«Baron noir» : un air de déjà-vu

Un député du Nord déboule dans l’Assemblée nationale vêtu d’un bleu de travail et de sa cravate (réglementaire). «La gauche, c’est moi», martèle en substance Philippe Rickwaert dans l’hémicycle, défiant le gouvernement et avec lui le Président de la République, qui vient de lancer un plan Education annoncé comme la pierre angulaire de son quinquennat, mais qui oublie les filières professionnelles. La scène, jouée par Kad Merad dans Baron noir, semble inédite. On la suppose fabriquée de toutes pièces par les scénaristes de la série, Jean-Baptiste Delafon et Eric Benzekri. Mais les fins connaisseurs en politique ont reconnu sous les traits de Rickwaert le député communiste de l’Oise, Patrice Carvalho, qui avait fait sa rentrée parlementaire de 1997 dans sa tenue d’ouvrier. Le reste est fanstasmé, le clin d’œil à la réalité s’arrête là : une fois sa question posée, le député PS part dans un dialogue musclé avec le Premier ministre… impossible à observer lors d’une vraie séance de «QAG» puisque le micro est coupé au député une fois sa question posée…

Baron noir est avant tout une fiction, même si Benzekri connaît bien les coulisses de la politique, lui qui fut longtemps militant au PS, proche de Julien Dray et passé par le cabinet de Jean-Luc Mélenchon du temps où il était ministre délégué à l’Enseignement professionnel. «Toute ressemblance avec des personnes ou des événements existants ou ayant existé ne serait que pure coïncidence», avait d’ailleurs prévenu Fabrice de la Patellière, prudent directeur de la fiction sur Canal +, à son lancement. Mais sous ses airs de divertissement, la série de la chaîne cryptée, qui s’achève lundi soir, relate aussi des situations passées bien réelles, et quelques affaires qui ont entâché ces dernières années la cinquième République. Difficile de ne pas penser à François Mitterrand quand Philippe Rickwaert parle du Président comme du «Vieux», expression qu’utilise Mélenchon encore aujourd’hui. L’ancien ministre socialiste cite aussi souvent cette phrase qu’il dit empruntée à Mitterrand et utilisée par Amélie Dorendeu, première secrétaire fictive du PS dans la série et incarnée par Anna Mouglalis : «Pour prendre la France, il faut une armée de 100 soldats prêts à mourir pour elle.»

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Et comment ne pas penser à Claude Guéant et l’affaire des tableaux néerlandais lorsque le président Francis Laugier (Niels Arelstrup) tente de dissimuler un détournement de fonds par la vente d’un piano de collection à son cousin ? Le financement d’une campagne électorale à coups de détournement de fonds public impliquant un office HLM dirigé par un maire socialiste dont les locataires sont encartés au PS et servent à plier les congrès ou les primaires, des entreprises «cotisant» pour boucher les trous de l’établissement public en échange de futurs marchés… welcome back dans les années 1990 et les affaires de financement des partis politiques – Urba, Sagès … – qui ont touché le PS.

La nuit passée par les employés de la mairie PS de Dunkerque, tombée à droite, à détruire des documents compromettants, peut aussi avoir des airs de déjà-vu pour qui a vécu une élection locale. Certains ministres de François Hollande n’ont-ils pas retrouvé, en 2012, leurs bureaux sans ordinateurs mais aussi sans ampoules, les tableaux décrochés du mur et la cave vidée ?

Même chose pour la campagne électorale : «Le chewing-gum au bout du cintre en fer pour retirer les tracs des partis concurrents dans les boîtes aux lettres», ça existe, assure le maire Les Républicains de Tourcoing, Gérald Darmanin, qui confesse l’avoir pratiqué lui-même quand il était jeune militant dans le Nord. Où parfois un «bordel» pouvait être organisé dans certains bureaux de vote pour faire invalider une élection. Dans Baron noir, il s’agit d’une bagarre et de l’arrachage d’une feuille d’émargement, dans la réalité, certains dirigeants politiques évoquent des dépouillements dans des bureaux perdus d’avance avec des mines de crayon cachées sous les ongles, ou des morceaux de lard planquées sous les tables, pour tâcher les enveloppes.

Une série «réaliste»

Les manœuvres de Rickwaert dans le mouvement lycéen de la série rappellent aussi celles de certains dirigeants socialistes, en particulier le député de l’Essonne Julien Dray, co-fondateur de SOS Racisme et qui avait la main sur l’Unef et le syndicat lycéen Fidl. Ne dit-on pas que c’est lui qui était derrière les manifestations étudiantes et lycéennes de 1990 contre la réforme de l’Education de Lionel Jospin ? Le futur Premier ministre a toujours reproché à Dray d’avoir attisé en coulisses la contestation pour mieux permettre à Mitterrand de se poser en conciliateur avec la jeunesse. Le recrutement du jeune Mehdi Fateni pour en faire un futur cadre du parti peut ainsi faire penser aux débuts en politique, aux côtés de Dray, de Malek Bouthi et de Delphine Batho, tous deux proches d’un des deux scénaristes.

Bouthi trouve la série «réaliste», mais pour Batho, le rôle de Dray (ou de Rickwaert) dans le mouvement de l’époque n’est que pure invention. «C’est lui prêter une influence qu’il n’avait pas, et qu’il n’a plus», dit la députée des Deux-Sèvres, même si l’ancienne membre de la Fidl, le concède : la façon dont les fractions politiques et les syndicats lycéens tentent d’influencer parfois les «coordinations étudiantes» est bien réelle, elle. De même que la bataille sur le parcours de la manif, imposé à dessein par le Président de la République (avec peu de CRS) dans la série pour qu’elle dégénère en vandalisme et perde sa légitimité au vu de l’opinion à cause des casseurs, «ça, je l’ai vécu en 90».

Plus que les guerres fratricides et les intrigues politiciennes, Delphine Batho voit dans Baron noir «une façon dont ce quinquennat aurait pu être différent». Par exemple, beaucoup de socialistes auraient aimé voir François Hollande aller au bras de fer avec Bruxelles comme le fait Francis Laugier : non-respect des critères de Maastricht pour privilégier la réforme de l’Education, refus catégorique de payer les sanctions financières imposées par les voisins européens, pousser la Commission et l’Allemagne à la renégociation des traités en construisant un rapport de force supra-national au Parlement européen… Batho y décèle aussi une série féministe. «Ce qui est très vraisemblable dans Baron noir, c’est la façon dont les hommes politiques veulent toujours diriger les femmes. L’histoire de la série, c’est aussi la façon dont les femmes se libèrent de cette tutelle.» On n’en dira pas plus, pour ne pas «spoiler» une fois de plus la fin de cette première saison, mais à voir l’ancienne adjointe de Rickwaert, Véronique Bosso, humiliée par la municipale perdue à Dunkerque, et la Première secrétaire du PS Amélie Dorendeu, infantilisée à chaque épisode par le chef de l’Etat, reprendre les rènes du pouvoir aux derniers instants de la série, on ne peut pas lui donner tort.

 

Lilian Alemagna , Tristan Berteloot

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