Les secrets de « Citizenfour » par sa réalisatrice Laura Poitras

De notre correspondant aux Etats-Unis,

Vous ne la connaissez sans doute pas. C’est pourtant Laura Poitras qu’un certain analyste de la redoutable National Security Agency (NSA) a contactée le jour où il a voulu livrer ses secrets. Edward Snowden doit beaucoup à cette réalisatrice, journaliste et artiste discrète et tenace, qui a filmé avec génie sa rencontre avec l’informaticien le plus célèbre de la planète, à Hongkong, en compagnie de Glenn Greenwald, l’ex-journaliste du « Guardian », auteur d’articles explosifs sur l’espionnage d’Etat. Le film montre l’ancien expert en sécurité, expatrié et reclus dans une chambre d’hôtel, en train d’orchestrer des fuites sur la surveillance de millions d’individus par les services de renseignements américains – avec, parfois, la complicité d’opérateurs téléphoniques – ou l’espionnage d’autres pays par les Etats-Unis. Au fur et à mesure du tournage, l’affaire devient un scandale mondial. Snowden ausculte son téléphone, apprend au journaliste du « Guardian » à crypter les e-mails…

Dans une ambiance de paranoïa, Snowden et Greenwald commentent la déflagration suscitée par les révélations – ses proches sont notamment harcelés par le FBI, sa maison, fouillée -, et imaginent où et comment le jeune homme, désormais « wanted », va pouvoir trouver asile avant d’être arrêté. Tout au long du documentaire, Snowden met au jour l’immensité du système à la Big Brother (Angela Merkel en est l’une des cibles) qui menace les libertés publiques et dont il a le sentiment d’avoir été un pion. Dans « Citizenfour », son documentaire couronné d’un oscar (diffusé ce mardi, à 22h50, sur Canal+), Laura Poitras n’apparaît que l’espace d’une fraction de seconde dans le reflet d’un miroir. Mais elle est bien au centre de l’affaire Snowden.

« Edward Snowden a eu du mal à se faire à l’idée d’être filmé »

TéléObs. Quand Edward Snowden vous a contactée, vous avez d’abord pensé qu’il s’agissait d’un piège. Puis vous vous êtes dit qu’il ne sortirait jamais de l’anonymat.

Laura Poitras. Oui, je ne pouvais pas imaginer qu’il allait courir le risque de révéler son identité. Pendant plusieurs mois, j’ai travaillé avec l’idée que je recevrais des documents mais ne rencontrerais jamais personne. Ce n’est que beaucoup plus tard, dans nos échanges, qu’il m’a dit qu’il ne souhaitait pas masquer son identité.

C’était son intention depuis le début ?

– Je le crois. Je crois qu’il était persuadé qu’il serait arrêté une fois les documents publiés. Il savait aussi que, s’il restait dans l’ombre, on lancerait des enquêtes sur d’autres gens. Il voulait tout simplement prendre la responsabilité de ces révélations. Il ne m’a pas tout dit dès le début par souci de protection, il ne voulait pas dévoiler trop de choses car il était extrêmement prudent. Il savait que les risques étaient très élevés.

En cours de tournage, il a choisi de sortir de l’anonymat, mais il ne voulait pas pour autant devenir le sujet principal de l’histoire…

– C’est ce qu’Edward voulait éviter. Il a eu du mal à se faire à l’idée d’être filmé parce qu’il sait comment fonctionnent les médias. Il ne voulait pas devenir une sorte d’attraction. Je l’ai convaincu avant notre rencontre à Hong-kong en lui disant :

« Quoi que tu fasses, tu seras le sujet. Et tes mots ont de l’importance, les gens veulent savoir ce qui te motive. »

L’une des surprises est de voir à quel point Snowden est un pro de la com…

– Il avait lui-même été influencé par le discours des médias quand il s’est engagé dans l’armée au moment de la guerre en Irak. Il croyait que nous apportions la démocratie au reste du monde.

Avez-vous été surprise par la clarté et la précision avec lesquelles il s’exprime ?

– Oui. C’est un type vraiment brillant. J’ai filmé bien davantage que ce que montre le documentaire et, à chaque fois, ses réponses étaient faites de phrases extrêmement bien construites, sa pensée était remarquablement ordonnée. C’est franchement impressionnant, quand on pense qu’il était engagé dans une course contre la montre.

L’avez-vous revu ?

– Oui, trois fois à Moscou. La première fois, j’ai filmé la scène qui est dans le film.

Comment va-t-il ?

– J’évite de parler en son nom, mais je crois que quand il m’a contactée et qu’il nous a rencontrés à Hong-kong, Glenn Greenwald et moi, il ne pensait pas qu’il y aurait une vie après cela.

Je crois qu’il n’avait jamais imaginé être capable de s’engager par la suite dans un débat public, de parler de ces questions de respect de la vie privée. Il se voyait en prison, point barre.

Quel avenir voyez-vous pour lui ?

– Je crois qu’à un moment ou un autre il retournera aux Etats-Unis. Je ne sais pas quand, cela dépendra de la volonté politique ou de la personne au pouvoir. Cela dit, il a plus de chances de voir un autre pays lui offrir l’asile politique. La France ou l’Allemagne, par exemple, seraient une option.

Mais, à l’heure actuelle, les Etats-Unis font toujours pression sur les Etats européens pour éviter un tel scénario.

Etes-vous d’accord avec cette phrase du « Guardian » : « Nous avons toujours du mal, trois ans après, à évaluer l’ampleur de ce qu’Edward Snowden a révélé » ?

– Oui, je crois que c’est vrai. Nous vivons à une époque où la technologie évolue à une vitesse telle qu’on peine à appréhender son caractère intrusif. Cela va bien au-delà d’agences de renseignements collectant des quantités massives de données. Nous ne savons pas encore exactement ce que cela signifie mais nous avons Facebook, Google, toutes ces entreprises de high-tech qui récoltent des tonnes d’informations.

Les jeunes d’aujourd’hui grandissent dans un monde où l’on ne pourra pas échapper à cette empreinte numérique.

Que pensez-vous du débat actuel sur la protection des données grâce aux techniques de chiffrement ?

– Si vous vous souciez de la sécurité de vos données, vous ne pouvez pas être sélectif. Si vous voulez accéder en toute sécurité à votre compte en banque, vous avez besoin d’un cryptage fort des informations. Et il y a une telle quantité de données privées partagées en ligne qu’il est dans l’intérêt de tout le monde de s’assurer que les communications restent privées.

Mais la résistance d’entreprises comme Apple ne s’explique-t-elle pas aussi par le fait que Snowden a montré qu’on ne pouvait pas faire confiance aux gouvernements (1) ?

– Si, je le crois, mais les entreprises de télécoms entretiennent toujours une relation très étroite avec les agences de renseignements, elles continuent de partager l’information. Les entreprises du Net, en revanche, sont plus enclines à la confrontation. Twitter, par exemple, a décliné beaucoup de demandes d’information venant des autorités.

Peut-on encore protéger sa vie privée ?

– Oui, techniquement, cela devient même plus facile. Avec Signal, par exemple. C’est une application gratuite en open source , comme Tor. Vous pouvez l’utiliser pour chiffrer vos SMS et appels téléphoniques.

Pour en revenir à « Citizenfour » et vos précédents documentaires sur la guerre en Irak ou Guantánamo,comment faire passer l’émotion sur des sujets aussi ardus ? On a l’impression que vous ne voulez pas trop mettre de sous-titres, vos scènes sont parfois des vignettes qui parlent d’elles-mêmes…

– Je ne suis pas d’accord. Mes films sont très narratifs. J’ai une approche du cinéma-vérité similaire à la fiction, au sens où un drame se produit et il est constitué de scènes. C’est la définition d’un film, n’est-ce pas ? Ce ne sont pas des vignettes, ce sont des scènes qui conduisent à une certaine résolution. Il y a généralement un protagoniste et un drame. Il est vrai que cela ne m’intéresse pas vraiment d’ajouter une voix off. « My Country, My Country », par exemple, avait pour principal protagoniste un médecin sunnite, mais j’ai inséré beaucoup de choses sur l’élection de janvier 2005 en Irak qui, d’une certaine façon, était aussi une sorte de personnage.

Mes films sont très ancrés dans des principes narratifs, mais souvent avec des personnages multiples. C’est comme dans « Amours chiennes », le film d’Alejandro González Iñárritu – des personnages nombreux qui se croisent, une foule d’actions qui surviennent simultanément.

J’en reviens à ma question : comment humaniser, comment communiquer enfaisant naître de l’émotion sur un sujet aussi abstrait que la surveillance ?

– Cela faisait un moment que le sujet m’intéressait. Avant que William Binney [ancien analyste de la NSA, NDLR] et Edward Snowden n’apparaissent, tout le monde disait : « C’ est un sujet vraiment difficile à traiter, c’est secret, abstrait. » Donc j’ai eu de la chance de pouvoir filmer des gens qui incarnent ces questions – Binney et Snowden, des hommes prêts à mettre leur vie en jeu parce qu’ils estimaient que ces pratiques étaient dangereuses pour la société. Une fois que vous avez cela, les gens se disent : « Qui sont ces experts prêts à tout sacrifier parce qu’ils estiment qu’il y a un danger ? » Cela réveille tout le monde.

Autre obstacle : la peur, qui pousse à accepter de voir ses libertés rognées…

– La peur est manipulée par les élus pour faire passer des mesures. Mais j’ai tendance à blâmer les médias pour la façon dont ils gonflent leur audience en encourageant cette tendance. Ils sont trop proches du gouvernement, ils acceptent ses arguments trop facilement. La guerre d’Irak est un exemple parfait.

A ce sujet, je suis déçue de voir aujourd’hui certaines décisions prises en France, comme l’état d’urgence. On ne rend pas le monde plus sûr en suspendant les libertés.

Autre difficulté, une certaine tendance à dire : moi, de toute façon, je n’ai rien à cacher…

– Snowden a une réponse parfaite à ce genre de propos :

« Vous n’abandonnez pas la liberté de parole, même si vous avez le sentiment qu’elle n’est pas menacée. »

Il y a des principes sacrés, dans les sociétés démocratiques, qui méritent qu’on lutte pour les défendre. Et, en plus, ceux qui disent qu’ils n’ont rien à cacher mentent. Si vous leur dites : « Puis-je avoir la clé de votre maison et le mot de passe de votre compte email ? » Vous allez voir ce qu’ils vous répondront. Ils se sentiront violés.

A propos de violation, justement, vous avez porté plainte contre le gouvernement américain et l’avez forcé à communiquer des documents concernant votre surveillance par les autorités…

– Nous avons obtenu 800 pages de documents. Et j’ai été choquée. Vraiment. Ils ont convoqué un grand jury à mon sujet (chargé de décider s’il y avait ou non crime potentiel), ont saisi les informations me concernant, cela ressemblait à une enquête de la NSA au top niveau. Absurde.

Cela a dû être dur à vivre, au quotidien ?

– Oui, extrêmement pénible. La période qui s’est écoulée entre le moment où j’ai commencé à recevoir des messages de Snowden et quelques mois après l’avoir rencontré a été la plus effrayante que j’aie jamais vécue comme journaliste. C’était bien pire que l’Irak.

J’avais cette impression que l’affaire remontait au plus haut niveau de l’Etat. Ce que je faisais, ce qu’avaient fait Edward et Glenn mettait en fureur les gens les plus puissants du monde.

Vous êtes toujours suivie, surveillée ?

– Oui. Et je crois que cela ne s’arrêtera jamais. C’est une réalité avec laquelle je dois vivre.

Vous êtes une personne pudique, vous détestez vous mettre en scène…

– Cela me met mal à l’aise mais ce n’est pas la seule raison. Je veux consacrer mon temps à raconter des histoires. Mais je reconnais que cela peut être utile : en rendant publique la façon dont la liste des personnes surveillées m’a empoisonné la vie, j’aide d’autres gens dans la même situation.

Dans l’exposition que vous présentez actuellement au Whitney Museum, à New York (2), vous montrez un document classifié indiquant que vous êtes « silent hit » sur la liste des personnes surveillées. Qu’est-ce que cela signifie ?

– Cela veut juste dire que j’attire l’attention quand je passe la frontière, mais on ne m’arrête pas et on ne me fait pas subir d’interrogatoire. Avant, quand ils me stoppaient, j’étais selectee (listée). Un cran en dessous de l’interdiction d’embarquer dans un avion.

Propos recueillis par Philippe Boulet-Gercourt

(1) Apple refuse toujours de divulguer au FBI les données de l’iPhone d’un des terroristes impliqué dans l’attaque de San Bernadino, en Californie, par crainte que l’Etat ait ensuite accès aux données des mobiles.

(2) « Astro Noise », sur la surveillance de masse, au Whitney Museum of American Art, du 5 février au 1 mai 2016.

Mardi 22 mars à 22h50, sur Canal+. « Citizenfour ». Documentaire de Laura Poitras (2015).-En multidiffusion et A la demande-

« Boris Godounov » sur scène et au cinéma, en direct de Covent Garden

Le lourd rideau de velours rouge et or frappé du chiffre de la reine de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, le ER d’Elisabeth Regina, est retombé sur la mort du tsar Boris et l’arrivée du faux Dimitri au Kremlin de Moscou. Ramassée en un peu plus de deux heures, dressée en sept scènes d’une grande densité dramatique ici pensées sans nul entracte, la version originale de « Boris Godounov », achevée par Modeste Moussorgsky en 1869, fut bien évidemment rejetée par la direction des Théâtres Impériaux, à Saint- Pétersbourg. En 1874, ils ne consentirent à produire qu’une version plus conventionnelle de l’opéra, alourdie par l’acte dit « polonais » et l’ajout obligé d’une figure féminine, la princesse Marina.

A l’instar d’une tragédie grecque

C’est toutefois la version de 1869 qu’a reprise ici le Royal Opera House (ROH), à Londres. On la découvre avec bonheur sous la forme d’un drame puissant et dépouillé, à l’instar d’une tragédie grecque, s’appuyant sur des voix magnifiques, et soutenu par une mise en scène sobre, nerveuse, toute en images marquantes, qui forme un bloc de tension, de drame et de terreur, et où on a oublié tout le décorum, le faste doré des costumes à la russe, afin de se concentrer sur la seule musique et sur l’effroi, sur les remords du tsar régnant.

Cette mise-en-scène due à Richard Jones, dont la première vient d’être présentée à Londres le lundi 14 mars, le public européen peut s’en délecter une semaine plus tard, ce lundi 21 mars, dans de multiples salles de cinéma où « Boris Godounov » est retransmis en direct, en Europe du moins, depuis la salle du Royal Opera House, à Covent Garden.

Dans le monde entier

Cela fait six ans désormais que le Royal Opera House, le Théâtre royal de l’Opéra en français, diffuse certaines de ses productions lyriques ou chorégraphiques dans le monde entier par l’intermédiaire de salles de cinéma. Des retransmissions en direct dans une quarantaine de pays d’Europe, ce qui leur confère une acuité supplémentaire, en différé pour les Amériques, l’Asie et l’Australie.

(CATHERINE ASHMORE)

« Certes, la notoriété du ROH dans le monde ne nous obligerait pas à nous faire connaître davantage. Nos productions sont prises d’assaut, le taux d’occupation des salles est de 96% en moyenne », souligne Alex Beard, le directeur général du ROH. Mais c’est cette notoriété précisément qui nous a fait un devoir de diffuser nos ouvrages. C’est pour nous une tâche passionnée de présenter les plus belles de nos réalisation, des chefs d’œuvre du répertoire lyrique ou chorégraphique, à une très large audience. Mais c’est aussi un acte de justice envers tous les Britanniques qui contribuent au financement de l’Opéra via les subventions publiques, tout en ayant rarement l’opportunité de s’y rendre ».

Bryn Terfel, Antonio Papano, Richard Jones

Sur quels critères sont donc choisis les six opéras et les six spectacles de ballet qui cette saison sont retransmis dans une infinité de salles de cinéma ? « Dans le cas présent, celui de « Boris Godounov », reprend Alex Beard, c’est la conjugaison de plusieurs facteurs qui nous a déterminés : la prise de rôle de Bryn Terfel qui interprète le personnage de Boris Godounov pour la première fois ; la direction musicale d’Antonio Papano que nous considérons comme l’un des meilleurs chefs d’orchestre de ce temps ; le choix qui a été effectué de reprendre la version originale de l’ouvrage ainsi que la réalisation qu’en avait projeté Richard Jones et son équipe. »

Il poursuit : « D’autres fois, c’est avant tout la popularité d’un opéra ou d’un ballet, ainsi que la qualité de leur interprétation qui nous guident. Ou alors une production qui s’est révélée extraordinaire et que l’on a envie de montrer au plus grand nombre. Diffuser un spectacle devant un public qu’on peut qualifier d’universel contraint certes à présenter des ouvrages dont les titres parlent à tous. Mais cela ne nous empêche pas quelques « audaces ». Ainsi avons-nous diffusé « Gloriana » de Benjamin Britten ou « Aufstieg und Fall der Stadt Mahagonny » de Kurt Weill. »

730.000 spectateurs

On n’a pas de chiffres exacts quant à l’audience réunie dans le monde entier à l’occasion des transmissions de soirées du Royal Opera House, mais l’institution en annonce 730.000, un chiffre à comparer aux 740.000 spectateurs reçus en ses murs durant toute une saison, laquelle comprend quelque 520 représentations. Toutefois, on subodore leur impact par l’entremise des réseaux sociaux (250.000 « fans » sur Facebook, 187.000 sur Twitter et 51.000 sur Instagram) où le nombre de commentaires explose à chaque projection d’opéra ou de ballet. Et l’on ne compte pas les retransmissions télévisées sur la BBC ou sur des chaînes spécialisées comme Mezzo, qui diffuse régulièrement les ouvrages donnés à Covent Garden. Elles aussi multiplient les spectateurs.

« L’important, c’est de partager quelque chose d’exceptionnel avec le plus grand nombre », songe le directeur de ROH. « En Grande-Bretagne même, on sait combien l’univers de la musique s’est développé, ne serait qu’en fonction de l’explosion du nombre de concerts ou de la multiplicité des festivals créés sur le territoire. Les diffusions d’opéras et de ballets au cinéma participent à cet engouement. Et nous favorisons l’approche d’un nouveau public en offrant aux plus jeunes deux billets pour le prix d’un seul ».

Sans drame, point d’opéra

Lundi 21 mars, dès 20h15, le public français, belge ou suisse, va donc pouvoir découvrir « Boris Godounov » en direct de Covent Garden. Un opéra ayant pour héros un tsar dont la figure longtemps bien oubliée fut révélée aux Russes par l’historien Nicolas Karamzine dans son « Histoire générale de la Russie » publiée dès 1818. L’histoire d’un règne plein de mystères et de complots, intercalé entre ceux des deux grandes dynasties russes, les Riourkides et les Romanov, et dont Alexandre Pouchkine fit à son tour un sombre drame historique dont allait s’emparer Modeste Moussorgsky.

Car ce règne dit tout de la noirceur et de la barbarie qui sévirent durant des siècles en Russie, qui y sévissent encore d’ailleurs, même si celui de Boris Godounov fut infiniment plus pacifique que ceux de certains de ses prédécesseurs, à commencer par Ivan le Terrible. Aujourd’hui les historiens ne sont plus aussi sûrs que l’étaient Karamzine, Pouchkine ou Moussorgsky de l’assassinat, sur ordre de Boris Godounov, du tsarévitch Dimitri, alors que ce fils cadet d’Ivan le Terrible était l’héritier de son frère le tsar Féodor 1er, le dernier des Riourkides, et que Boris, frère de la tsarine Irina Godounova, épouse de Féodor1er, exerçait la régence au nom de son beau-frère infirme. Reclus au kremlin d’Ouglitch, sur les bords de la Volga, le jeune Dimitri, âgé de 9 ans, aurait pu se tuer lui-même avec son propre couteau au cours d’une crise d’épilepsie.

(CATHERINE ASHMORE)

Hanté par la vision du meurtre

Le chef d’oeuvre de Moussorgsky met ainsi en scène un autocrate tenaillé par le remord, hanté en permanence par la vision du meurtre de Dimitri et, plus tard, tourmenté par l’apparition d’un imposteur prétendant être ce même Dimitri miraculeusement réchappé de son assassinat. Halluciné, ravagé par le sang versé, Boris Godounov meurt brutalement en laissant la couronne à son jeune fils, le tsarévitch Féodor, alors que les troupes du faux Dimitri approchent de Moscou.

Dans la réalité historique, cette mort subite surviendra en avril 1605 (on parla de suicide ou d’empoisonnement du tsar) et le fils de Boris Godounov, Féodor II, monté sur le trône dans la confusion et les complots, sera assassiné avec sa mère, deux mois plus tard, à l’âge de 16 ans. Quant à l’usurpateur, à Grégori Otrepiev, le faux Dimitri, il sera exécuté l’année suivante par les boyards après un règne aussi faux que sa naissance.

Une distribution magnifique

Pour servir cette tragédie, la distribution est magnifique, évidemment dominée par la basse Bryn Terfel, lointain successeur du légendaire Chaliapine qui fit découvrir « Boris Godounov » aux Parisiens en 1908. Sous l’égide du metteur en scène, excellent directeur d’acteurs, Bryn Terfel a composé un personnage infiniment plus humain, plus douloureux que bien des Boris que l’on entend dans la version réécrite par Rimsky-Korsakov

Soutenu par une voix puissante, mais infiniment modulée par des sentiments contradictoires, le jeu de Bryn Terfel confère donc à son personnage un quelque chose de pathétique et de déchirant qui fait de lui un Boris exceptionnel. Mais il n’est pas seul dans l’aventure. Si tous les artistes distribués sont de grande qualité (la tsarevna Xénia, de Vlada Borovko, ou le tsarévitch Féodor, son frère, de Ben Knight par exemple), les figures du moine Pimène, chanté superbement par Ain Anger, celle de Varlaam qu’interprète un John Tomlison haut en couleur, celle de Grégori Otrepiev, le faux Dimitri, assumée par David Butt Philip, sont particulièrement remarquables.

Moins présent vocalement, le prince Chouisky de John Gramam-Hall est en revanche saisissant sur le plan théâtral, terriblement inquiétant. A leurs côtés, l’autre grand personnage de l’opéra, le peuple russe (« the russian populace » énonce joliment le programme), est magistralement servi par les chœurs du Royal Opera House que mène Renato Balsadonna.

Aidé par le « movement director » Ben Wright, lequel a insufflé un élan magnifique à certaines scènes de foule, Richard Jones a donc opté pour une mise en scène sobre, dépourvue de tout faste, et les costumes de Nicky Gillibrand épousent parfaitement ce parti pris. Tant pis pour ceux qui aiment à voir, dans « Boris Godounov », ces débauches de splendeur reconstituée du clergé orthodoxe et de la cour des tsars qu’on a coutume d’admirer. Seul bémol, les décors. Ils sont uniformément laids et ternes, même s’ils permettent au drame, et c’est un plus, de se dérouler sur deux différents niveaux.

La direction musicale d’Antonio Papano, à la tête de l’Orchestre du Royal Opera House est tout simplement magnifique. Toute en nuances, en poésie, en tension dramatique intense, elle confère à cette version épurée de « Boris Godounov » sa juste grandeur.

Raphaël de Gubernatis

« Boris Godounov », nouvelle production du Royal Opera House de Londres. Ce lundi 21 mars à 20h15 dans de nombreux cinémas en France.

Législatives partielles: les Républicains remportent trois scrutins

Deux candidats des Républicains ont été élus dimanche députés face à des adversaires FN dans le Nord et dans l’Aisne sur fond de forte abstention et d’élimination de la gauche au premier tour.

Dans le Nord, le candidat Les Républicains de la 10e circonscription, Vincent Ledoux, 49 ans, a obtenu 67,92% des voix, contre 32,08% pour la candidate du Front national Virginie Rosez, lors d’un scrutin où la participation n’a atteint que 22,00% (21,7% au premier tour).

Au premier tour, Vincent Ledoux, maire de Roncq et vice-président de la Métropole Européenne de Lille, avait obtenu 46,84% des suffrages et se trouvait en ballottage face à la candidate frontiste (25,22%).

Le candidat socialiste Alain Mezrag se plaçait en troisième position avec 11,24% des voix. Venaient ensuite les candidats EELV (5,90%), PCF (5,10%), LO (2,96%), DVD (1,49%) et MRC (1,24%).

M. Ledoux remplacera à l’Assemblée nationale le maire de Tourcoing Gérald Darmanin (LR) qui a démissionné de son mandat de député en janvier pour cause de cumul des mandats, préférant entrer dans l’exécutif régional au côté de Xavier Bertrand, dont il est l’un des vice-présidents.

Après la défaite du PS au premier tour, la fédération PS du Nord avait appelé explicitement les électeurs «à faire barrage au Front National en votant pour le candidat de droite Vincent Ledoux».

Dans l’Aisne, le candidat du parti Les Républicains Julien Dive a été élu député avec 61,14% des voix contre 38,86% pour Sylvie Saillard-Meunier (FN) lors d’un scrutin où la participation a atteint 34,25%, selon les résultats de la préfecture.

Il succédera à l’Assemblée nationale à Xavier Bertrand qui a démissionné de son mandat de député pour se consacrer à la région Nord-Pas-de-Calais/Picardie après son élection à la présidence de l’assemblée régionale.

Par ailleurs, dans la deuxième circonscription des Yvelines, le candidat du parti Les Républicains Pascal Thévenot a largement remporté l’élection législative partielle qui l’opposait au second tour au candidat socialiste Tristan Jacques.

Soutenu par l’UDI et le Modem, M. Thévenot a obtenu 72,25% des suffrages, contre 27,75% pour son adversaire, dans un scrutin à faible participation (26,12%).

Le maire de Vélizy-Villacoublay succède ainsi à Valérie Pécresse, qui a démissionné de son siège à l’Assemblée nationale après son élection à la tête de la région Ile-de-France.

Il avait obtenu 46,05% des voix au premier tour, devançant déjà largement Tristan Jacques (12,98%), un candidat «Yvelines pour tous» -émanation de la Manif pour tous- (9,56%) et le FN, éliminé après avoir récolté 9,38% des voix.

Dans cette circonscription fidèle à la droite, Valérie Pécresse avait été réélue en 2012 avec près de 59% des voix devant le socialiste Jacques Lollioz.

AFP

Procès Kerviel, écoutes de Sarkozy, déficit public… l’agenda de la semaine à venir

Lundi

Révision. Jérôme Kerviel peut-il espérer un nouveau procès pénal, près de huit ans après l’un des plus grands scandales de la finance mondiale ? La commission d’instruction de la Cour de révision se prononce sur la demande de révision présentée par l’ex-trader de Société Générale. Elle devra dire si les révélations du mois de janvier sur les doutes exprimés par une magistrate sur l’enquête constituent un fait nouveau justifiant un nouveau procès.

Hommage. Quatre ans après les attentats de Mohamed Merah, le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, préside à Toulouse une soirée d’hommage aux sept victimes des tueries de mars 2012, alors que se profile la perspective d’un procès aux assises. La cérémonie, à l’initiative du Cfri et de la mairie, s’annonce plus prospective que les années précédentes, avec un débat sur les dangers de la radicalisation et de tous les extrémismes contemporains, en présence de proches des victimes mais aussi de la famille de Bernard Maris, l’économiste toulousain tué dans l’attentat de Charlie Hebdo en janvier 2015.


Mardi

Révision constitutionnelle. Le Sénat, où la droite est majoritaire, vote le projet de révision constitutionnelle voulue par François Hollande après les attentats de novembre, mais en réservant la déchéance de nationalité aux binationaux, contrairement à l’Assemblée, ce qui compromet grandement l’adoption de cette mesure par le Parlement réuni en congrès à Versailles. Il a en revanche adopté la constitutionnalisation de l’état d’urgence.

Football. Sept supporteurs du SC Bastia, club de Ligue 1 de football, comparaissent mardi devant le tribunal correctionnel de Reims. Ils sont accusés d’avoir harcelé des policiers à l’occasion d’un match à Reims le 13 février. Un fan avait perdu un œil lors d’une course-poursuite avec la police, suscitant une vague de colère sur l’île.

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Le président de l'UMP, Nicolas Sarkozy, lors d'un discours en mars 2015.

Nicolas Sarkozy en mars 2015. Photo AFP

Bismuth. Mis en examen pour corruption et trafic d’influence pour avoir, grâce à un haut magistrat, voulu percer le secret d’une procédure, Nicolas Sarkozy a contesté la légalité d’écoutes téléphoniques. La Cour de cassation se prononce mardi.

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Mercredi

Jihad. Délibéré au procès de quatre jeunes Français jugés en février pour avoir tenté de gagner les terres du jihad en Syrie en janvier 2015, quelques jours après les attentats contre l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo et le magasin Hyper Cacher. Des peines de 5 ans de prison ont été requises contre les trois hommes et de deux ans contre la seule femme du groupe, tous étant poursuivis pour association de malfaiteurs en vue de la préparation d’actes de terrorisme.

Cinéma. Sortie d’un nouveau film-monstre à base de super-héros, cette fois dans l’univers de DC Comics (le concurrent historique de Marvel) : Batman vs Superman, réalisé par Zack Snyder, avec Ben Affleck dans le rôle du justicier de Gotham, et Henry Cavill dans celui qui n’est ni un oiseau, ni un avion. Peut-être qu’on préférera plutôt se replonger dans le Batman kitch des années 60, dont la série est opportunément ressortie remasterisée.

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Jeudi

Loi El Khomri. Le projet de loi réformant le droit du travail est présenté en conseil des ministres, deux semaines plus tard qu’initialement prévu. A la suite de manifestations ayant réuni entre 225 000 et 500 000 personnes le 9 mars, le gouvernement a apporté des modifications au texte (par exemple sur le barème d’indemnisation prud’homal), mais sans le modifier profondément. La contestation reste donc vive et la jeunesse s’est à nouveau donné rendez-vous dans la rue jeudi, avant une journée de grèves et de manifestations plus large le 31 mars.

Germanwings. Plusieurs centaines de proches des victimes de la catastrophe sont attendus au Vernet (Alpes-de-Haute-Provence) jeudi, un an jour pour jour après le crash de l’A320 de Germanwings. Le 24 mars 2015, Andreas Lubitz, le copilote de l’appareil qui reliait Barcelone à Düsseldorf, avait volontairement précipité l’avion sur les montagnes, tuant 149 personnes avec lui.

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Chômage. Les chiffres du nombre de demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi en février, publiés jeudi, permettront de dire si les bons résultats de janvier (-28 000) étaient une simple anomalie statistique ou marquaient le début d’une réelle baisse, après plusieurs mois de stabilisation. Les prévisions de l’Insee publiées le 17 mars constituent un indice encourageant, puisque l’institut s’attend à voir le taux de chômage repasser sous les 10% en métropole au premier semestre.

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 Vendredi

Déficit. L’objectif sera au moins partiellement atteint pour le gouvernement. Le déficit public de la France pour 2015 publié par l’Insee devrait en effet être inférieur aux 3,8% du PIB visés par l’exécutif. Si le ministre des Finances, Michel Sapin, avait vendu la mèche début mars en se réjouissant, il n’avait en revanche pas donné d’indication sur la dette publique, dont le niveau sera aussi dévoilé. L’objectif gouvernemental est de 96,3% du PIB. Or, au troisième trimestre, nous étions à 96,9%.

Football. Une semaine après les révélations de Libération sur une nouvelle affaire Benzema, l’équipe de France masculine de football affronte celle des Pays-Bas à Amsterdam, dans un match amical préparatoire à l’Euro 2016.

Samedi-Dimanche

L’heure c’est l’heure. Vous passerez peut-être une agréable soirée ce samedi 26 mars, si agréable qu’elle se prolongera jusqu’à la nuit du dimanche 27, et puis à un moment vous regarderez votre téléphone, pensant qu’il doit être environ 2 heures du matin, et oh ! Surprise ! Soudain il sera 3 heures. Car on sera passé à l’heure d’été – c’est celle où l’on «perd une heure». Bonne chance à toutes et à tous dans cette douloureuse épreuve.

LIBERATION (avec AFP)

« Le pouvoir des délégués », le nouvel épisode des « Cahiers d’Esther »

Elle s’appelle Esther, a maintenant 11 ans, a un grand frère nommé Antoine (« un con ») et se rend tous les matins dans une école privée parce que son père ne veut pas la mettre dans le public (trop dangereux). Voilà un an et demi que la fillette mise en scène par Riad Sattouf, dessinateur adulé pour sa série « L’Arabe du futur », a pris place à la dernière page de « l’Obs ». Le premier tome de ses aventures, « Les Cahiers d’Esther »(1), est maintenant disponible en librairie.

Il est presque certain que les sociologues des années 2050 se pencheront sur « Les Cahiers d’Esther », et pour cause : si Riad Sattouf brouille les pistes pour qu’elle ne soit pas reconnaissable, Esther existe dans la vraie vie ! C’est une écolière parisienne de 11 ans, fille d’un couple d’amis, qu’il soumet presque chaque semaine à un petit interrogatoire dont, ensuite, il fait son miel. Si la vraie Esther ne porte pas ce prénom et n’habite pas dans le 17e arrondissement, tout ce qu’elle raconte est d’une justesse indiscutable.

« Tout est presque vrai » : rencontre avec Esther, l’héroïne de Riad Sattouf

Arnaud Gonzague

(1) « Les Cahiers d’Esther. Histoires de mes 10 ans », de Riad Sattouf (Allary Editions, janvier 2016, 16,90 euros).

De promeneuse de chiens à grande tragédienne, 10 choses à savoir sur Dominique Blanc

L’actrice est devenue ce samedi 19 mars pensionnaire de la Comédie-Française. Elle y fera ses grands débuts, le 7 mai prochain, dans « Britannicus ».

1Virage

A peine Eric Ruf entrait-il dans ses fonctions d’administrateur général de la Comédie-Française qu’il proposait à Dominique Blanc de l’y rejoindre. Ce qu’elle a accepté. Belle prise ! Elle fera officiellement partie de la maison le 19 mars.

2Motivations

Pourquoi, en pleine gloire, déjà récompensée par quatre césars et deux molières, s’intégrer dans cette troupe ? Pour trois raisons. Primo : sa confiance en Eric Ruf, jadis son partenaire dans l’inoubliable « Phèdre », de Racine, monté par Patrice Chéreau. « Une belle figure d’homme. J’aime le comédien, le metteur en scène et le scénographe. » Secundo : « La Comédie-Française est une école d’excellence. » Tertio : « On y met à l’affiche de grands textes. »

Eric Ruf, 45 ans, prend la tête de la Comédie-Française

3Auteurs

Quels rôles lui a-t-on fait miroiter pour l’appâter ? On ne lui a rien promis d’autre que celui d’Agrippine, assure-t-elle. En ajoutant qu’elle ne fantasme jamais sur des personnages mais qu’elle a envie de jouer certains auteurs. Anton Tchekhov ou Bernard-Marie Koltès, par exemple.

4Femmes puissantes

Ce qui l’a attirée dans la mère de Néron ? « On dirait qu’un cycle a commencé pour moi : les femmes de pouvoir. Je viens de jouer Merteuil dans l’adaptation des ‘Liaisons dangereuses’, de Choderlos de Laclos, réalisée par Christine Letailleur. » Elle précise :

« Jusqu’ici, j’étais cantonnée aux victimes et voilà que j’aborde les perverses narcissiques ! »

5CDD

La comédienne est liée pour deux ans à la Comédie-Française, par son contrat de pensionnaire. « Ça permet de savoir si on y est bien ou pas. » Sa carrière de cinéma ne va-t-elle pas en pâtir ? « On verra bien si Eric me laisse tourner… »

Avec Benoît Poelvoorde dans « l’Autre Dumas », de Safy Nebbou. (UGC Distribution)

6Vocation

Cette Lyonnaise, fille d’un gynéco-accoucheur et d’une infirmière, est la seule de leurs cinq enfants à avoir attrapé le virus du théâtre. Imaginez leur consternation quand, à 20 ans, cette matheuse a quitté l’école d’architecture pour intégrer le Cours Florent à Paris. Et même pas fichue d’entrer à l’école de la rue Blanche ou au Conservatoire national d’Art dramatique, où elle s’est présentée à trois reprises !

7Petits boulots

Pour survivre, elle a enchaîné les jobs d’étudiant : femme de ménage, garde d’enfants, promeneuse de chiens, femme de service dans un hôpital, placière d’assurances par téléphone, habilleuse de défilés de mode pour Sonia Rykiel ou Guy Laroche. Le plus insolite : modèle pour un peintre japonais qui se prenait pour Renoir…

8Chéreau

C’est Patrice Chéreau qui lui a mis le pied à l’étrier. Admise dans la classe libre du Cours Florent, elle participait à un spectacle Tchekhov monté par Pierre Romans. Patrice Chéreau y assiste, la remarque et lui propose de jouer dans « Peer Gynt », d’Ibsen, en 1981. Aujourd’hui encore, elle conserve pieusement le message alors laissé sur son répondeur.

Avec Patrice Chéreau, au 51e Festival de Cannes en 1998, lors de la présentation du film « Ceux qui m’aiment prendront le train », pour lequel elle obtiendra le César du meilleur second rôle. (Guespin/SIPA)

9Succès

Le vrai démarrage de sa carrière théâtrale fut, en 1987, le rôle de Suzanne dans « le Mariage de Figaro », de Beaumarchais, dans la version de Jean-Pierre Vincent. Autres points forts, le film de Régis Wargnier, « la Femme de ma vie » (1986), et le téléfilm de Nina Companeez, « l’Allée du roi » (1995), d’après le roman de Françoise Chandernagor, où elle incarnait Mme de Maintenon.

10Vie privée

A 59 ans, elle se livre chaque matin à la méditation pour lutter contre le stress, suivant les préceptes, non pas d’un gourou, mais d’une neurologue de la Salpêtrière. Elle pratique la sieste. Elle réussit à merveille l’osso-buco. Elle a été intronisée dans la Confrérie des Chevaliers du Tastevin. Elle ne voyage jamais sans sa « mousseline » (le volume broché, mais pas encore relié) des œuvres complètes de René Char dans La Pléiade, cadeau de Marie-Claude Char. Elle vit en dehors de Paris, s’est mise au jardinage et adore trifouiller la terre. Elle a deux grandes filles, un beau-fils, une belle-petite-fille qui répond au doux nom de Paloma, plus une chatte couleur écaille de tortue qui s’appelle Mascara et a un sale caractère.

Jacques Nerson

Egypte: 13 policiers tués dans une attaque revendiquée par l’EI dans le Sinaï

Treize policiers égyptiens ont été tués samedi dans une attaque menée contre un point de contrôle de la péninsule du Sinaï, a indiqué un communiqué du ministère de l’Intérieur parlant d’une attaque au mortier.

Elle a été revendiquée par le groupe jihadiste Etat islamique (EI), selon qui un kamikaze s’est fait exploser à bord d’une voiture au poste de contrôle, qui a ensuite été attaqué par les jihadistes.

Il s’agit de l’attaque la plus meurtrière depuis plusieurs mois dans le Sinaï, où la branche égyptienne du groupe jihadiste mène quasi-quotidiennement des attentats contre la police et l’armée.

Le ministère de l’Intérieur a précisé que l’attaque a eu lieu à un poste de contrôle près d’Al-Arich, chef-lieu de la province du Nord-Sinaï.

«Un obus de mortier a été tiré sur le point de contrôle de Safa (…) tuant 13 policiers», a indiqué le ministère.

L’EI a pour sa part affirmé qu’un kamikaze, présenté sous le nom de guerre «Abou al-Qaaqaa l’Egyptien», a fait exploser une voiture piégée au barrage.

«Le poste de contrôle a par la suite été pris d’assaut», a-t-il ajouté dans un communiqué publié sur internet.

AFP

L’Angleterre décroche son Grand Chelem face à la France

Si ce France-Angleterre ne pouvait pas décider du vainqueur du Tournoi des six nations – les Anglais étaient sûrs de finir premier depuis une semaine -, il devait permettre de savoir si cette première campagne tricolore de l’ère Novès basculait d’emblée du côté obscur, après deux victoires et deux défaites.

Après avoir été menés assez tôt dans le match, la France a entretenu l’espoir pendant une bonne partie de la rencontre, en revenant régulièrement à portée des Blancs. Elle s’incline finalement 21-31 au Stade de France, laissant le XV de la Rose décrocher son 13e Grand Chelem, le premier depuis treize ans.  

Les Anglais ont inscrit trois essais par Care, Cole et Watson. Tous les points français ont été inscrits sur pénalités par Machenaud, qui a réalisé un sans faute au pied.

L’Angleterre triomphe ainsi dans le Tournoi, quelques mois après avoir quitté prématurément la Coupe du monde organisée chez elle.

La France termine à la cinquième place, dans la lignée des mauvais résultats obtenus les quatre saisons précédente dans cette compétition européenne sous la direction de Philippe Saint-André. Elle n’a plus remporté la compétition depuis 2010. 

Dans les autres matchs ce samedi, le pays de Galles a écrasé l’Italie 67-14 et l’Irlande a dominé l’Ecosse 35-25.

 

LIBERATION

Kendrick Lamar, Iggy Pop, Pete Astor… La sélection musicale de la semaine

Le choix de « l’Obs »

♥♥♥♥ « Untitled Unmastered« , par Kendrick Lamar (Interscope).

Ce disque de huit titres que Kendrick Lamar a sorti sur internet sans prévenir personne est composé de chutes de studio, de morceaux enregistrés ces deux dernières années que Lamar n’a pas pu sortir sur son dernier album, « To Pimp a Butterfly », soit parce qu’ils n’avaient pas été finalisés à temps, soit parce qu’il n’avait pas obtenu d’autorisations pour les samples utilisés. Pour autant, il ne faudrait pas voir « Untitled Unmastered » comme un disque mineur, un bootleg sauvé des eaux ou un simple interlude. Au contraire : c’est peut-être le disque le plus abouti du jeune rappeur de Los Angeles. Ces huit morceaux confirment qu’à 28 ans il est un des artistes les plus doués et les plus intéressants de sa génération.

Lamar ne se contente pas, comme beaucoup de rappeurs, de commander une poignée d’instrumentaux et de poser sa voix dessus, formule qui a pourtant produit d’excellents disques. Il construit des objets sonores complexes, mouvants, presque encyclopédiques : s’y versent les apports du jazz côte Ouest, de la soul, du gangsta rap ­californien, du hip-hop savant des années 2000 à la Madlib, et même de la musique contemporaine. Il s’entoure des meilleurs musiciens que l’on puisse trouver à Los Angeles, comme le saxophoniste et producteur Terrace Martin. On le sent planer au-dessus du grand foutoir collaboratif qui préside ordinairement à la fabrication d’un album de rap, et diriger ses invités comme un chef d’orchestre.

Sur « Untitled », Lamar radicalise son chant et utilise sa voix rauque et juvénile comme il ne l’avait jamais fait auparavant. Son rap capricieux et hyper-rythmé vire parfois à la transe, au cri et au sanglot, sans tomber dans le cabotinage. Dans « Untitled 07 », on l’entend travailler : sur une boucle de guitare minimale, entouré de son équipe qui rigole et commente, il improvise, construit ses ritournelles petit à petit, et ce qui pourrait n’être qu’un document sonore pour ses fans devient un vrai morceau. « Untitled Unmastered », quelque part entre l’album et le brouillon, entre le live et la session de studio, nous donne à voir un petit génie au travail.

Les autres sorties

♥♥ « Never Mind the Future« , par Sarah Murcia (Ayler Records).

JAZZ PUNK. En 1977, quatre voyous londoniens cassaient la baraque en massacrant « My Way » et « God Save the Queen ». Près de quarante ans plus tard, voilà les arroseurs arrosés : Sarah Murcia, anarchiste contrebassiste de jazz, joue avec le « Never Mind the Bollocks » des Sex Pistols comme avec un tas de pâte à modeler. Entourée par d’excellents musiciens, elle pastiche le gros grain de Steve Jones, calme le jeu là où on ne s’y attend pas, injecte des solos de saxo bien tordus, invite Benoît Delbecq à plaquer d’étranges accords sur son piano. Il était temps de maquer l’héritage de Johnny Rotten avec celui d’Albert Ayler. CQFD avec ce disque dadaïste. God save the punk.

♥♥♥ « Spilt Milk« , par Pete Astor (Fortuna Pop/Differ-ant).

ROCK. Une chanson avec des « sha la la » peut-elle être bonne ? On répond par l’affirmative quand il s’agit de « Brown Eyed Girl » (Van Morrison), de « Sha La La La Lee » (Small Faces), de « Mermaids » (Paul Weller). Et aussi quand il s’agit de « Mr Music », un des titres du nouvel album de Pete Astor.

Aujourd’hui maître de conférences à l’université de Westminster, il a décidé de reprendre sa guitare et son songwriting acéré trente-cinq ans après son premier groupe, The Loft. On voyait alors en lui le prochain Dylan. Désormais, avec l’aide de James Hoare d’Ultimate Painting pour la partie musicale, il tire des bords du côté du Velvet Underground, l’esprit de Lou Reed venant hanter ce disque de perles de velours. C’est à croire que les fantômes existent.

♥♥ « Tout Satie ! The Complete Edition« , par Erik Satie (10 CD Erato).

CLASSIQUE. Erik Satie n’est peut-être pas le meilleur compositeur français, mais il demeure un des plus importants historiquement. Ne serait-ce que par l’élaboration d’un arte povera tout à fait nouveau, et par l’influence qu’il a exercée sur Debussy, ou John Cage et ses suiveurs. Au milieu de pièces dont les enregistrements viennent du catalogue ancien, on trouve des joyaux comme « Socrate » ou la « Messe des pauvres ». C’est-à-dire des œuvres volontairement anémiques, où ne subsistent plus que l’os et le nerf de la musique.

Rock

♥♥ « Post Pop Depression« , par Iggy Pop (Caroline International).

Sexagénaire au torse sempiternellement nu, le vieil exhibitionniste de Detroit, le vétuste Nijinski qui aime à montrer son kiki revient avec un nouvel album qu’il a enregistré avec Josh Homme, guitariste des Queens of the Stone Age et membre intermittent des Eagles of Death Metal (il n’était pas sur scène au Bataclan le 13 novembre), mais aussi Matt Helders, le batteur des Arctic Monkeys. Est-ce par coquetterie ou par ruse commerciale ?

A 68 ans, l’ancien chanteur des Stooges, le rocker crooner au baryton interlope, a dit que ce disque serait peut-être son dernier, car il n’a plus « l’énergie » d’antan. (Iggy) Pop dépression ? La bonne nouvelle, déjà, c’est que Pop ne se donne plus le ridicule de massacrer « les Feuilles mortes » ou « la Javanaise ». Autre bonne surprise : on s’accorde à reconnaître que les deux meilleurs disques solo de l’Américain sont ceux que David Bowie a produits et, en partie, composés pour lui, à la fin des années 1970 : « The Idiot » et « Lust for Life » : on retrouve sur certains titres l’esprit génialement souillon de cette période avec sa basse grasse (« Gardenia », et dans une moindre mesure, « Break Into Your Heart » qui ouvre l’album).

Eagles of Death Metal à l’Olympia : deux heures de show total

Le plat de résistance, ici, c’est « Sunday » : attraction dansante et bringuebalante de six minutes, avec ses riffs vicieux, ses chœurs fantomatiques ou bubble gum, et son final orchestral un peu kitsch en forme de BO cinématographique. Le reste de l’album est bien foutu mais plus convenu. Sur le dernier morceau, Iggy Pop ou son personnage annonce qu’il s’en va vivre au « Paraguay » sans qu’on sache trop si c’est un heureux retraité qui parle, un misanthrope technophobe ou un vénérable nazi en cavale.

David Caviglioli, Grégoire Leménager, Frantz Hoëz, Jacques Drillon et Fabrice Pliskin

Qu’y a-t-il derrière #VendrediLecture? Rencontre au Salon du Livre

Les livres sont à la page, ils ont aussi leur hashtag. Chaque vendredi, #VendrediLecture fait partie des Trending Topics, les sujets les plus discutés sur Twitter. 1800 internautes de France et de Navarre se retrouvent sur les réseaux sociaux pour partager leur lecture du moment et commenter l’actualité littéraire.

Des bloggeurs, lecteurs avertis ou occasionnels, des bibliothèques, journaux, le Musée du Louvre, l’Opéra de Paris ou encore l’Education nationale, tout le monde peut partager un livre, une actualité, une remarque, une blague, une photo en rapport avec les livres.

Une #VendrediLecture, ça use, ça use.

Une #VendrediLecture, ça use l’inculture.

— VendrediLecture (@VendrediLecture) 17 mars 2016

#VendrediLecture se définit comme «le premier événement littéraire sur les réseaux sociaux», lit-on sur leur site internet. Confondu au départ avec les blogs littéraires, c’est avant tout «un lieu de partage, de discussion, mais pas un club de lecture. On ne veut surtout pas donner un avis, critiquer un livre, on veut que les gens discutent entre eux», explique Nathalie, présidente de l’association. L’idée, dans ce foisonnement de livres, c’est que les internautes regardent ce que les autres lisent, et le lisent à leur tour.

Le #VendrediLecture français est né en 2011. Il a été créé par deux bloggeuses qui participaient au #FridayReads américain. Le premier jour où elles lancent le hashtag français, plus de quarante personnes y participent. Désemparées par l’ampleur de l’événement, elles lancent un appel sur Facebook et recrutent quinze membres bénévoles de 20 à 60 ans. En 2013, une association de loi 1901 est créée pour pouvoir faire des partenariats avec des maisons d’édition telles que le Livre de poche, 10/18 ou Michel Lafon, qui envoient chaque semaine cinq à sept livres redistribués par tirage au sort à tous les participants de #VendrediLecture.

La présidente Nathalie, marseillaise de 35 ans, est venue au Salon du Livre pour rencontrer ses coéquipiers de #VendrediLecture, qui sont répartis dans toute la France, de Paris à Lyon, en passant par Albi, et même à l’étranger avec trois membres québécois. Pour gagner sa vie, Nathalie fait des compte-rendus de réunions pour des entreprises, mais le vendredi la bénévole met sa casquette #VendrediLecture et recense tous les participations, anime les comptes Facebook et Twitter, répond aux questions en tout genre des twitto-lecteurs. Nathalie n’a aucune formation littéraire ni de community management. «Je fais tout au feeling», avoue-t-elle. Et ça marche plutôt bien. Plus de 14.700 «j’aime» sur Facebook, et 18.560 followers pour #VendrediLecture sur Twitter.

Qui sont les #VendrediLecteurs ?

Les écrivains sont «plutôt frileux» lorsqu’il s’agit d’utiliser #VendrediLecture, explique Nathalie. Seuls Sire Cedric, Edouard Louis et Maxime Chattam utilisent quelquefois le hashtag dans leurs tweets.

Parmi les lecteurs, on compte une majorité de Français, mais aussi des Suisses, des Belges, des Québécois et des Français habitant à l’étranger, notamment au Japon et en Finlande.

Que lisent-ils ? Principalement des romans qui sont dans l’actualité, ainsi que des BD et mangas. En tête : Stephen King, «le Trône de fer» de George R. R. Martin, et Delphine de Vigan lors de la parution de son dernier roman «D’après une histoire vraie». Les prix Goncourt génèrent également beaucoup de tweets ainsi que les rentrées littéraires, les adaptations de films, et les décès d’écrivains célèbres.

Il est rare qu’un tweet déclenche un buzz considérable. Une exception tout de même : cet été, quand Nicolas Sarkozy a tweeté une photo de lui lisant Hemingway: «Un bon livre pour l’été, l’idéal pour se reposer et se ressourcer. Bon vendredi à tous ! NS #VendrediLecture». Le tweet a été moqué, repris et détourné, faisant au passage une bonne pub à #VendrediLecture.

#VendrediLecture affiche un certain éclectisme. «On varie les tons, des recettes de cuisine aux blagues en passant par la littérature classique et l’actualité littéraire, le but est de ne pas trop se prendre au sérieux», explique Nathalie qui évoque un «complexe de la lecture» chez les Français, lié à un certain snobisme. Elle constate que beaucoup d’internautes lui envoient des messages concernant leurs lectures, ne se sentant pas légitimes d’évaluer un livre ou complexés par leurs choix. «Mon rôle est de calmer ceux qui sont trop sûr d’eux et se considèrent comme l’élite, et de rassurer ceux qui ont des complexes», développe la présidente.

Avec leurs slogans, «VendrediLecture c’est TOUTES vos lectures» ou «Mettez de la confiture dans votre culture», l’association veut rassembler ceux qui ne se seraient jamais rencontrés sans avoir lu le même livre. «Ce qui marche, c’est qu’on est très nombreux et très différents, indique Nathalie. Les gens qui lisent la même chose à la même heure se croisent sur la toile alors qu’ils sont parfois dans des mondes totalement opposés.»

#VendrediLecture a d’ailleurs la cote, au sens propre du terme. Il est très utilisé par les community managers, surtout dans les bibliothèques qui conseillent un ouvrage sur Twitter avec la cote du livre.

#SloanWilson décrit la société américaine des années 50 à travers Tom, « L’homme au complet gris » (cote 813.5 WIL Sh) #VendrediLecture

— BU Droit-Lettres (@DijonBUDL) 11 mars 2016

Une fois par mois, VendrediLecture lance son club de lecture 2.0 sur Facebook. A bientôt 37 ans, Virginy la vice-présidente qui vient du Sud-Ouest près d’Albi, anime une fois par mois le #ClubVL sur Facebook. «On est loin de la jeune bloggeuse parisienne de 20 ans, pas vrai?», s’amuse celle qui propose tous les mois des thèmes avec une liste de lecture. Les gens discutent à l’intérieur d’un «événement Facebook». Sur Twitter, l’exercice est plus complexe à cause de la limite des 140 caractères, ce qui n’empêche pas quelques lecteurs de faire une critique express en utilisant le hashtag #ClubVL.

À chaque #vendredilecture j’aurais envie de recommander Internet… c’est quand même le livre imagier et animé le plus grandiose jamais écrit.

— Zéphyrin Touristryon (@Zestryon) 18 mars 2016

Pas de polémique, un retour sur le fil d’actu toutes les semaines, un mot clef accueillant, et à l’arrivée une bonne crédibilité, #VendrediLecture est cité comme modèle par Twitter France. Il a aussi inspiré le hashtag #MardiMusique, qui s’est évidemment inspiré de sa réussite. «Le hashtag n’appartient à personne, n’importe qui peut se l’approprier, c’est ce qui fait sa force», conclut l’actuelle présidente qui donnera les clefs à un autre membre l’année prochaine.

Au Salon du Livre de Paris, tout le week-end, Nathalie va chercher des partenariats avec des éditeurs, distribuer les marques-pages de #VendrediLecture, et surtout tweeter.

Virginie Cresci

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