A la recherche de la dépouille de Federico Garcia Lorca

Ce 18 août de 1936, à 4h45 du matin, près de ce lieu nommé « barranca de Alfacar », le ravin d’Alfacar, entre le village du même nom et celui de Viznar, à quelque neuf kilomètres de Grenade, Federico Garcia Lorca était assassiné par des franquistes. Six hommes de la Phalange, parmi lesquels le plus ignoble de tous, Benavides, un parent de la première épouse de son père qui s’était enrôlé spontanément pour avoir la jouissance de l’exécuter.

Avec Garcia Lorca étaient tués un malheureux instituteur de village, José Dioscoro Galindo, qui avait eu le malheur de prôner la laïcité, ainsi que deux jeunes banderilleros de Grenade, Francisco Galadi et Joaquin Arcollas, qualifiés d’anarchistes pour avoir espéré plus de justice sociale et adhéré à la Confédération nationale des travailleurs (CNT).

Le fantôme de Garcia Lorca hante la conscience collective

Les quatre corps furent jetés par les tueurs dans une excavation. Alentour, près de deux mille autres victimes du fascisme espagnol auront été dispersées là, dans des fosses communes, après avoir été exécutées sommairement dans les premiers temps de la guerre civile. Et bien des années plus tard, comme ce fut le cas en France pour les victimes de la Terreur, on ne savait plus exactement qui avait été assassiné ici, qui gisait sous terre au sein de cette immense nécropole en pleine nature.

Federico Garcia Lorca, photographié à son domicile de Grenade (Famille Lorca/Sipa)

Aujourd’hui, près de huit décennies après ces effroyables tueries, et pour la troisième fois, on tente de retrouver les restes mortels de l’écrivain. Avec ceux de tant d’autres martyrs en Espagne, le fantôme de Federico Garcia Lorca hante à tout jamais la conscience collective.

Une plaie toujours purulente

Son assassinat par les phalangistes, par des Espagnols, sa mort due tout à la fois au fascisme, au catholicisme le plus intransigeant, à de vieilles haines familiales, au machisme aussi, car on tua non seulement un écrivain célèbre, un poète, un dramaturge, un homme libre, mais encore, et avec plus de rage sans doute, un homosexuel, sa mort est, parmi tant d’autres, un crime qui a sali toute l’Espagne.

Et alors que les horreurs de la guerre civile ont été longtemps tues et cachées par la dictature franquiste quand il s’agissait des victimes venues du camp des vaincus, l’on peut voir aujourd’hui, dans cette recherche acharnée du corps du poète, outre un besoin légitime de rendre hommage au martyr comme à l’écrivain, un acte d’expiation, une nécessité de laver une plaie toujours purulente.

La Ley de Memoria historica

Votée par les Cortes en 2007, à l’époque où le socialiste Jose Luis Rodriguez Zapatero était le chef du gouvernement de Madrid, la « Ley de Memoria historica de Espana » (Loi sur la mémoire historique) permet désormais, sous contrôle de l’Etat espagnol et des gouvernements autonomes, et à la demande expresse des familles, que soient enfin ouvertes les fosses communes où furent précipitées des dizaines de milliers de victimes. Et que soit reconnue officiellement l’injustice qui leur a été faite, à elles comme à leur parenté. En Andalousie seulement, là où mourut Garcia Lorca, ces fosses, on a recensé 595, tout en ignorant aujourd’hui encore combien de dépouilles elles abritent.

Tuer un poète

Tuer un jeune poète : quand on aborde l’assassinat de Garcia Lorca et les conditions dans lesquelles il fut exécuté après avoir été sans doute humilié, battu, torturé, l’émotion demeurée toujours très vive fait de lui le symbole le plus terrifiant de la barbarie des milices franquistes, mais aussi de la société espagnole tout entière.

En 2009, déjà, sous l’égide de l’ « Oficina de Victimas de la Guerra civil y la dictatura », aujourd’hui supprimée par le gouvernement de droite de Rajoy, on effectua sans succès des fouilles au pied d’un antique olivier qui marque l’entrée du parc Garcia Lorca, un site jouxtant le village d’Alfacar. On s’appuyait alors sur les indications données par le plus connu des biographes du poète, l’hispaniste irlandais Ian Gibson, auteur de « Vie, passion et mort de Federico Garcia Lorca », livre au grand retentissement publié en 1998. Dans son ouvrage, Gibson se basait entre autres sur le témoignage d’un homme qui avait été sur les lieux en septembre 1936, un mois après l’assassinat.

Nouvelles fouilles en novembre 2014

De nouveaux éléments semblaient désormais avoir déterminé avec plus d’exactitude le lieu où avaient été jetés les corps de Garcia Lorca et de ses malheureux compagnons.

Lors des fouilles le 18 novembre 2014 (JORGE GUERRERO / AFP)

Parmi plusieurs confidences inédites de phalangistes, un général aujourd’hui à la retraite avait livré ses souvenirs. Fils de celui qui était le commandant militaire de la zone au moment de l’exécution, il fut conduit sur les lieux par deux ou trois des assassins, dont le plus fanfaron, Benavides, celui qui avait été le plus cruel, celui qui s’était vanté « d’avoir tué un rouge, un ami des rouges, un sale pédé ». C’était dans les années 1960, quand le témoin était un tout jeune homme. Et ce témoignage permettait désormais de circonscrire une zone de 160 mètres carrés où l’équipe de chercheurs était sûre de retrouver les dépouilles.

Avec une aide financière de la Junta de Andalucia, le gouvernement autonome de l’Andalousie, une équipe d’historiens et d’archéologues conduite par Miguel Caballero Pérez, auteur des « Treize dernières heures dans la vie de Federico Garcia Lorca », reprit donc les travaux. A un kilomètre environ des fouilles de 2009 Las ! Après vingt jours de recherches infructueuses, des chutes de neige inopinées dans la Sierra de Alfaguara ruinèrent le projet et obligèrent l’excavatrice retenue pour les fouilles à dégager les voies routières de la région.

Troisièmes fouilles

Lors des fouilles le 18 novembre 2014 (JORGE GUERRERO / AFP)

Aujourd’hui, avec le reliquat des subventions du gouvernement andalou et après une campagne de levées de fonds internationale, Miquel Caballero et l’archéologue Javier Navarro relancent les recherches à quelques pas de celles de 2014. Car on a pu, ces derniers mois, affiner encore les données que l’on possédait. Et l’on est sûr désormais de retrouver les corps des quatre suppliciés au sein d’un espace d’une centaine de mètres carrés, à vingt mètres à peine des recherches de l’an dernier.

« Tierra seca, tierra quieta de noches inmensas »

Tierra seca, tierra quieta de noches inmensas »

Terre sèche, terre tranquille sous les nuits immenses) : ce vers de Garcia Lorca semble avoir annoncé le lieu où il sera massacré.

C’est un site désolé de pierres et de terre aride, du type que l’on nomme en Espagne « secano » et qui s’étend non loin du « camino del arzobispo », le chemin de l’archevêque, par où les quatre victimes de l’assassinat du 18 août (d’autres disent du 19), parvinrent à ce qui serait leur tombeau. Hélas, il y a bien des années, un maire de village y fit déverser des tonnes de terre en vue d’aménager là… un terrain de football. Il fallut un appel de la soeur de Garcia Lorca, alors âgée de 87 ans, adressé au président de la Junte d’Andalousie, pour que celui-ci fît cesser d’urgence les travaux en ce lieu dont on savait pourtant qu’il abritait des restes mortels.

Mais le mal était fait. Le sol de jadis est enfoui, dit-on, sous huit mètres de remblais. Et avant même cet acte idiot, le régime franquiste avait installé là un camp d’instruction militaire dont on fit par la suite un terrain de moto-cross. Tout aura donc été fait pour faire oublier cette nécropole où gisent sans doute près de deux mille corps, mais aussi pour dissiper la mauvaise conscience de leurs assassins, des familles de ceux-ci et de toute une classe politique elle aussi criminelle.

« Lorca eran todos »

Aujourd’hui, les familles des quatre victimes sont une nouvelle fois divisées quant à l’opportunité d’effectuer des recherches. Et chacune pour des raisons très nobles. Rejointe par la famille de l’un des deux banderilleros, la petite fille de l’instituteur Francisco Galadi veut retrouver les ossements de son aïeul. Elle a vu son propre père, qui tout jeune alors avait assisté à l’arrestation du « maestro » et tenté de suivre le prisonnier, se tourmenter toute sa vie de savoir sans sépulture celui qui lui avait donné le jour.

Tout au contraire, et pour d’aussi nobles raisons, la famille de Federico Garcia Lorca ne voit pas d’un bon œil l’exhumation possible du poète, sans toutefois s’y opposer désormais, par égard aux familles des trois autres victimes. Car cette famille, que représente aujourd’hui la nièce de l’écrivain, Laura Garcia Lorca y de Los Rios, redoute à juste titre que la célébrité universelle de l’auteur suscite un intérêt public tel que cette découverte et une possible exhumation déboucheraient immanquablement sur un ouragan médiatique en quoi on pourrait voir une douloureuse profanation. Un excès de vacarme, de curiosité et de fureur après le silence étouffant imposé par la mort et par la dictature franquiste, laquelle aurait bien voulu bannir à tout jamais le souvenir de Garcia Lorca et d’autres poètes comme Cernuda de la mémoire universelle.

Dressée dans le ravin, sous les arbres, parmi les fosses communes, une stèle de granit dit bien la pensée de la famille : « Lorca eran todos » (Tous étaient Lorca). Une noble manière de signifier que toutes les victimes du fascisme sont égales dans la mort. Et que cette tragique nécropole, dans sa désolation, recèle plus de grandeur et dégage plus d’émotion que n’importe quel tombeau de marbre.

Raphaël de Gubernatis

(HADJ/SIPA)

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