Auteur/autrice : admin

Pakistan: au moins 72 morts dans un attentat-suicide à Lahore

Au moins 72 personnes sont mortes dans un attentat-suicide dimanche soir près d’un parc bondé de Lahore, grande ville de l’est du Pakistan, où des chrétiens célébraient les fêtes de Pâques. 

L’attentat a été revendiqué par les talibans pakistanais, qui ont déclaré avoir visé spécifiquement la communauté chrétienne. Mais selon l’inspecteur de police adjoint Haider Ashraf, la majorité des victimes sont musulmanes.

Le bilan s’établissait tôt lundi matin à 72 morts, a-t-il dit à l’AFP. Selon un responsable des services de secours, 29 enfants ont été tués, ainsi que 7 femmes et 36 hommes.

Le puissant chef d’état-major, le général Raheel Sharif, a indiqué avoir présidé une réunion de haut niveau afin de coordonner la réponse à cet «attentat-suicide» et «d’amener devant la justice les assassins de nos frères, soeurs et enfants». 

«Nous avons perpétré l’attentat de Lahore car les chrétiens sont notre cible», a déclaré à l’AFP par téléphone Ehsanullah Ehsan, le porte-parole du Jamaat-ul-Ahrar, une faction des talibans. 

«Nous commettrons d’autres attentats de ce type à l’avenir», a-t-il ajouté. «Les infrastructures de l’armée et du gouvernement pakistanais, les écoles et les universités figurent aussi parmi nos cibles», a-t-il dit. Il s’agit de l’attentat le plus meurtrier commis cette année au Pakistan. 

«Explosifs très puissants»

La déflagration s’est produite dans un parking près du parc Gulshan-e-Iqbal, proche du centre-ville. «C’était une explosion très forte et des explosifs très puissants ont été utilisés», a indiqué à l’AFP un responsable de police, Haider Ashraf. 

«Le parc était bondé», a-t-il ajouté, soulignant que des billes métalliques ont été retrouvées sur place.

Un médecin a décrit des scènes d’horreur à l’hôpital Jinnah où il opère. «Nous les soignons (les blessés) par terre et dans les couloirs, et il continue d’en arriver», a-t-il ajouté.

Le Premier ministre Nawaz Sharif a condamné cet attentat, et a reçu un appel de son homologue indien Narendra Modi exprimant sa sympathie. La Maison Blanche a également condamné un «effroyable acte terroriste».

La jeune lauréate pakistanaise du prix Nobel de la paix Malala Yousafzaï s’est dite «accablée par cette tuerie dénuée de sens». Un deuil de trois jours a été décrété dans la province du Pundjab, dont Lahore est la capitale.

«Des cris et de la pousièe partout»

Le parc Gulshan-e-Iqbal était particulièrement bondé en ce jour de printemps où la minorité chrétienne célébrait le dimanche de Pâques à Lahore, ville de dix millions d’habitants. 

Javed Ali, un habitant de Lahore dont la maison est située juste en face de l’entrée du parc, a raconté à l’AFP avoir entendu «une énorme explosion (qui) a fait voler les fenêtres en éclats». «Tout tremblait, il y avait des cris et de la poussière partout».

«Dix minutes plus tard je suis sorti. Il y avait de la chair humaine sur les murs de notre maison. Les gens pleuraient, je pouvais entendre les ambulances», a-t-il poursuivi.

Le parc, où il se trouvait lui-même quelques heures plus tôt, était «plein de monde à cause de Pâques, il y avait beaucoup de chrétiens là-bas. Il y avait tant de monde que j’ai dit à ma famille de ne pas y aller».

Au Pakistan, des groupes islamistes armés ciblent parfois la minorité chrétienne qui représente environ 2% de la population de ce pays majoritairement musulman sunnite de 200 millions d’habitants.

Au cours des dernières années, des églises ont été la cible d’attaques à Lahore, fief du Premier ministre Nawaz Sharif dans la province du Pendjab.

Quelques chrétiens ont aussi été accusés d’avoir offensé l’islam, un crime passible de la peine de mort au Pakistan, selon une loi controversée sur le blasphème.

Des heurts ont par ailleurs éclaté dans la capitale Islamabad et sa ville jumelle de Rawalpindi entre la police et des milliers de partisans d’un islamiste pendu le mois dernier, Mumtaz Qadri.

Quelque 25000 d’entre eux s’étaient réunis plus tôt dans la journée à Rawalpindi pour des prières commémoratives, avant d’avancer, armés de pierres, vers la capitale quadrillée de centaines de policiers et de paramilitaires.

Munis de boucliers et de bâtons, les policiers ont tiré des gaz lacrymogènes. L’armée a été déployée dans la capitale pour «contrôler» la situation et assurer la sécurité de la zone autour du Parlement, où des manifestants se sont rassemblés dans la soirée, selon un porte-parole de l’armée. 

Ils s’y trouvaient toujours tard dimanche, criant des slogans, a constaté un journaliste de l’AFP. Des négociations étaient en cours pour qu’ils quittent les lieux, a indiqué la police.

L’exécution le 29 février de Mumtaz Qadri avait été perçue comme un moment charnière dans la lutte contre l’extrémisme religieux dans ce pays musulman.

Mais elle a aussi ulcéré nombre de courants islamiques qui avaient érigé Mumtaz Qadri au rang de héros pour avoir abattu en 2011 Salman Taseer, gouverneur du Pendjab, qui s’était déclaré favorable à une révision de la loi sur le blasphème, défendue bec et ongles par les conservateurs.

AFP

Pays-Bas: interpellation d’un Français suspecté de préparer un attentat

La police néerlandaise a arrêté dimanche à Rotterdam un Français de 32 ans suspecté d’avoir été impliqué dans la préparation d’un attentat, a indiqué le parquet, soulignant que l’opération avait été menée à la demande de Paris.

Cet homme est soupçonné d’avoir été mandaté par l’organisation jihadiste Etat islamique (EI) pour commettre un attentat en France avec Reda Kriket, interpellé jeudi en banlieue parisienne, a indiqué une source policière française.

Selon cette source, le suspect arrêté à Rotterdam était parti en Syrie pour le jihad, à une date indéterminée.

Un mandat de recherche avait été émis par la France à l’encontre de ce natif de la région parisienne le 24 décembre 2015 pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, selon la même source.

«Les autorités françaises ont demandé vendredi l’arrestation de ce Français» qui est suspecté «de préparation d’un attentat terroriste», avait indiqué le parquet néerlandais plus tôt dans un communiqué.

L’homme sera livré à la France «sous peu», a ajouté le parquet, sans préciser si ce suspect était concerné par les attentats de Paris ou non.

Cela peut prendre «plusieurs jours», a précisé à l’AFP le porte-parole du parquet, Wim de Bruin, refusant de fournir des détails sur le suspect: «il s’agit d’une enquête française», a-t-il ajouté.

Trois autres suspects ont été interpellés, dont deux hommes de 43 et 47 ans d’origine algérienne, ajoute le parquet. Aucun détail n’est encore connu sur la troisième personne interpellée. Le Français séjournait chez l’un d’entre eux, assurent les médias néerlandais. 

Des perquisitions ont eu lieu dans le quartier de Rotterdam-Ouest, dans deux rues distinctes. Selon des images diffusées par la télévision publique NOS, la police a d’abord envoyé un chien dans les logements où se sont déroulées les perquisitions, à la recherche d’explosifs.

Plusieurs maisons aux alentours ont été évacuées «par précaution», souligne le parquet. 

Reda Kriket, 34 ans, avait été interpellé jeudi à Boulogne-Billancourt, ville de l’ouest parisien, pour un projet d’attentat en France «à un stade avancé», selon le ministre français de l’Intérieur Bernard Cazeneuve.

Des fusils d’assaut et des explosifs avaient été retrouvés dans son appartement, situé dans une autre commune de la région parisienne.

Reda Kriket avait été condamné en son absence à Bruxelles en juillet 2015 avec Abdelhamid Abaaoud lors d’un procès d’une filière jihadiste vers la Syrie. Tué cinq jours après les attentats de Paris, Abaaoud est suspecté d’avoir eu un rôle-clé dans les attaques du 13 novembre.

Né à Courbevoie en région parisienne, Reda Kriket résidait à Ixelles, commune cosmopolite de Bruxelles, lorsqu’un mandat d’arrêt international a été émis contre lui en mars 2014. Il a également été condamné plusieurs fois en France pour des délits de droit commun, a indiqué une source proche de l’enquête, sans donner de détails.

AFP

Shlomo Sand : “Il y a une décadence de la pensée française”

L’autre jour, à l’occasion d’une visite médicale, on a découvert une anomalie cardiaque à Shlomo Sand, 69 ans. Inquiet, il demande au médecin s’il risque d’en mourir. «A priori non. En tout cas, moins que d’une attaque nucléaire iranienne», promet ce dernier. L’Iran ayant récemment mis un peu d’eau dans son vin concernant ses menaces de vitrifier Tel-Aviv, nous voilà rassurés.

Mais on retiendra de cette anecdote racontée par un Shlomo Sand mi-figue mi-raisin que son destin personnel est lié, qu’il le veuille ou non, à celui d’Israël. Drôle de paradoxe pour un homme qui doit sa renommée internationale à sa critique virulente de l’Etat hébreu, du sionisme et de leurs mythes fondateurs. Une veine dont il s’écarte dans son dernier livre «la Fin de l’intellectuel français?» (La Découverte), qui vient de paraître, et dans lequel il règle leur compte aux «intellectuels médiatiques».

« Il y a une décadence de la pensée française. Qui, aujourd’hui, traduit Finkielkraut ou BHL comme hier Sartre et Foucault? L’hégémonie des clercs conservateurs est une trahison de la tradition de critique du pouvoir par les intellectuels», explique cet historien spécialiste des idées politiques françaises qu’il enseigne à l’universit&eacute

« Des femmes », ces irréductibles qui luttent contre la dictature du phallus

Ce 18 mars, au Salon du livre de Paris, des portraits de femmes grandeur nature trônent sur le stand des éditions Des femmes. On reconnaît Clarice Lispector, Hélène Cixous, Ana Maria Machado, Assia Djebar ou encore Patricia Rodriguez, psychiatre mexicaine venue dédicacer son dernier livre, «À la recherche de l’utérus perdu».

Entourées de plusieurs bénévoles, «militantes de longue date», nous dit-on, les deux codirectrices de la maison, Michèle Idels et Christine Villeneuve, interviennent tour à tour pour retracer l’histoire de cette institution du féminisme français. L’ambiance effervescente a le charme old school des manifs d’antan. Il y a deux ans, la fondatrice, Antoinette Fouque, est morte. Son absence ne se sent pas. Son nom surgit dans toutes les phrases. Son esprit plane au-dessus du stand, peut-être parce que son nom est placardé partout. On comprend vite qu’elle est une sorte de divinité païenne, un totem anti-phallique. La maison d’édition qu’elle a dirigée pendant quarante ans a pris son nom, et s’appelle désormais «Des femmes – Antoinette Fouque». Les codirectrices perpétuent la tradition militante et innovante d’une maison d’édition où les femmes parlent de leur condition.

Cofondatrice du Mouvement de Libération des Femmes (MLF), Antoinette Fouque a créé les éditions Des femmes en 1973, pour promouvoir une «écriture qui ne serait pas phallocentrée», comme elle le dira dans un entretien de 1990. La maison prend racine dans la «démarche de lutte» chère au MLF. Dans son «Acte de naissances», en 1974, Fouque écrivait: «Aujourd’hui, nous sommes devenues poètes et nous écrivons nous-mêmes notre condition.»

Antoinette Fouque à l'imprimerie

Antoinette Fouque et les militantes, en1974. / ©Des femmes

Nous étions sexistes. Nous voilà bien accordé.e.s

Du MLF aux FEMEN

Depuis la fondation du MLF, en 1968 ou 1970 (la datation du mouvement est l’objet d’une polémique âpre chez les féministes), la situation des femmes s’est améliorée, sans changer tout à fait. Dans le monde de la culture, les discours sont plus paritaires que la réalité: selon des chiffres de 2013, 88% des centres dramatiques nationaux sont dirigés par des hommes, et seuls 3% des concerts et des spectacles sont dirigés par des femmes.

Le féminisme lui aussi a changé. Peu avant de mourir, Antoinette Fouque a adressé un soutien remarqué aux FEMEN. Dans la préface du «Dictionnaire des créatrices», l’antique brûleuse de soutiens-gorge rendait un hommage vibrant aux militantes torse nu: «La poitrine nue des héros, ici, n’a rien d’impudique: aujourd’hui les FEMEN exposent leur dignité bafouée.» Des femmes et les FEMEN, même combat? «On dialogue avec elles, on soutient leurs actions, on les admire, on les accueille, dit Michèle Idels. Elles lèvent une chape de silence. Antoinette Fouque disait d’elles qu’elles étaient le front médiatique du MLF.»

Le problème avec le féminisme islamique

L’impérialisme du phallus

Des femmes est né d’un constat fait par Antoinette Fouque pendant Mai-68: il était alors difficile d’être publiée quand on était une femme. «Celles quiavaient une parole libre étaient refoulées des éditeurs traditionnels», dit Michèle Idels. La féministe Colette Aubry avait créé une collection consacrée aux femmes chez Denoël, et c’était tout. «Plutôt que de nous limiter à dénoncer l’industrie littéraire, nous traçons notre petite-bonne-femme de route», disait Antoinette Fouque.

« C’est important que des femmes écrivent, car les femmes ne se voient pas comme les hommes les voient», dit Michèle Idels, qui a vu naître la maison d’édition. En 1968, l’année de ses 18 ans, elle a rejoint le MLF, puis le collectif «Psychanalyse et Politique», animé par Antoinette Fouque, avant de participer à son aventure éditoriale. La maison compte aujourd’hui cinq salariées et une dizaine de bénévoles. Michèle Idels dit miser sur des textes qui lui semblent «nécessaires pour accroître la connaissance». La politique de la maison n’est pas «dictée par un but capitaliste», dit-elle. Financé au départ par la mécène et réalisatrice Sylvina Boissonnas, la maison vit grâce à une aide financière des militantes, pour qui Des femmes est bien plus qu’une maison d’édition.

La maison est logée rue Jacob, dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés, où on trouve aussi une librairie et un «Espace des femmes», qui sert de galerie d’art, de lieu de rendez-vous pour débats et lectures. Antoinette Fouque disait de cet endroit qu’il était «un lieu d’engendrement et de création incessante», à la fois «terre d’asile et d’hospitalité». Dans le monde de l’art, les femmes artistes ne représentent que 5% des acquisitions des musées et 1% des expositions. La galerie «Des femmes», elle, expose des femmes artistes depuis 1981.

La maison entend «mettre les femmes en lumière», dans tous les domaines de la création. En 2013, elle a publié le «Dictionnaire universel des créatrices», vieux projet qu’Antoinette Fouque évoquait déjà il y a quarante ans dans «le Torchon brûle», le journal du MLF.

L'annonce de la maison d'édition dans le "Torchon brûle", le journal du MLF.

L’annonce de la création de la maison d’édition dans « le Torchon brûle », le journal du MLF en 1973. / ©Des femmes

Le «Dictionnaire» a fait des émules. La même année, les éditions EpOke publient le catalogue des expertes à destination des journalistes. En 2015 se sont lancées les Journées du Matrimoine. Selon Christine Villeneuve, le «Dictionnaire», soutenu par l’Unesco, «va permettre à des générations d’accéder à des connaissances dont ils étaient privées», et souligne que les femmes sont peu présentes dans les programmes scolaires. Michèle Idels estime quant à elle que «la haute culture académique est complètement misogyne».

C’est ce qu’Antoinette Fouque nomme «l’impérialisme du phallus», un concept qu’elle a employé pour expliquer la misogynie d’un monde dicté par un «Universalisme monosexué à tous les niveaux, économique, sexuel, politique et symbolique» («Si c’est une femme», 1999). C’est d’ailleurs le thème du prochain livre qui sort en avril de la maison, tout simplement intitulé «l’Impérialisme du phallus». Roger Dadoun, Jean-Joseph Goux et Laurence Zordan reviennent sur ce concept matriciel de l’anti-patriarcat. Pour Michèle Idels, c’est «le plus long et le plus universel des impérialismes, et le moins attaqué sans doute».

« Je voulais venger ma race » : grand entretien avec Annie Ernaux

La solidarité comme ligne éditoriale

En 2013, Antoinette Fouque décrivait le sens de son travail, toujours munie de son solide lyrisme fouquien: «J’ai depuis longtemps la passion de cette épopée des survivantes, des migrantes, qui, malgré la guerre immémoriale qui leur est faite, malgré l’esclavage domestique et sexuel non abolis, continuent de mettre le monde au monde.» Publier des livres serait aider les femmes à mettre au monde leur texte. Un travail de sage-femme, une aide à la gestation. «Il y a toujours eu une articulation entre création et procréation», explique aujourd’hui Christine Villeneuve. Mais les hommes n’en sont pas pour autant exclus. Joseph Bougot ou Jacques Derrida ont été publiés, «soit parce qu’ils écrivaient sur les femmes, soit parce que leur démarche était innovante», poursuit-elle.

Publier est aussi un acte politique. Des femmes publie des femmes pour «leurs droits mais aussi pour la démocratie», dit-elle. La maison édite plusieurs auteures en danger dans leur pays. Au temps du soviétisme, des femmes russes menacées par le KGB pour leur «Almanach Femmes et Russie». En 1979, les fouquettes vont manifester à Téhéran aux côtés des Iraniennes auxquelles on impose le voile. En 1995, Antoinette Fouque rencontre Aung San Suu Kyi qu’elle a publiée et soutenue durant toute sa détention dans sa maison de Birmanie.

En 1994, Taslima Nasreen, médecin, journaliste et écrivain du Bangladesh, condamnée à mort pour son livre «Femmes, manifestez-vous!», publiée en France par les éditions Des femmes, écrit une lettre à Antoinette Fouque. Elle lui dit: «Je suis en grave danger. Les fondamentalistes peuvent me tuer à tout moment. S’il vous plaît, sauvez-moi.» Fouque mobilise aussitôt la communauté internationale. Quelques mois plus tard, Talisma Nasreen est extradée en Suède. Elle enseigne aujourd’hui à Harvard. «C’est les protéger que de leur permettre d’exister», dit Christine Villeneuve.

Le militantisme passe aussi par l’éducation. En 1974, les éditions ont publié un essai de la pédagogue féministe italienne Elena Gianini Belotti, «Du côté des petites filles», qui traite des stéréotypes de genre, avant l’essor des études de genre aux Etats-Unis. Face au succès du livre, qui reste aujourd’hui l’un des plus vendus de la maison, les éditrices créent en 1977 une collection éponyme d’ouvrages consacrés aux petites filles pour les aider à se construire sans la contrainte qu’impose leur sexe.

Au début des années 2000, les éditions Des femmes entrent dans un processus de traduction de femmes du monde entier, des féministes jamais traduites en France alors qu’elles connaissaient un succès retentissant dans leur pays. «Nous voulons publier les grandes femmes, réparer cette injustice», affirme Michèle Idels. Comme «le Féminisme irréductible» de Catherine MacKinnon, juriste qui défend les femmes violées, et fait passer la loi sur le harcèlement sexuel aux Etats-Unis.

Cette redécouverte des grandes femmes se traduit aussi par une collection classique. George Sand, Anaïs Nin, Madame de Lafayette, Madame de Staël, Virginia Woolf sont rééditées. Les éditrices estiment que le féminisme a parfois été expurgé de leurs œuvres. Par exemple, «Trois guinées», le texte le plus politique de Virginia Woolf, n’a jamais été traduit en français, et n’apparaît même pas dans La Pléiade. À un journaliste qui lui demande ce qu’elle ferait avec trois guinées pour éviter la guerre, l’Anglaise répond qu’elle les utiliserait pour l’éducation des filles. L’absence de ce texte interpelle les éditrices, qui publient une traduction en 1977. «Elle est châtrée de sa position politique de femme», dit Michèle Idels.

Théorie du genre : Judith Butler répond à ses détracteurs

Féministes mais pas que

Aux Etats-Unis, il existe un équivalent à la maison, «Feminist Press», créé en 1970 (qui ne publie toutefois pas de fiction). Antoinette Fouque, étonnamment, était réticente à se dire féministe. Elle se qualifiait de «féminologue». «Féministe c’est restrictif, c’est une idéologie», explique Michèle Idels. Raison pour laquelle la maison s’appelle Des femmes.

« On ne veut pas non plus coller une étiquette aux femmes qui sont publiées, dit Christine Villeneuve. Il y a des textes féministes, mais pas que.» Ce qui ne les empêche pas de chanter toutes deux en cœur: «Mais bien sûr que nous on se considère comme féministes.» D’ailleurs, les actions «Des femmes» lancées par l’hebdo «Des femmes en mouvement» de 1977 à 1982 avaient largement une visée féministe.

L'hebdo "Des femmes" le 8 mars 1982.

La une du magazine « Des femmes en mouvement » le 8 mars 1982./ ©Des femmes

« Antoinette Fouquepensait que le féminisme était une étape nécessaire, mais qu’au-delà du féminisme, il y avait des femmes», souligne Michèle Idels. C’est là que réside son désaccord célèbre avec Simone de Beauvoir, qui lui a valu une certaine marginalité dans le mouvement. Pour Beauvoir, les femmes sont «le Deuxième sexe», et l’idéal politique à atteindre est l’égalité. Pour Fouque, ce projet revient à faire de l’homme un modèle. Elle voit dans le féminin une essence autre, liée à la procréation – idée qui semble aujourd’hui désuète, et qui est même combattue par les féministes.

« Éditer les femmes, dit Michèle Idels, c’est leur permettre de sortir de la victimisation, sans nier l’existence du génocide féminin qui se perpètre actuellement, tout en affirmant que c’est la force des femmes et leur créativité qui est visée, et non pas un deuxième sexe faible. La démarche du MLF était d’affirmer que ce monde fait par des hommes ne nous convenait pas. L’idée n’était pas de devenir comme les hommes mais de fabriquer un autre monde, où les femmes existeraient.» Ce monde nouveau, disait Antoinette Fouque dans sa préface testamentaire au «Dictionnaire universel des créatrices», serait «une civilisation d’amour et de gratitude».

Virginie Cresci

Le site des éditions Des femmes est ici.

Comment peut-on être féministe et antiraciste ? Les luttes de l’intersectionnalité

La Belgique résiste à l’état d’urgence

Au soir des attentats les plus meurtriers qu’ait connu la Belgique, le 22 mars, nulle déclaration martiale déclarant la guerre à Daesh, nul coup de menton pour proclamer l’état d’urgence ou la « fermeture des frontières », comme l’a fait François Hollande le 13 novembre dernier, alors que Paris était encore ravagée par les tirs des terroristes. Le petit Royaume de 11 millions d’habitants a, au contraire, choisi la retenue, le refus de la stigmatisation : « Dans ce moment noir pour notre pays, je veux appeler chacun à faire preuve de calme, mais aussi de solidarité. Nous devons faire face à cette épreuve en étant unis, solidaires, rassemblés », a déclaré Charles Michel, le Premier ministre belge (libéral francophone), évoquant, avec émotion, « des vies fauchées par la barbarie la plus extrême ».« Face à la menace, nous continuerons à répondre ensemble avec fermeté, avec calme et dignité », a pour sa part déclaré le chef de l’Etat, le roi Philippe, dans une brève adresse au pays : « gardons confiance en nous-même. Cette confiance est notre force ».

Même les nationalistes flamands de la N-VA, actuellement au pouvoir avec les démocrates-chrétiens néerlandophones et les libéraux francophones, pourtant habitués aux sorties sécuritaires à l’emporte-pièce et aux propos peu amènes à l’égard de la communauté musulmane, ont évité tout dérapage. « En Belgique, nous n’avons pas la même culture politique qu’en France, un pays où l’on aime les déclarations définitives et fracassantes », analyse la députée socialiste francophone Ozlem Özem : « on est plus calme, on réagit plus à froid et c’est tant mieux ». L’hymne national belge, la Brabançonne, qui ne parle pas de « sang impur », ne se termine-t-il pas par ces mots : « le Roi, la loi, la liberté » ?

« Nous n’avons pas eu de dérive sécuritaire à la française », se réjouit Manuel Lambert, conseiller juridique de la Ligue des droits de l’homme : « Charles Michel, depuis le début de la vague d’attentats, a répété que la Belgique agirait dans le cadre de l’Etat de droit et qu’il n’était pas question d’adopter un Etat d’urgence à la française ». De fait, il n’existe aucune loi équivalente dans le droit belge, pas plus d’ailleurs que dans les autres législations européennes, l’Etat d’urgence étant un héritage de la guerre d’Algérie. « Alors que la France a notifié au Conseil de l’Europe, en novembre dernier, la suspension de plusieurs articles garantissant le respect des droits de l’homme, comme on peut le faire en cas de danger public menaçant la vie de la nation, la Belgique ne l’a pas fait et n’a pas l’intention de le faire ».

Interrogé mercredi matin sur la RTBF, Jan Jambon, le ministre de l’Intérieur, membre de la N-VA, a balayé d’un revers de main l’instauration de « pouvoirs spéciaux » qui permettraient à l’exécutif de statuer sans passer par le Parlement (sur le modèle des ordonnances à la française) : « ce n’est pas dans la culture de notre démocratie. Je ne sais pas ce que ça rapporte. On a pris beaucoup de mesures (…) Je pense qu’on doit rester cool, vraiment maîtriser la situation et voir si on doit ajouter des mesures ».Bart De Wever, le leader du parti nationaliste, est sur la même longueur d’ondes, comme il l’a déclaré dans le journal L’Écho de samedi : « Ce serait une erreur que d’annoncer de nouvelles mesures après chaque attentat ».Bref, rien à voir avec la frénésie législative française depuis les attentats de Charlie Hebdo.

Pour autant, « tout n’est pas rose en matière d’équilibre entre sécurité et liberté », tempère Manuel Lambert : « l’appareil répressif se développe depuis quelques années et on cherche, comme en France, à dépouiller le juge judiciaire, un juge indépendant, de ses prérogatives au profit du parquet qui est soumis à l’autorité politique du ministre de la justice ». Dans le cadre de la réforme des codes belges, poétiquement appelée « pot pourri » (PP), des mesures d’exception ont été adoptées sans guère de débats. Ainsi, depuis le 1er mars, les perquisitions peuvent avoir lieu 24h sur 24 et sont désormais ordonnées par le parquet et non par un juge du siège, les écoutes téléphoniques obtenues illégalement seront toujours valides ou encore le jugement des terroristes relèvera des tribunaux correctionnels qui pourront prononcer des peines allant jusqu’à 40 ans de prison et non plus des cours d’assises… « Ce n’est pas une loi antiterroriste, mais la lutte contre le terrorisme imprègne la réforme du Code pénal », constate Manuel Lambert. Une loi antiterroriste a cependant été adoptée le 20 juillet 2015 afin de rendre punissable le fait de sortir ou d’entrer dans le pays avec une « intention terroriste », de faciliter la déchéance de nationalité si elle ne crée pas d’apatridie ou encore de permettre la confiscation des papiers des personnes soupçonnées de vouloir partir combattre à l’étranger.

D’autres mesures coincent devant le Parlement : « la détention préventive doit être confirmée par la chambre du Conseil (un juge) tous les mois, ce qui oblige le juge d’instruction à faire avancer son dossier. Le gouvernement voudrait faire passer ce délai à deux mois, ce qui n’est pour l’instant pas passé », explique Ozlem Özem, membre de la commission justice de la chambre des députés. De même, la prolongation de la garde à vue en matière terroriste de 24 h à 72 h, qui nécessite une modification de la Constitution, est toujours dans les tuyaux législatifs, tout comme le port d’un bracelet électronique par les personnes fichées par les services de renseignements…

« Je préfèrerais, à tout prendre, qu’on ait un état d’urgence à la française, plutôt que de toucher au corps même de notre droit pénal, car cela menace l’Etat de droit et donc la situation de l’ensemble des citoyens », tranche Christophe Marchand, un avocat pénaliste qui défend de nombreux « returnees », c’est-à-dire les combattants rentrant de Syrie et d’Irak. « La situation est effrayante, ces jeunes ont subi un lavage de cerveau et beaucoup d’entre eux ont commis des crimes de guerre : il faut des mesures exceptionnelles, mais qui s’appliquent seulement à eux, car le risque est gigantesque », insiste ce ténor du barreau bruxellois. Le danger, il en convient, est que l’état d’urgence devienne le droit commun, comme en France, où le gouvernement veut introduire dans le Code pénal les principales mesures de cet état d’exception. « Même si les dérives sont pour l’instant limitées, rien n’est écrit pour l’avenir », met en garde Manuel Lambert. D’ailleurs, le gouvernement belge envisage bien de proposer l’instauration d’un niveau d’alerte 5 (4 actuellement) afin de créer une sorte d’état d’urgence « light » pour une période limitée permettant d’interdire les rassemblements, d’instaurer un couvre-feu ou encore d’assigner administrativement à résidence des personnes fichées… La mesure est en discussion entre les partenaires de la majorité gouvernementale.

N.B.: version longue et mise à jour de mon article paru dans Libération du 24 mars.

JAZZ IN MARCIAC, 39e marche vers le ciel

La scène se passe à Marciac, le 12 mars dernier, dans l’une des pièces de l’Astrada, après l’époustouflant concert du trio du pianiste Kenny Barron. Les trois musiciens ont donné le meilleur. Le bus les attend pour rentrer, dans la nuit, à Toulouse. Kiiyoshi Kitagawa (contrebasse), Jonathan Blake (batterie), et le leader, se plient néanmoins de la meilleure grâce du monde, au cocktail du team organisateur avec sponsors et journalistes. Je félicite l’Américain. Depuis ce concert mémorable au Sunside, en 2005, Barron est passé dans la division des grands. A Marciac, sidéré, les titres des deux morceaux de Thelonious Monk que Barron vient de jouer m’échappent. Le fondateur du festival, Jean-Louis Guilhaumon, lui aussi abasourdi par le niveau de la prestation vole à mon secours : «Light Blue et Shuffle Boil». Le nom du morceau composé par Barron en hommage à Bud Powell me revient : Budlike. Deux pièces de Monk, une perle dédiée à Bud : trois élans du dernier CD (Book of Intuition). Le spectateur se retrouve collé au fond du siège. Virtuosité, invention, respect de l’esprit des compositeurs, chorégraphie des mains, swing ininterrompu, pointure supérieure des accompagnateurs, interactivité sidérante du trio. On en prend plein le buffet. Reste un miracle. Comment Barron réussit-il successivement à exécuter avec une ébouriffante maestria, les improvisations sous la loi de Monk, celles dans le royaume de Bud, le tout en ne portant aucun ombrage à leurs suzerainetés respectives? Barron considère ma question avec incrédulité, comme si la réponse tenait dans le moindre livre de comptines. Il tend le doigt vers chacune de ses oreilles : «je les ai écoutés, c’est tout. J’ai passé mon enfance à écouter Monk, à écouter Bud. Sans interruption. Monk et Bud étaient mes préférés.» Désorienté par mon ahurissement et l’insistance pour saisir le secret («oui mais quand même, Monsieur Barron, vous avez pratiqué sans arrêt, n’est-ce pas?»), le natif de Philadelphie porte à nouveau le doigt vers l’oreille. «Je n’ai fait que cela, vous comprenez : les écouter. Les é-cou-ter»… Le jazz semble limpide avec lui. Le parcours de l’Américain, (il monta avec Stan Getz en 1990 sur la scène du village gersois), jaillit comme une source. Quand il remplace Lalo Schifrin au sein du quintette de Dizzy Gillespie, Barron a vingt ans. Il a joué avec Roy Haynes. Connaît les boppers et leurs icônes du piano par coeur (Monk et Bud). C’est James Moody qui le clame. Le saxophoniste le recommande à Dizzy. La pensée m’émeut. Dizzy-Moody! L’un de mes tous premiers concerts à Marciac, en 1991. Dizzy mène alors le United Nations All-Star Orchestra. Je me souviens d’un solo de Moody, majestueux. Dizzy fait le clown en djellaba blanche. Soulève la salle. Se dandine comme une fatma. Tape avec un sourire épanoui sur les fesses de Moody, qui, sérieux comme un prélat remonte vers le pupitre. La salle en délire, déjà. Les rappels. Depuis 39 ans, le feu d’artifice musical de Marciac imprime les souvenirs heureux de deux générations d’amateurs. Combien de coeurs la manifestation a-t-elle soulevé dans les tentes et sous les parasols du village? L’affiche de 2016 (des centaines d’étoiles comme autant de visages), rend hommage au public. A un an de la quarantième, Jean-Louis directeur artistique de JIM (Jazz in Marciac), le plus grand festival de jazz français, a dévoilé, en préliminaire de la prestation de Kenny Barron, les surprises de la 39e édition (du 29 juillet au 15 août 2016).

La première? Monumentale ! Ahmad Jamal donnera son seul concert de l’année. Après une période sabbatique, le pianiste de génie prendra résidence ici pendant dix jours pour enregistrer deux albums de nouvelles compositions (un solo, un quartet). Un coup de maître de Guilhaumon. Car Jamal ne se borne pas à incarner un géant du jazz. C’est un personnage. Me revient un tête à tête informel avec lui, organisé par ses producteurs (moment de grâce, merci Catherine et Seydou Barry). On s’est retrouvés au dernier étage d’un hôtel parisien. Panorama sur Paris. Jamal, branché en permanence sur l’aspect spirituel des choses : «vous savez, Monsieur Pfeiffer (Jamal vous appelle par votre nom), la richesse n’est pas un but. Steve Jobs vient de mourir. Il possédait 72 millions de dollars? Un montant vertigineux, vous en convenez. Il ne lui a pas permis d’acheter une seconde de plus!» Une heure de Jamal : de l’or en barre. Pas uniquement au piano.

Autres vedettes (parmi trente-six) sous l’immense tente blanche : les guitaristes John Scofield et John Mc Laughlin (le même soir!), Kamasi Washington, Archie Shepp (il revient avec Lucky Peterson), Jamie Cullum, Dianne Reeves, Stephane Belmondo, Snarky Puppy,Lisa Simone, Fred Wesley, Yaron Herman (avec M), Gonzalo Rubalcaba, Roberto Fonseca, Maceo Parker, Cyrille Aimée… Sans omettre, au Château de Sabazan, dans le fief des producteurs Plaimont, le concert attendu du Brésilien Ed Motta, le 6 août.

Autant de prestations alléchantes sous l’aura tutélaire du trompettiste Wynton Marsalis. L’indiscutable mascotte du festival se produira sous des formules diverses. Dans un ouvrage paru en 2005, Lettres à un jeune musicien de jazz, le Louisianais place l’échange et le partage, au centre du jeu de l’artiste. La somme de conseils du maître-jazzman résume à merveille l’incarnation de respect, d’humilité, d’écoute de l’autre, de travail… et de prise de risque que l’équipe de Marciac, issue depuis les origines de l’éducation populaire, montre en exemple, à la planète entière, depuis bientôt quarante ans.

Bruno Pfeiffer

JIM, 39 édition, du 29 juillet au 15 août 2016

CD Kenny Barron Trio, Book of Intuition, IMPULSE! /Universal

Casse-Noisette » et « Iolanta »: deux ouvrages de Tchaïkovsky à l’Opéra

Quelle belle initiative que celle qui a voulu reprendre en une seule soirée le bref opéra de Tchaïkovsky, « Iolanta », et l’une des plus célèbres musique de ballet du compositeur russe, « Casse-Noisette », tout comme ce fut le cas au jour de leur création, en 1892, au Théâtre Marie, à Saint-Pétersbourg !

Tendresse et humanité

L’idée sans doute vient du metteur en scène Dimitri Tcherniakov qui donne de « Iolanta » une vision toute en tendresse et en humanité, fortement nimbée de spiritualité, très russe en un mot (loin de l’onirisme élégant de la réalisation de Robert Carsen au Festival d’Aix-en-Provence et à l’Opéra de Lyon), et offerte dans un cadre de blancheur douce et lumineuse. Il en fait aussi un ouvrage lyrique offert à la jeune Marie, l’héroïne de « Casse-Noisette », en prologue à la fête qui va suivre : par un délicieux tour de passe-passe, les personnages de l’opéra, évidemment interprétées par des artistes lyriques, se glissent sans transition dans le monde du ballet où les danseurs endossent les mêmes costumes que les chanteurs.

Et voilà que le boudoir où Iolanta a recouvré la vue se meut en simple alcôve d’un vaste et lumineux salon où l’on fête l’anniversaire de Marie. Cette première partie du ballet découvre une fête de famille joyeuse, aimable, toute en fraîcheur, où chacun s’épanouit dans des costumes d’une élégante simplicité (dus au talent d’Elena Zaitseva), des costumes de ville aux coloris dont l’harmonie est admirable. Rien d’exceptionnel sans doute dans cette chorégraphie entraînante et festive, mais beaucoup de naturel, de gaieté, et le plaisir sans mélange de découvrir les danseurs de l’Opéra éclatants de jeunesse, heureux et débridés, exécutants des pas inédits sur ces pages si connues de « Casse-Noisette ».

C’est à un chorégraphe d’origine portugaise, mais né en Afrique du Sud et formé en Grande-Bretagne, Arthur Pita, que l’on doit cette fête, et c’est aux danseurs que l’on doit cette interprétation si vivante et si naturelle.

Saisissante tempête de neige

En toute logique, Tcherniakov a réécrit l’argument de « Casse-Noisette » pour briser avec l’aspect sucré et féérique qui est l’apanage de ce ballet dont une version traditionnelle due à Rudolf Noureev demeure bien évidemment au répertoire du Ballet de l’Opéra. Mais avec la volonté d’élever l’ouvrage au rang de conte philosophique, il n’a fait preuve ici que de confusion, et son argument douteux, psychanalytico-philosophique, a grand ouvert la porte aux errements des deux faiseurs qui ont pris la suite d’Arthur Pita dans le déroulement du ballet.


(Agathe Poupeney)

Au cœur d’un environnement visuel saisissant dû aux images extraordinaires d’Andrey Zelenin qui précipitent les danseurs dans une tempête de neige, un blizzard sibérien, la réponse chorégraphique de Sidi Larbi Cherkaoui, dans ce qui est baptisé « valse des flocons », des flocons de neige bien entendu, est d’une rare pauvreté.

Musicalement inculte

Même chose avec Edouard Lock qui lui succède dans les tableaux intitulés « la forêt » et « divertissement ». Si la faiblesse de l’argument dicté par Tcherniakov est sans doute la première coupable de cette déroute, le travail de Lock est pire encore.

Quand l’une des plus spirituelles musiques de ballet aurait dû servir de levier à l’imagination la plus folle, Lock, musicalement inculte et insensible à la partition, met en scène d’énormes poupées construites en pure perte et sans doute à grand frais, plantées là sans rime, ni raison, cependant qu’il impose à une poignée de danseuses une chorégraphie indigente.

Dans des robes claires des années 1930, les dites danseuses sont d’un charme irrésistible : mais cela ne tient qu’à leur beauté et à leur tenue. Nullement à ce qu’elles exécutent. Quant à Marie, qui ne quitte pas la scène, Lock en fait une malade mentale que sa gestuelle déréglée de fille gravement perturbée pourrait conduire droit aux petites maisons.

Qui a choisi de faire appel à Cherkaoui et à Lock ? Benjamin Millepied ? Dimitri Tcherniakov ? C’est un ratage monumental, que de s’être ainsi laissé aveugler par deux hommes au parcours chorégraphique si décevant.

Raphaël de Gubernatis

« Iolanta » et « Casse-Noisette« . Opéra de Paris, Palais Garnier. Jusqu’au 1er avril 2016. 08 92 89 90 90.

Alex Beaupain, Maissiat, Jeff Buckley… La sélection musicale de la semaine

Le choix de « l’Obs »

♥♥♥♥ « Loin« , par Alex Beaupain (AZ).

L’an passé, Alex Beaupain mettait en musique « les Gens dans l’enveloppe », le livre d’Isabelle Monnin, qui inventait la vie d’inconnus à partir de leurs photos de famille. Bientôt, on découvrira qu’il a aussi composé les chansons des « Malheurs de Sophie », adapté au cinéma par Christophe Honoré, son ami d’enfance. Entre-temps, Beaupain a enregistré son cinquième album. Le chanteur, adepte des chansons d’amour nostalgiques et mélancoliques, se dévoile plus encore dans ces titres qui, pour l’essentiel, évoquent la douleur de la disparition et du deuil. Barbara disait qu’on pouvait être « orpheline à 40 ans ». Beaupain, plus jeune, a perdu sa petite amie, puis sa mère et récemment son père. Ces êtres aimés traversent ce très bel album.

Alex Beaupain : « Il ne se passe pas grand-chose quand on est heureux »

Pourtant, même si ces souvenirs viennent assombrir le disque, Beaupain parvient à y instiller un peu de légèreté dans ses accents pop. « Loin », qui donne son titre à ce nouvel opus, revient sur les souvenirs lumineux d’une enfance à tout jamais enfuie. Chanson après chanson, Beaupain retrace le chemin de sa vie dans ce qu’elle a de beau et de tragique. « Je te supplie », sur une mélodie de Julien Clerc, est une lettre adressée à son amoureuse perdue. « Les voilà » tente de faire revivre ses défunts parents, tout comme « Rue Battant ». Cette dernière, signée Vincent Delerm, paroles et musique, est une errance dans Besançon, la ville natale de Beaupain, à la recherche des figures évanouies. Qu’on ne se méprenne pas sur l’intention : cet album est celui d’un amoureux fou de la vie.

Chanson

♥♥♥♥ « Grand Amour« , par Maissiat (Cinq/7).

Il y a trois ans sortait « Tropiques », le premier album de cette inconnue au nom mystérieux. Maissiat, auteur et compositeur, y interprétait « le Départ », une ballade sur la mort qui a forcément marqué ceux qui l’ont entendue. Aujourd’hui, son deuxième disque confirme combien Maissiat est douée. Elle y parle d’amour, l’amour quand il est profond, lumineux, sensuel, douloureux parfois.

Le plus souvent, le piano accompagne cette voix qui ressemble à s’y méprendre à celle de Françoise Hardy – cette dernière avait d’ailleurs souhaité la rencontrer à l’époque du « Départ ». Alors, oui, c’est dit : Maissiat excelle dans la grande ballade sentimentale. Ecoutez « Grand Huit », « Ce bleu sentimental », « Bilitis » ou encore « la Beauté du geste ». Autant de chansons à la fois personnelles et universelles, interprétées d’une voix rare et fragile qui semble vouloir atteindre les nuages.

Blues rock

♥♥♥ « Opération Aphrodite« , par Gérard Manset (Parlophone/Warner).

Quarante-cinq ans après « la Mort d’Orion », premier space opera rock français, Manset récidive avec une nouvelle symphonie métaphysique. L’homme-orchestre déroule son blues rock lyrique et ses ballades névralgiques, entrecoupés de lectures de Pierre Louÿs. Le concept album est illustré par René Brantonne, créateur de l’esthétique de la légendaire collection « Anticipation » chez Fleuve noir. En couverture, Manset reproduit celle du n° 47 : « Opération Aphrodite » (roman de Jimmy Guieu).

Nostalgique d’une époque où il découvrait les odyssées intergalactiques, le voyageur solitaire pioche dans les 273 couvertures du maître et nous propose encore « Terminus 1 » (Stefan Wul) ou « Créatures des neiges » (Jimmy Guieu). Seconde clé : « Aphrodite », sous-titré « roman de mœurs antiques » que publia Louÿs au lendemain des « Chansons de Bilitis ». Le rocker invisible souscrirait-il à ce culte de la beauté sur fond de décadence libertine ou faut-il y voir les interrogations crépusculaires de l’artiste ? Ce vieil enfant d’Aphrodite se penche sur les cruelles lèvres du passé et voit la mort dans ces « divinités amies [qu’il va] retrouver pour mille ans, dans ces allées de fruits où les jours sont des nuits ».

Inédits

♥♥ « You and I« , par Jeff Buckley (Columbia).

Evidemment, faire du business avec les brouillons d’un malheureux qui s’est noyé dans le Mississippi à 30 ans, ce n’est pas joli-joli. Bien sûr, tout le monde aurait préféré que Jeff Buckley continue sur sa lancée après « Grace », cet unique album que les étudiantes de 1994 écoutaient en allumant des bougies, dans un frisson mystique.

Seulement voilà, en février 1993, seul avec sa guitare et son harmonium, ce jeune surdoué au lyrisme un peu emphatique avait aussi mis en boîte ces dix chansons. Elles n’ont rien de médiocre. Ce sont surtout des reprises (Dylan, Led Zeppelin, les Smiths…), car ce garçon-là était capable de tout jouer, ou presque : de la ballade sensuelle (« Just Like a Woman ») au funk velouté (« Everyday People ») en passant par la country old school (« Poor Boy Long Way from Home ») ou ses propres compositions (« Grace », déjà parfaitement en place). Et le doute n’est pas permis : s’il cherchait encore sa voie, il avait trouvé sa voix.

Les autres sorties

♥♥ « God don’t never change : The songs of blind Willie Johnson« (Alligator Records/Socadisc).

BLUES. Blind Willie Johnson est mort en 1945 (un 18 septembre, comme Hendrix), mais pas son gospel rauque, pas le blues mystique et rustique qu’il arrachait à sa guitare. La preuve avec cet album, où une dizaine d’artistes rendent hommage au prophète aveugle du Texas : le trop rare Tom Waits offre ses manières d’ours mal léché à « The Soul of a Man » et « John the Revelator » ; les Cowboys Junkies promettent que « Jesus Is Coming Soon » ; et Rickie Lee Jones fait un sort à « Dark Was the Night… », cette poignante complainte qui fut expédiée dans les étoiles par la NASA en 1977, avec un concerto de Bach, un quatuor de Beethoven et une poignée d’autres oeuvres capables de plaider la cause, pourtant désespérée, de l’humanité.

♥♥♥ « Sérénades interrompues« , par Quatuor Bedrich (Bion Records).

CLASSIQUE. On a souvent transcrit du quatuor vers le piano, mais rarement dans l’autre sens, allez savoir pourquoi, comme si un pont était univoque. En tout cas, cela marche du tonnerre. Les Bedrich ont adapté pour cet enregistrement Chabrier, Bizet, Fauré, Debussy, Satie, Poulenc, Falla, et c’est un régal. Ils ont trouvé mille manières de rendre les effets pianistiques, mille traductions, mille effets, mille équivalences. Ils font si bien qu’ils nous trompent : le prélude du « Tombeau de Couperin » de Ravel, on dirait son quatuor.

♥♥♥« It calls on me« , par Doug Tuttle (Trouble In Mind Records).

POP ROCK. Bien que la pochette fasse penser à un disque de rock gothique de 1984, où sauter dans un lac gelé reste une solution pour quitter ce monde, il n’en est rien. Doug semble plus attiré par les scintillements psyché et les carillons pop, les arrangements délicats et les guitares ciselées qui lorgnent sur les Byrds.

On a le sentiment de découvrir un nouveau trésor exhumé de la fi n des sixties, mais c’est pourtant en 2015 que ce fan de Peter Buck (R.E.M.) a enregistré seul dans l’appart de sa copine ce disque laid back aux mélodies subtiles. Avec des titres comme « Painted Eye » ou « Falling to Believe », aucun doute, c’est Gene Clark, White Fence et Jacco Gardner réunis. Guitare 12 cordes et tambourin de rigueur.

Sophie Delassein, Grégoire Leménager, Jacques Drillon, Frantz Hoëz et François Armanet

Fin des bouches cousues pour les Iraniens de Calais

Après vingt-quatre jours bouche cousue, neuf Iraniens de la «jungle» de Calais viennent de mettre fin à leur grève de la faim. Mokhtar, enseignant, Esmaïl, cadre dans la pétrochimie, Mohammad, mécanicien dans l’aéronautique, Hamed, vendeur de voitures, Davoud, agent immobilier et tatoueur, Sassan et Hossein, étudiants, Réza, prof de body-building, et Mohammad Réza, joaillier, installés dans l’ancienne cabane des No Border réclamaient, entre autres, «l’arrêt de la démolition de la jungle», mais aussi «la sécurité», «un représentant des Nations unies pour parler avec nous». Ce qu’ils ont obtenu? Selon leur communiqué, ils disent considérer comme une «victoire», le fait que le gouvernement «ait été obligé d’abandonner le projet de démantèlement de la zone nord de la jungle» et de «commencer à améliorer […] la sécurité, l’accès aux soins, l’accès au droit, l’assistance pour les personnes vulnérables, notamment les mineurs, l’accès à l’eau potable et la construction d’une route pavée afin de permettre aux services d’urgence d’entrer dans le camp». Ils poursuivent: «Nous exhortons l’Etat à respecter ces engagements et à rompre avec la pratique d’annonces politiciennes auxquelles il nous a tristement habitués.» Ils ajoutent: «Nous avons décidé de mettre fin à notre grève de la faim, non pas en réaction aux négociations avec l’Etat français, mais par respect pour ceux qui nous soutiennent, qui sont inquiets pour notre bien-être, ainsi que comme preuve de confiance dans les intentions de l’Etat de nous protéger et d’améliorer les conditions de vie des habitants de la zone nord du bidonville.»

 «On est content qu’ils arrêtent»

Les neuf grévistes de la faim ont rencontré à cinq reprises des représentants de la Direction départementale de la cohésion sociale qui leur a proposé des solutions d’hébergement, identiques à celles mises à disposition de tous les migrants de la jungle, mais aussi «la possibilité d’être représentés dans des réunions hebdomadaires», des rencontres avec l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides) et des responsables du Home Office -le ministère de l’Intérieur britannique-, ainsi que des explications sur le système d’empreintes palmaires à l’entrée du centre d’accueil provisoire -les conteneurs blancs-, système qui fait craindre aux migrants d’être identifiés à leur arrivée au Royaume-Uni.

Les exilés Iraniens disent avoir aussi rencontré des représentants de l’UNHCR (l’Agence des Nations unies pour les réfugiés) et du Défenseur des droits. «Ils nous ont assurés qu’ils publieraient des rapports sur les conditions de vie dans le bidonville.»

Pendant vingt-quatre jours, les neuf Iraniens n’ont consommé que de l’eau, des jus de fruit et des bouillons salés. «Ils sont très affaiblis, ont beaucoup maigri. Leur état n’est pas catastrophique, mais on est content qu’ils arrêtent», indique Olivier Marteau, responsable de Médecins sans frontières à Calais, l’ONG qui les a suivis. Les neuf hommes, dont un n’a que 17 ans, s’étaient cousu la bouche par leurs propres moyens. Leur communiqué débute par un hommage aux victimes des attentats de Bruxelles, et des condoléances aux habitants de la capitale Belge. Ils ont ajouté: «C’est cette même violence que les habitants de la jungle ont fui.»

Haydée Sabéran Lille, de notre correspondante

Arrêt de la chaîne Numéro 23 : le rapporteur du Conseil d’Etat suit l’avis du CSA

Le rapporteur du Conseil d’Etat a préconisé vendredi le rejet de la requête de Numéro 23, chaîne de la TNT condamnée à disparaître après s’être vue retirer son autorisation d’émettre par le CSA. «La mauvaise foi de la société requérante, et sa volonté de se soustraire de manière tout à fait délibérée à ses obligations, au minimum de transparence, nous paraît établie», a estimé le rapporteur Laurence Marion, recommandant le rejet de la requête en annulation par le Conseil d’Etat et, de facto, la mort de la chaîne. Le Conseil d’Etat doit rendre sa décision avant le jeudi 31 mars, dans ce dossier qualifié de «difficile» par le rapporteur.

Le canal de la chaîne, au numéro 23, devrait être libre au plus tard le 1er juillet si la décision du CSA est confirmée par le Conseil d’Etat, qui juge en dernière instance. Le canal 23 intéressera au plus haut point la future chaîne d’info du service public, prévue pour le mois de septembre, mais aussi LCI, qui passe sur la TNT gratuite le 5 avril et pourrait ainsi se rapprocher de ses concurrentes BFMTV et iTélé.

Dans une décision inédite pour une chaîne de télé, le régulateur de l’audiovisuel avait sanctionné en 2015 les fondateurs de la chaîne pour s’être livrés à une spéculation frauduleuse sur une fréquence attribuée gratuitement. Quelques semaines après l’arrivée de Numéro 23 sur la TNT, une société russe avait acquis 15% de Diversité TV, la maison-mère de la chaîne fondée par Pascal Houzelot. Le nouveau pacte d’actionnaires comprenait une clause poussant à sa revente rapide, que Diversité TV a tardé à communiquer au CSA, selon le rapporteur du Conseil d’Etat. Si elle ne constitue pas une «fraude à la loi», cette modification de l’actionnariat de la chaîne devait pourtant être examinée par le CSA, selon le rapporteur. «La société s’est délibérément placée en situation d’être sanctionnée», a-t-elle conclu. «Aucun acteur du secteur n’aurait pu imaginer que la présence d’un actionnaire minoritaire puisse amener cette sanction dramatique», a plaidé l’avocat de Diversité TV, condamnant une décision «extravagante» de la part du CSA.

Décidée en 2012, la procédure d’attribution par le CSA d’un canal de la TNT à Numéro 23 pourrait également être examinée par les députés. Dans un rapport publié en janvier, le député PS Marcel Rogemont a demandé l’ouverture d’une enquête parlementaire sur cette attribution, qui devrait être discutée mardi par le groupe socialiste, a annoncé le député vendredi à l’AFP.

AFP

A propos

FRANCE MEETINGS EST UN PETIT BLOG SANS PRÉTENTION SUR LE BEAU PAYS QU'EST LA FRANCE. C'EST DE L'ACTU, DE LA CULTURE, DE LA POLITIQUE, DE L'ECONOMIE... TOUT SUR LA FRANCE.