«Les centres commerciaux sont des lieux culturels»

«Les centres commerciaux sont des lieux culturels»
Centre commercial Le Millénaire à Aubervilliers (93) / DR

Qu’est-ce que le Grand Paris de la culture ? Une question discutée quatre heures durant, samedi 2 avril à Saint-Denis, à l’occasion de la Nuit des débats initiée par la Ville de Paris. Avec à la clef des prises de position iconoclastes.

Gaspard Guérin, journaliste pour Enlarge your Paris

Samedi 2 avril, jour de la première Nuit des débats. Il est un peu plus de 22h au 6B à Saint-Denis, haut lieu de création du 9-3 où une centaine de personnes sont rassemblées pour évoquer la culture dans le Grand Paris. Depuis plus de deux heures, les discussions suivent un cours paisible.

C’est alors qu’un socio-anthropologue, Fabrice Raffin, s’avance à la tribune et assène : « Les lieux culturels de la majorité de la population sont des lieux de consommation de masse comme Auchan. On s’y retrouve pour jouer aux jeux vidéo, aller au cinéma, au concert et assister à toutes sortes d’animations. Si on ne prend pas au sérieux ces pratiques majoritaires, il est difficile d’élaborer une offre culturelle publique adaptée ». Quelques minutes auparavant, quelqu’un est intervenu pour témoigner de son opposition à EuropaCity, projet pharaonique de 80 hectares mêlant loisirs, culture et commerces censé voir le jour à l’horizon 2024 dans le Val-d’Oise et porté par… Auchan.

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Faut-il pour autant en conclure que Fabrice Raffin est le cheval de Troie dépêché dans ce forum par le géant de la grande distrib’ pour étouffer la révolte ? Un lobbyiste hors-pair capable de retourner une salle à l’image du personnage de Nick Taylor dans le film Thank your for smoking ? Malheureusement pour la dramaturgie de ce récit, il n’en est rien. Ce qui intéresse avant tout ce maître de conférences à l’université de Picardie Jules-Verne, et chercheur au sein du laboratoire Habiter le monde, c’est de souligner la diversité des pratiques culturelles, quitte à contrarier André Malraux, pour qui «si la culture existe, ce n’est pas du tout pour que les gens s’amusent».

« L’élitisme des professionnels de la culture »

Dans une tribune parue dans Libé en 2014, il mettait déjà les pieds dans le plat en interpellant les « professionnels de la culture ». « Ceux-ci ont l’impression de représenter l’intérêt culturel des populations, ce qui n’est pas tout à fait le cas (…) Bien souvent, sous couvert «d’universalisme», ces acteurs définissent eux-mêmes une «bonne culture» qui est en fait la leur. Se battant contre un élitisme culturel, ils en reconstruisent un autre sans toujours en avoir conscience. Ce qui frappe également est leur faculté à ne pas reconnaître digne d’intérêt véritable des pratiques culturelles majoritaires ancrées dans les populations : fanfares, clubbing, musiques amplifiées, cirque, chant, slam, jeux vidéos, cosplay, comics, mangas, bref, les cultures banales mais essentielles de millions de personnes. »

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Une analyse qui fait écho à celle d’un autre intervenant à cette Nuit des débats à Saint-Denis, le géographe Laurent Chalard. Selon lui « le Grand Paris doit jouer la complémentarité entre culture et contre-culture plutôt que d’entretenir la fragmentation ». Même son de cloche chez Marie Deketelaere-Hanna, représentante d’un collectif citoyen à l’origine du Manifeste du Grand Paris. « L’une des vocations du Grand Paris est de subvertir l’opposition Paris-banlieue et de passer d’identités qui s’opposent à des identités qui interagissent », clame-t-elle au micro.

Une bonne manière de clore le sujet ? Pas sans un dernier rebondissement. In extremis, Michaël Silly, sociologue et fondateur du think-tank Ville hybride, ressort l’épouvantail EuropaCity du placard. Cette fois, sous l’angle des gros sous. « Je constate que les promoteurs d’EuropaCity, à commencer par le PDG d’Auchan Vianney Mulliez, sont attentifs à ce qui se fait en matière de culture dans les quartiers. L’erreur constituerait à leur tourner le dos alors qu’ils disposent d’importants moyens financiers pour accompagner des initiatives locales. On n’a rien à perdre à rallier ce type d’acteur. Il faut être pragmatique et ne pas camper sur des positions de principe. Elles ne font qu’entretenir le clivage stérile entre tenants d’une culture élitiste et adeptes des cultures urbaines type street art » » Ce qui appelle un autre débat dont on vous soumet dès à présent l’intitulé : « Malraux ou Mulliez : qui pour financer la culture dans le Grand Paris ? ».

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