant-garde la plus pointue. Sa radicalité se nourrit de la nuance. Il écrit comme il parle : doucement. Il change des hurleurs habituels.

David Caviglioli

Pascal Blanchard : la fracture coloniale

C’est une histoire qui passe mal, celle de notre empire colonial. Elle a duré quatre siècles, «a développé notre rapport à l’altérité», et elle est devenue ce «non-dit» intellectuel qui nous revient aujourd’hui «comme un boomerang en plein visage». Pascal Blanchard voit dans ce passé le point névralgique de nos déchirements identitaires présents.

Ce spécialiste des immigrations, auteur de «la Fracture coloniale», décrit depuis dix ans une France prise en plein paradoxe : le pays «a vécu une mutation exceptionnelle à travers le phénomène migratoire, puisqu’il s’est métissé en quelques décennies.» Mais, dans les mentalités, «le temps béni des colonies n’est pas révolu» ; Nadine Morano et d’autres continuent de penser que la France peut rester de «race blanche».

Pascal Blanchard (Emmanuel Polanco)

Parce que ni la gauche ni la droite n’ont su ou voulu «décoloniser les imaginaires, déconstruire l’histoire impériale», des générations d’enfants issus de l’immigration coloniale ont été mis à la marge. Pour Pascal Blanchard, tout cela débouche sur cette «guerre des identités qui sera hélas au coeur de la prochaine élection présidentielle».

Elsa Vigoureux

Julien Coupat : la révolution à venir

« Nous vivons des temps radicaux, constatait Julien Coupat dans “l’Obs” en mai dernier. L’alternative entre révolution et réaction se durcit.» Le leader du groupe «de Tarnac» l’affirme : si la décomposition politique en cours profite avant tout en France aux forces fascisantes, ce n’est pas tant parce que «les gens» inclineraient spontanément vers elles, mais parce qu’elles donnent de la voix, tandis que les révolutionnaires aujourd’hui leur cèdent tout le terrain.

Toujours poursuivi dans le cadre d’une affaire ubuesque de sabotage de caténaires SNCF qui lui a déjà valu la prison, le coauteur supposé de «l’Insurrection qui vient» (2007) et d’«A nos amis» (2014), brillants libelles qui furent aussi les seuls grands best-sellers récents de la gauche radicale, ne s’exprime que très exceptionnellement à la première personne.

Julien Coupat (Emmanuel Polanco)

Loin d’une gauche mélenchonienne qui veut «mettre l’humain au centre», Coupat se réclame d’une vision mélancolique de la civilisation occidentale, où les puissances du capital ont mené à la ruine intérieure des individus. Il y a cependant des raisons d’espérer aux yeux de la mouvance anarcho-autonome qu’il incarne: de la Turquie à la place Tahrir, en passant par le val de Suse ou le Québec, des révoltes sont venues depuis 2008.

L’insurrection qui viendra en France, du moins l’espère-t-il, ne découlera pas cette fois d’une idéologie politique, mais de vérités éthiques. «Le dégoût pour la vie qu’on nous fait vivre», essentiellement. Elle sera le fait des «quartiers», des squats, des centres sociaux et d’êtres singuliers. Où l’on retrouve au passage toute la méfiance de l’ultragauche contemporaine à l’égard de la classe ouvrière.

On ne s’interdira pas de regretter que tant d’intelligence critique laisse au sein de cette dernière un boulevard à la fausse révolution national-lepéniste.

Aude Lancelin

Raphaël Liogier : contre le déclinisme

Ses essais sont autant d’uppercuts contre les chantres du déclinisme et leurs prophéties autoréalisatrices. Professeur à l’IEP d’Aix-en-Provence et au Collège international de Philosophie à Paris, Raphaël Liogier, tour à tour, déconstruit le mythe de l’islamisation qui obsède une Europe narcissiquement blessée, dénonce la falsification d’une laïcité mise au service d’un nouveau «racisme culturel», et décortique les mécanismes de la montée du «populisme liquide» porté en France par le Front national de Marine Le Pen, mais qui se dilue dans toute la classe politique et dissout peu à peu l’état de droit…

Raphael Liogier (Emmanuel Polanco)

Rigoureuse et limpide, l’analyse de Liogier est implacable. Et sa conclusion l’est tout autant: «Ironiquement, écrit-il dans “le Complexe de Suez. Le vrai déclin français (et du continent européen)” (Le Bord de l’eau), ce sont ceux qui hurlent à la décadence, en appellent au retour à la pureté de la nation, à une hygiène culturelle, qui sont le symptôme de la décadence qu’ils dénoncent, et qui participent à son accélération.»

Marie Lemonnier

Cynthia Fleury : philosopher dans la cité

Cynthia Fleury est philosophe. Mais aussi psychanalyste et membre de la cellule d’urgence médico-psychologique du Samu de Paris. Elle intervient à l’hôpital de l’Hôtel-Dieu à Paris, participe à des ateliers de réinsertion, a été nommée au Comité consultatif national d’Ethique… Dans la vie comme dans ses livres, elle s’engage. Car, pour elle, il n’y a pas de démocratie sans l’engagement de tous.

Cynthia Fleury (Emmanuel Polanco)

Après la chute du mur de Berlin, on a pu croire que l’état de droit était là pour toujours, comme garantie perpétuelle de notre épanouissement individuel. Erreur : dans «les Irremplaçables» (2015), Fleury estime que le néolibéralisme menace la démocratie. En marchandisant le monde et en chiffrant nos vies, il met les individus en équivalence, il nous rend remplaçables les uns par les autres.

Pour maintenir la démocratie en vie, il faut au contraire des individus «irremplaçables», qui assument leurs critiques et leurs désirs. Dans un livre précédent, elle désignait cette exigence d’un beau nom : «le courage».

Eric Aeschimann

Michaël Foessel : réinventer la deuxième gauche

Ce fut un passage de témoin symbolique : à la rentrée 2014, Michaël Foessel, alors âgé de 39 ans, a pris la succession d’Alain Finkielkraut à la chaire de philosophie de Polytechnique. Un poste prestigieux, qui a servi de tremplin à l’auteur de «l’Identité malheureuse» pour s’imposer en penseur vedette du déclin français.

Foessel a lui aussi l’intention de participer au débat public, mais pas avec le même message. Ni la même posture : «Je n’ai aucune intention de devenir à mon tour un maître à penser.» Membre du comité de rédaction de la revue «Esprit», formé à la lecture de Ricoeur, Foessel incarne le renouveau d’une deuxième gauche revenue du social-libéralisme.

Il s’intéresse en particulier aux «promesses non tenues de la Modernité». La paix universelle, l’égalité, l’émancipation : les idéaux inventés par les Lumières ont échoué. Il faut en prendre acte, dit Foessel, mais non se résoudre au monde actuel, régi par le calcul et l’intérêt économique.

Michael Foessel (Emmanuel Polanco)

Son dernier ouvrage, «le Temps de la consolation», dénonce notre incapacité à assumer nos deuils. Qu’il s’agisse de la perte d’un proche ou de celle d’un idéal, il nous faudrait faire notre deuil au plus vite, au nom de la fameuse «réalité». Foessel récuse ce réalisme, tout comme il se refuse au discours nostalgique.

En fait, il croit que l’homme peut construire son destin pour peu qu’il cesse de croire à de faux dieux. Jadis, on appelait ça la gauche.

Eric Aeschimann

Grégoire Chamayou : métaphysique du drone

Il y a deux grandes conceptions de la philosophie : pour certains, c’est un apprentissage du bonheur ; pour d’autres, c’est un sport de combat. A 39 ans, Grégoire Chamayou a opté radicalement pour la seconde. Dans un monde surveillé, hérissé de murs et survolé par des drones, le jeune philosophe se sert des concepts comme d’autant d’armes de résistance. Et choisit ses objets de recherche loin des champs traditionnels de la philosophie.

Grégoire Chamayou (Emmanuel Polanco)

Il a publié en 2013 une très originale «Théorie du drone», réquisitoire métaphysique contre le bijou technologique de l’armée américaine et son bilan sanglant (3000 tués au Pakistan depuis 2004). Il s’est aussi intéressé aux écoutes des services de renseignement et aux chasses à l’homme. Chaque fois, il montre qu’au final le gouvernement sécuritaire produit ce qu’il prétend combattre : un monde plus dangereux et moins humain. Un travail minutieux et salutaire.

Eric Aeschimann

Bernard Friot : la valeur réinventée

Une baby-sitter vient garder votre enfant contre de l’argent: c’est une transaction qui ajoute du PIB. C’est son grand-père qui s’en charge gratuitement: aucune valeur ajoutée n’est enregistrée par la comptabilité nationale. Or la valeur sociale de l’acte est la même. Voilà le point de départ de la réflexion renversante de Bernard Friot, sociologue et économiste peu connu des médias, mais qui jouit d’une audience déjà considérable sur le web de gauche.

Bernard Friot veut révolutionner notre regard sur la valeur économique et nous montrer qu’elle peut être produite hors du système du capital. Le modèle de cette révolution existe déjà : il est dans le PIB non marchand, qui représente plus de 20% du PIB total. Nous produisons en effet la masse énorme des services publics, de la santé et de la retraite, hors marché des biens et services, et hors marché du travail pour les agents de ces fonctions publiques.

Bernard Friot (Emmanuel Polanco)

Friot insiste pour que nous ne voyions pas là l’effet d’un «prélèvement» sur la valeur capitaliste mais une valeur sociale authentique et autonome. La Sécu et le statut de la fonction publique, nous dit-il, ont été conquis comme des acquis sociaux dans le capitalisme mais sans en mesurer toute la portée subversive. Nous devrions apprendre à y voir des têtes de pont d’une organisation politique nouvelle.

Aude Lancelin

Gaël Giraud : limiter la richesse

Ne dites pas à Gaël Giraud que l’augmentation des impôts va faire fuir les sièges sociaux des entreprises françaises. Il tacle : «Ça, c’est de la rhétorique destinée à effrayer Neuilly !»

Ce quadra surdoué – normalien, mathématicien et économiste en chef de l’Agence française du Développement (AFD) – a beau être membre de la Compagnie de Jésus, il n’a pas l’onctuosité un peu faux-derche que l’on prête aux jésuites. Ce prêtre qui s’est frotté aux bidonvilles du Tchad et aux salles de marchés de Wall Street est un pourfendeur de l’«optimisation» fiscale (la fraude fiscale déguisée).

Gael Giraud (Emmanuel Polanco)

En 2012, dans « le Facteur 12 », il propose que, grâce à l’impôt, l’écart de richesse entre les plus pauvres et les plus favorisés ne puisse pas dépasser un rapport de 1 à 12. Un coup de bambou là où il faut, qui aurait en outre la vertu de dégager des marges pour financer la transition énergétique.

Arnaud Gonzague

Thomas Piketty : un Parlement pour l’euro

Sa parole publique, Thomas Piketty la retient. Il ne veut pas parler partout, de tout, sans cesse. Et pas non plus seulement des inégalités et du «Capital au XXIe siècle», son best-seller mondial (2,5 millions d’exemplaires).

Son obsession en ce moment, c’est la zone euro, ou comment transformer une machine à broyer la croissance en union monétaire vertueuse. Pour cela, il compte beaucoup sur Podemos, le mouvement espagnol de gauche alternative, qu’il conseille. «Je cherche à les convaincre de mettre sur la table des propositions de refondation démocratique de la zone euro», explique-t-il à «l’Obs».

Il rêve d’un Parlement pour l’euro, d’un même impôt sur les sociétés dans l’Union (pour éviter l’évasion fiscale) et d’une grande conférence sur les dettes : «Si l’on veut restructurer les dettes, on ne peut pas le faire uniquement pour la Grèce.»

Thomas Piketty (Emmanuel Polanco)

Une alternance politique en Espagne peut renverser le rapport de forces dans la zone euro, assure-t-il. Ensemble, la France, l’Italie et l’Espagne pèsent 50% de l’économie et de la population européenne contre 25% pour l’ Allemagne. Mais il sait que les opinions publiques européennes ne sont pas très enclines à aller vers plus d’Europe. Et, pour l’instant, il est davantage écouté à Londres qu’à Paris ou à Rome.

Mais il s’accroche. En Grande-Bretagne, où le nouveau leader du Parti travailliste, Jeremy Corbyn, l’a officiellement adoubé parmi ses conseillers, il espère «construire une nouvelle politique économique, qui démontrera l’échec de l’austérité».

Sophie Fay

Eric et Didier Fassin : sexe et race, des questions politiques

Après la disparition de Pierre Bourdieu, en 2002, la sociologie française a paru se retirer dans ses places fortes : l’université, quelques laboratoires de recherche, de rares maisons d’édition. C’est par le détour des Etats-Unis qu’elle a amorcé un nouveau cycle d’engagement politique. Ayant eu tous les deux l’occasion de s’imprégner des nouvelles orientations de la sociologie américaine (notamment les questions de sexe ou de race), Didier et Eric Fassin illustrent ce renouveau.

Le premier est aujourd’hui le titulaire de la chaire de sciences sociales à l’Institut des Etudes avancées de Princeton – un must mondial. Ses travaux portent sur les institutions sécuritaires et humanitaires, qu’il associe dans la même fonction de maintien de l’ordre social. Son frère Eric fut l’un des introducteurs de Judith Butler en France et a multiplié les interventions dans les médias pour expliquer que le sexe était une question politique, de l’affaire Polanski à la chute de DSK.

Didier et Eric Fassin (Emmanuel Polanco)

En 2004, les deux frères avaient mis en place à l’EHESS un séminaire commun intitulé «De la question sociale à la question raciale?». On avait jasé dans les couloirs : comment, il y aurait une question raciale dans la France républicaine? «La race n’est pas un fait naturel ou comme une culture, mais une situation minoritaire résultant d’une domination majoritaire», explique Eric Fassin. Une question politique, donc. Un an plus tard, les émeutes des banlieues étaient venues leur donner raison…

Eric Aeschimann

Frédéric Lordon : Spinoza contre le capital

Au début des années 2000, constatant la décrépitude de la pensée économique après trente ans de dogmatisme néolibéral, Frédéric Lordon proposa un remède de cheval : y injecter une solide dose de philosophie, une discipline honnie par la majorité des économistes orthodoxes.

La théorie néolibérale est fondée sur l’idée que l’homme n’est mû que par son intérêt égoïste et matériel. C’est chez Spinoza que Lordon a trouvé l’antidote : ce qui anime l’homme est avant tout la «puissance d’agir», une pulsion autrement plus intéressante, car elle porte aussi la joie, le partage, le désir de connaissance…

Frédéric Lordon (Emmanuel Polanco)

Le capitalisme contemporain, montre Lordon dans «Capitalisme, désir et servitude» (2010), s’est emparé de la puissance d’agir des salariés et en a fait l’instrument de sa domination. L’entreprise moderne, avec ses intrigues de bureau et ses techniques de management, ne se contente plus de siphonner la plus-value produite par le travailleur, mais capte à son profit son énergie, son plaisir, sa créativité… Quant aux Etats, ils sont complices de ce détournement, en particulier en Europe.

Collaborateur régulier au «Monde diplomatique», jouissant d’une large audience chez les militants de la gauche radicale, Lordon milite pour la sortie de l’euro. S’exprimant peu dans les grands médias, il s’était tout de même rendu sur le plateau de Frédéric Taddeï en avril dernier, pour un débat avec Thomas Piketty. Deux figures nouvelles, deux penseurs de gauche, l’un réformiste et l’autre révolutionnaire : le match fut très serré…

Eric Aeschimann

Pierre Dardot et Christian Laval : une troisième voie, le « commun »

L’un des concepts les plus fructueux surgis ces derniers temps dans le champ de la philosophie politique n’est pas venu d’une star de l’université ou d’un jeune penseur avide de se faire un nom, mais d’un duo discret, qui n’a jamais prétendu soulever les amphithéâtres.

Début 2014, Pierre Dardot et Christian Laval, respectivement philosophe et sociologue, publient un gros pavé, au titre évocateur : «Commun» (La Découverte). La notion de «commun» se veut une alternative au face-à-face qui oppose les tenants du marché et ceux de l’économie étatisée.

Dardot Laval (Emmanuel Polanco)

L’eau dans un village, un logiciel libre ou une boutique coopérative sont des «communs», parce que chacun participe à sa production et jouit de son usage. Le terme fait écho aux commons, ces terrains communaux dont la privatisation et la clôture dans l’Angleterre du XVIe siècle ont été considérées par Marx comme le point de départ du capitalisme… A l’opposé du bien privé, le bien commun bénéficie donc à tous.

Mais il se distingue également d’un service public, tels l’école, l’hôpital ou le train, dont l’organisation est déléguée à l’Etat. Le commun est collectif par sa production comme par son utilisation. Pour les militants écologistes, les altermondialistes ou les «zadistes», le «commun» est l’outil théorique qui manquait pour combattre à la fois les groupes privés et les Etats.

Autre avantage : de l’idéal «communiste», le commun conserve l’idée de partage, tout en évacuant le projet politique et ses dérives meurtrières.

Eric Aeschimann

Ruwen Ogien : pour un libéralisme égalitaire

On peut être de gauche – et même très à gauche – et ne pas tout attendre de l’Etat. Et même n’en attendre rien de bon. Ruwen Ogien est l’un des penseurs de ce courant libertaire et a résumé son propos sous un concept parlant : l’«éthique minimale».

L’idée centrale est que chacun doit être libre d’organiser sa vie comme il l’entend. Ni l’Etat, ni les Eglises, ni aucun courant de pensée n’a à nous rendre meilleurs ou à nous imposer ses normes morales. Se détruire, se droguer ou se tuer sont certes des comportements idiots, mais ils ne sont pas amoraux, et il n’existe qu’une seule règle morale incontestable: ne pas nuire à autrui. Tout le reste n’est que paternalisme.

Ruwen Ogien (Emmanuel Polanco)

Régulièrement, Ruwen Ogien descend dans l’arène publique pour dénoncer les tentatives d’enrégimentement moral. Ce qui l’a conduit à défendre la prostitution, l’usage de la drogue, la procréation assistée, et à critiquer sévèrement l’enseignement de la morale à l’école.

Certains y voient le symptôme d’un individualisme destructeur, mais le propos de Ruwen Ogien est inverse. Son minimalisme moral parle autant d’égalité que de liberté. Car qui pourrait être libre s’il reste soumis à la domination d’autrui? Les inégalités sociales n’ont «aucun sens moral», et la vraie liberté commence par celle de ne pas être exploité et donc d’être protégé par des règles sociales. D’où le combat d’Ogien pour un Etat «permissif, égalitaire et parcimonieux dans l’usage de la force».

Eric Aeschimann

DOSSIER ILLUSTRÉ PAR EMMANUEL POLANCO /COLAGENE.COM POUR « L’OBS ».

Les intellectuels de gauche ont-ils disparu?

Cette semaine dans l’Obs.

Qui sont les nouveaux intellos de gauche ?

♦ L’intellectuel de gauche bouge-t-il encore ?, par Aude Lancelin

Pour un « politiquement incorrect » de gauche, par Laurent Binet

Ceux qui pensent autrement : portraits d’Esther Duflo, Julien Coupat, Frédéric Lordon, Thomas Piketty, Eric et Didier Fassin, Ruwen Ogien, Cynthia Fleury, Tristan Garcia, Tristan Garcia, etc.

«On peut vivre sans maître à penser», entretien avec l’historien François Cusset

Revanche de la plèbe intellectuelle, par Jean-Loup Amselle

Dossier paru dans « L’Obs » du 5 novembre 2015.

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